Automne 2025 (Volume 35, numéro 3)
Transition transatlantique :
le point de vue d’une rhumatologue sur l’exercice de la médecine au Canada
Par Priyanka Chandratre, B. Sc. (hon.), MBBCh, Ph. D., FRCP (RU)
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Pourquoi le Canada?
C'est une question qui m'a été posée à maintes reprises au cours des deux dernières années, depuis que j'ai été nommé rhumatologue et clinicienne-chercheuse à l'Hôpital d'Ottawa. La rédaction de cette réflexion très personnelle m'a donné l'occasion de revenir sur cette décision sous différents angles.
Lorsque notre famille a décidé de quitter le Royaume-Uni pour s'installer au Canada, nos amis, nos proches et nos collègues ont été intrigués. Je suis rhumatologue clinicienne et universitaire formée au Royaume-Uni, où j'ai suivi des études de médecine à la Cardiff Medical School, puis 12 ans de formation en médecine interne générale et en rhumatologie (y compris un doctorat) dans plusieurs hôpitaux universitaires en Angleterre. J'ai eu la chance de pouvoir suivre cette formation sans interruption de carrière. Mon mari, un médecin généraliste formé au Royaume-Uni, est passé de la chirurgie à la médecine générale pendant la période de bouleversements liée à la modernisation des carrières médicales, une période dont ma génération de médecins se souvient bien. Nous avions tous deux obtenu des postes stables de consultant et de médecin généraliste associé et nous étions enfin installés dans la même ville, où nous avions acheté la maison de nos rêves. Nous envisagions une longue et épanouissante carrière au sein du très admiré National Health Service (NHS) britannique, soutenus par notre famille élargie et de bonnes écoles pour nos deux jeunes enfants.
Alors pourquoi quitter notre carrière en plein essor, déraciner notre famille, quitter nos proches et abandonner un système de santé publique florissant et un cabinet privé? Sur papier, cela peut sembler illogique. Pourtant, l'expérience vécue correspond rarement à ce qui est écrit noir sur blanc. Nous avons quitté le Royaume-Uni à la recherche d'une vie professionnelle plus épanouissante, où nous nous sentirions valorisés, appréciés et écoutés. Nous aspirions à l'autonomie pour prendre des décisions en fonction des besoins cliniques de nos patients et à une routine de travail qui nous permette d'assumer des responsabilités au-delà de la médecine. Bien que le NHS ait été fondé sur le principe d'égalité — « universaliser le meilleur » —, sa situation actuelle a déçu de nombreux cliniciens et patients. Les défis ne sont pas uniques : le vieillissement de la population et la pénurie de main-d'œuvre mettent à rude épreuve de nombreux systèmes de santé. Cependant, la frustration personnelle d'être géré par des administrateurs non cliniciens déconnectés des réalités cliniques, associée à des infrastructures inadéquates (espaces de bureau limités, « hot desking », soutien administratif insuffisant, absence de systèmes efficaces de dossiers médicaux électroniques et assistance minimale aux stagiaires) rendait tout changement significatif impossible. La bureaucratie entravait souvent l'innovation, comme la création de cliniques multispécialisées, la protection du temps consacré à la recherche ou la centralisation des soins. Ces réalités nous ont finalement motivés à faire un acte de foi.
Ce qui a commencé par un simple courriel envoyé par curiosité à la Société canadienne de rhumatologie s'est transformé en une aventure qui a changé ma vie, et dont je suis profondément reconnaissante. J'ai été mise en contact avec un rhumatologue formé au Royaume-Uni qui s'était précédemment installé au Canada et qui m'a guidée tout au long du processus d'obtention d’une inscription académique pour exercer en tant que rhumatologue à Ottawa. Ma division actuelle de rhumatologie à l'Hôpital d'Ottawa m'a réservé un accueil extrêmement chaleureux et m'a apporté un soutien sans faille, rendant cette transition professionnelle et personnelle beaucoup plus facile que je ne l'aurais imaginé.
La médecine clinique est très similaire au Canada et au Royaume-Uni, et les lignes directrices en matière de rhumatologie sont largement harmonisées, notamment en ce qui concerne les traitements biologiques. Il existe toutefois des différences notables. Un coordonnateur dédié aux traitements biologiques et des programmes de soutien aux patients pour l'accès aux médicaments biologiques coûteux sont uniques ici et permettent aux patients d'accéder relativement rapidement à ces médicaments ainsi qu'à des services supplémentaires tels que des vaccinations, des services de diététiciens et un dépistage pré-biologique. Je travaille désormais dans le cadre d'un modèle de rémunération à l'acte financé par des fonds publics qui encourage le travail clinique, récompense l'efficacité et, à mon avis, améliore l'accès et les soins aux patients. Le régime d'assurance maladie de l'Ontario couvre les services médicaux de base pour les résidents, mais les services paramédicaux et de nombreux médicaments dépendent d'une couverture privée ou basée sur l'âge et le revenu. La navigation entre les « codes d'utilisation limitée » et les formulaires d'assurance variables reste un travail en cours. Malgré ces nuances, les avantages de pratiquer la rhumatologie à l'Hôpital de l'Université de Toronto l'emportent largement sur les inconvénients. Je suis reconnaissante de pouvoir compter sur un bureau dédié, une adjointe administrative efficace et une équipe inspirante et collaborative de collègues médecins et stagiaires. La formation spécialisée en rhumatologie au Canada, bien que plus courte qu'au Royaume-Uni, est intensive et bien structurée. Alors que la prestation de services occupe une grande partie du temps de formation au Royaume-Uni, les programmes canadiens mettent l'accent sur l'apprentissage clinique ciblé et la prise de décision.
Le respect accordé aux médecins du Canada est une autre différence notable. Si le travail d'équipe multidisciplinaire est l'avenir des soins de santé, un leadership médical fort reste essentiel pour garantir la qualité et la sécurité. Au sein du NHS, ce sentiment de leadership médical – et avec lui, le moral des professionnels – se dégrade. Au Canada, les médecins sont appréciés et reconnus à leur juste valeur pour leur expertise et leur sens des responsabilités. D'un point de vue académique, bien que la concurrence soit rude, les opportunités ne manquent pas. Les institutions encouragent systématiquement les candidatures à des financements de recherche internes et externes, qu'il s'agisse du département de médecine de l'Hôpital d'Ottawa, des universités affiliées, des organisations médicales universitaires ou des organismes nationaux de financement.
En fin de compte, tout revient à nos patients; la raison pour laquelle nous faisons ce que nous faisons. Entendre des commentaires tels que « Nous sommes si heureux que vous soyez ici » ou « Nous espérons que vous resterez malgré les hivers rigoureux » me réchauffe vraiment le cœur. Cela reflète une culture de gratitude et de respect mutuel qui est rafraîchissante et profondément motivante. En tant que famille, nous avons adopté le style de vie détendu et axé sur les activités de plein air qu'offre Ottawa. Mon mari est satisfait de sa carrière en médecine familiale, et nos enfants sont fiers de considérer le Canada comme leur pays natal. Tous les actes de foi ne garantissent pas le succès, mais celui-ci nous a apporté un épanouissement personnel, une satisfaction professionnelle et un regain de motivation dont nous serons toujours reconnaissants.
Priyanka Chandratre, B. Sc. (hon.), MBBCh, Ph. D., FRCP (RU)
Rhumatologue et professeure adjointe,
Hôpital d’Ottawa, Campus Riverside,
Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa (IRHO) et
Université d’Ottawa,
Ottawa (Ontario)
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