Printemps 2024 (Volume 34, numéro 1)
Les mille visages de l'iniquité
Par Stephanie Keeling, M.D., M. Sc., FRCPC; Antonio Avina-Zubieta, M.D., M. Sc., Ph. D., FRCPC; Sasha Bernatsky, M.D., Ph. D.; Ann Clarke, M.D.; Heather Coates; Paul R. Fortin, M.D., M. Ph., FRCPC; Lourdes Gonzalez Arreola; Chery Koehn; Alexandrara Legge, M.D., M. Sc., FRCPC; Kelly Lendvoy; Leanne Mielczarek; Christine Peschken, M.D., M. Sc., FRCPC; Zahi Touma, M.D., Ph. D., FACP, FACR; et Evelyne Vinet, M.D., Ph. D.
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Les Canadiens qui s’efforcent de bien vivre avec un lupus érythémateux disséminé (LED) ont souvent du mal à se procurer des médicaments qui pourraient changer leur vie, en fonction de leur lieu de résidence et de leur couverture d’assurance-médicaments. Malgré les efforts de sensibilisation des rhumatologues et de la communauté du lupus, les changements prennent du temps, ce qui a des répercussions négatives considérables sur le système de santé, l’économie et la vie des personnes concernées.
Le LED touche 1 Canadien sur 2 000, avec une prédilection plus marquée pour les femmes (1 sur 1 000)1 et affecte davantage les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) que les caucasiens. De nombreux registres nationaux et internationaux du lupus ont signalé la nécessité de réduire d’urgence l’activité de la maladie afin d’éviter les dommages à long terme, tout en reconnaissant la nécessité de limiter la charge totale de stéroïdes en raison des dommages associés2,3.
L’approbation de PrBenlysta (belimumab), par Santé Canada en 2011, a été annoncée comme un changement de situation, en particulier pour les personnes qui avaient épuisé tous les traitements contre le LED. Malheureusement, une recommandation négative de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS) pour le LED, en 2011 et en 2018 (nouvelle soumission), a signifié que pendant longtemps, les formulaires publics à travers le Canada n’ont pas listé ce médicament, sauf en tant que médicament exceptionnel au Québec et pendant un certain temps en Alberta.
L’espoir a été ravivé par l’approbation de SaphneloTM (anifrolumab), par Santé Canada en 2021, qui a reçu l’approbation de l’ACMTS et qui, au cours des derniers mois, a été inscrit sur la liste des médicaments remboursables en Alberta, au Québec et en Ontario, ainsi que sur la liste des services de santé non assurés pour les Premières nations et les Inuits (SSNA). De plus, une nouvelle inscription du belimumab pour l'indication de la néphrite lupique est actuellement à l'étude dans de nombreuses provinces après avoir reçu une évaluation positive de l'ACMTS. Toutefois, à l’exception du Québec, le belimumab n’est pas offert aux Canadiens atteints de lupus érythémateux disséminé dans le cadre d’un régime public, à moins que Glaxo Smith Kline ne soumette une troisième fois sa demande à l’ACMTS et n’obtienne une évaluation positive.
L’optimisme grandit quant à l’augmentation de la couverture publique et, par conséquent, de l’accès à ces produits biologiques dans tout le Canada au cours de l’année à venir; cependant, cela pourrait également servir à accentuer la disparité parmi ceux qui ne seront toujours pas admissibles. Une enquête menée en 2021 sur l’accès aux soins de santé et aux produits pharmaceutiques pendant la pandémie a confirmé que 21 % des adultes canadiens n’ont pas d’assurance privée pour couvrir le coût des médicaments, avec des pourcentages plus élevés chez les personnes âgées, les immigrants et les personnes racialisées4. De nombreuses personnes atteintes de lupus appartiennent à cette catégorie. De plus, les différences de critères de couverture entre les provinces signifient que lorsqu’une personne ayant la chance de prendre un médicament biologique contre le lupus au Québec déménage en Colombie-Britannique, elle risque de perdre la couverture de ses médicaments et le contrôle de sa maladie. Les conséquences à court et à long terme pour les patients sont importantes.
Outre l’absence de couverture publique, d’autres raisons expliquent les disparités de couverture, notamment l’absence de programmes de compassion ou de transition, la participation limitée des sociétés pharmaceutiques (maximum 50 %) et les critères stricts des assureurs privés et des formulaires publics, qui limitent l’admissibilité des médicaments. Ce dernier point reflète la complaisance actuelle des payeurs à l’égard des stéroïdes chez les patients atteints de lupus – selon laquelle, contrairement aux lignes directrices récemment publiées, des doses plus faibles restent acceptables à long terme, une situation qui ne serait jamais acceptée par les rhumatologues pour les patients souffrant d’arthrite inflammatoire. Même les médicaments de référence pour le lupus, comme le mycophénolate mofétil, font l’objet d’un accès restreint dans certaines provinces (par exemple l’Alberta),
ce qui exacerbe cette inégalité.
Un plaidoyer à tous les niveaux est nécessaire pour sensibiliser aux disparités dans les résultats de santé entre les PANDC et les personnes de race blanche, et pour remédier à l’inégalité d’accès aux nouveaux médicaments pour les Canadiens atteints de lupus. Lupus Canada a porté cette question sur la Colline du Parlement en décembre 2023, soulignant la nécessité d’un accès équitable aux médicaments pour les patients atteints de lupus.
« Le lupus est une maladie auto-immune chronique méconnue qui requiert l’attention du gouvernement canadien et de ses principaux décideurs. Les traitements spécifiques au lupus financés par l’État permettront de sauver des vies, de réaliser des économies à long terme en matière de soins de santé et, en fin de compte, d’améliorer la qualité de vie des personnes qui doivent faire face à cette maladie débilitante. »
- Leanne Mielczarek, directrice générale de Lupus Canada.
Références :
1. Bernatsky S, Joseph L, Pineau C, et coll. A population-based assessment of systemic lupus erythematosus incidence and prevalence – results and implications of using administrative data for epidemiological studies. Rheumatology (Oxford). Déc. 2007; 46(12): 1814-8.
2. Urowitz M, Gladman D, Ibanez D, et coll. Effect of disease activity on organ damage progression in Systemic Lupus Erythematosus: University of Toronto Lupus Clinic Cohort. J Rheumatol. 1er janvier 2021; 48(1):67-73.
3. Fanouriaskis A, Kostopoulu M, Andersen J, et coll. EULAR recommendations for the management of systemic lupus erythematosus: 2023 update. Ann Rheum Dis. 2 jan 2024; 83(1):15-29.
4. Cortes K. Smith L. Accès et recours aux produits pharmaceutiques pendant la pandémie. 2 novembre 2022. Disponible à l’adresse https://www150.statcan.gc.ca/n1/en/catalogue/75-006-X202200100011. Consulté le 5 février 2024.
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