Hiver 2024 (Volume 34, numéro 4)
S’il vous plaît, comprenez-moi bien1
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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Après six ans d’absence, j’ai récemment repris le rôle de président de la section de rhumatologie de l’Ontario Medical Association. Il s’est passé de nombreux événements au cours de cette période, y compris une pandémie, une inflation élevée et une augmentation du fardeau administratif et de l’épuisement professionnel des médecins. Cependant, certaines choses ne changent jamais : en tant que médecins, nous sommes toujours confrontés à notre payeur unique, le Ministère provincial de la Santé, dans le but de maintenir et d’améliorer le système de santé, y compris le financement des services de rhumatologie à un niveau raisonnable.
Depuis plusieurs années, nous militons en faveur d’un nouveau code tarifaire en supplément des consultations impliquant l’initiation ou le changement de traitement biologique (médicament biologique modificateur de la maladie [bDMARD]) ou de thérapie orale par petites molécules (thérapie ciblée synthétique [tsDMARD]). Malheureusement, le comité bilatéral composé de l’Association médicale et du Ministère de la Santé a régulièrement exprimé son opposition concernant notre proposition, stipulant que « les éléments mentionnés pour ce nouveau code sont déjà couverts par les codes de consultation actuelles. Le comité n’a pas de preuves concernant la fourniture de soins qui ne soient pas déjà rémunérées. »
Le comité semble estimer que les éléments de ces consultations d’initiation ou de changement de thérapie avancée sont similaires à ceux des visites de suivi standard. Toute personne qui connaît la réalité des soins en rhumatologie doit se secouer la tête, ne pouvant y croire. Un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde, dont l’état est stable et qui vient pour une visite de suivi tous les six mois, diffère considérablement d’un patient dont l’activité de la maladie n’est pas contrôlée et qui pourrait avoir besoin d’une initiation ou d’un changement de thérapie avancée.
Quelle est notre raison d’être? Lorsqu’un patient est stable, nous pouvons planifier une visite de 15 à 20 minutes, tout en sachant que certains patients auront besoin de plus de temps. Ce temps est entièrement consacré à une anamnèse ciblée, un examen physique y compris le comptage des articulations, la détermination des mesures composites de l’activité de la maladie intégrant les questionnaires des patients, la révision des analyses de laboratoire et des imageries intermédiaires, et enfin la prise de décisions concernant les soins futurs et les rendez-vous. Afin de s’assurer qu’un patient est bien encadré, il est possible de terminer la visite en remplissant ses médicaments, ou en tentant de réduire son traitement. Lorsqu’une visite se déroule sans complications, il peut même y avoir du temps pour aborder toutes les maladies concomitantes que les rhumatologues se sentent de plus en plus responsables de prendre en charge, notamment les troubles de l’humeur, les facteurs de risque cardiovasculaires, la santé osseuse et les vaccinations, entre autres. Les activités directement liées au patient peuvent être réalisées pendant le temps de la consultation, bien qu’il ne soit pas rare de devoir terminer les tâches de documentation après le départ du patient, et parfois même en fin de journée, une fois le travail au cabinet terminé.
En revanche, nous pouvons rencontrer un patient en pleine poussée, qui pourrait nécessiter l’initiation ou le changement d’une thérapie avancée. Le patient a peut-être pris un rendez-vous imprévu en raison d’une poussée. Beaucoup de ces patients doivent être vus en fin de journée ou pendant la pause du dîner. Il est également possible que le patient ne se sente pas bien, mais ne soit pas conscient qu’il doit changer de traitement, au besoin. Dans le cas d’un patient qui considère que ses symptômes sont dans un « état acceptable », le rhumatologue devra le persuader qu’un changement de traitement est essentiel pour éviter les dommages articulaires, les déformations, l’incapacité et la mortalité prématurée.
Le temps requis pour ces visites est beaucoup plus long que celui normalement alloué à une visite de suivi. Cela retarde le médecin pour le reste de la journée et ajoute de la pression dans l’environnement du bureau. De plus, une fois que la décision de commencer ou de changer une thérapie avancée est prise chez un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde, nous avons plus de 20 choix de traitements, en comptant les médicaments d’origine et biosimilaires. La décision concernant le traitement à utiliser est complexe et nécessite suffisamment de temps pour prendre en compte les facteurs et préférences individuels du patient, en privilégiant autant que possible la prise de décision partagée. Le patient pourrait prendre un comprimé, recevoir un traitement par injection ou de perfusion. Les programmes de soutien aux patients sont souvent impliqués, nécessitant une inscription à l'aide d’un formulaire détaillé. En outre, ces thérapies demeurent onéreuses, avec des coûts variant entre 5 000 $ et 20 000 $ par an, et les payeurs publics comme privés demandent fréquemment des formulaires supplémentaires pour obtenir une autorisation spéciale. Évidemment, toutes ces tâches nécessitent plus de temps après la consultation. Il n’est pas rare qu’après avoir décidé ensemble d’un traitement avec un patient, nous découvrions ensuite que l’assurance du patient ne couvre pas ce traitement en première ligne en raison du système de paliers (un problème majeur avec les payeurs privés dont les critères ne sont pas transparents). Cela engendre un travail supplémentaire et actuellement non rémunéré.
Nos collègues non-rhumatologues nous ont dit qu’ils ne comprenaient pas comment une consultation d’initiation ou de changement de traitement biologique pouvait être assimilée à une consultation de suivi standard. De plus, avant d’entamer une thérapie avancée, il est nécessaire de remplir une liste de vérification de la sécurité biologique. Les patients peuvent avoir besoin de mises à jour de leurs vaccinations, d’une attention particulière à d’autres facteurs de risque, et le consentement éclairé concernant les éventuels effets indésirables doit être documenté.
Nous cherchons à obtenir du soutien en établissant une analogie avec les codes de visite pour les patients hospitalisés. Auparavant, en Ontario, il existait un seul code de facturation pour toutes les visites de médecine interne pour les patients hospitalisés, et ce, pendant les cinq premières semaines de leur admission à l’hôpital. Finalement, on a reconnu qu’il y avait une plus grande intensité associée aux visites le premier jour à l’hôpital, le deuxième jour à l’hôpital et le dernier jour à l’hôpital lorsqu’un patient reçoit son congé. De nouveaux codes ont été ajoutés pour ces jours, avec une valeur supérieure aux frais de visite quotidiennes standard. Il s’agit de la même différence à laquelle nous sommes confrontés lorsque nous effectuons une visite d’initiation ou de changement de produit biologique par rapport à une visite de suivi standard, et nous pensons que cela devrait être reconnu dans le barème des frais.
Qu’est-ce qu’un rhumatologue? À en juger par certaines des références que nous recevons et le regard perplexe de nombreux non-spécialistes lorsqu’ils entendent le terme « rhumatologue », nous sommes certainement l’une des spécialités les plus mal comprises. Nous devons rassurer les payeurs sur le fait que nos intentions sont bonnes et qu’avec un financement adéquat, il n’y a aucune limite à ce que nous pouvons accomplir pour aider nos patients à obtenir de meilleurs résultats. Peut-être qu’à ce moment-là, la rhumatologie pourra retrouver son statut de la « spécialité la plus heureuse »2,3.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR,
North York (Ontario)
Références :
1. Don’t let me be misunderstood. The Animals. 1965. Disponible au www.youtube.com/watch?v=ZAR6IhgekHw. Consulté le 12 novembre 2024.
2. Tate, Rachel. Why Rheumatologists are the Happiest. 2019. Disponible au rheumnow.com/blog/why-rheumatologists-are-happiest. Consulté le 12 novembre 2024.
3. James R. O’Dell, MD. The Happiest Specialty: Rheumatology Is #1! Juillet 2012. Disponible au www.the-rheumatologist.org/article/the-happiest-specialty-rheumatology-is-1/. Consulté le 12 novembre 2024.
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