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Été 2024 (Volume 34, numéro 2)

Entrevue avec la Dre Nicole Johnson, lauréate du prix Formateur d’enseignants émérite 2024 de la SCR

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D’où croyez-vous que provient votre passion pour la formation médicale?
J’ai grandi avec des parents qui priorisaient l’enseignement supérieur et l’apprentissage tout au long de la vie. La devise de mon père était qu'« aucune éducation n’est une éducation inutile ». Cette devise me vient à l'esprit chaque fois que je suis confrontée à une lacune dans mes connaissances, et j’aborde donc ce nouvel apprentissage avec enthousiasme. J’ai été en mesure de faire connaître cette devise à mes apprenants et de leur transmettre mon enthousiasme. Au début de ma formation médicale, on m’a confié les responsabilités de résidente en chef. C’était bien avant que n’apparaisse le rôle, aujourd’hui discret, du « résident enseignant », et j’estimais que l’enseignement était un élément clé du rôle du résident en chef. J’élaborais des modules d’enseignement pour les étudiants en médecine, les collègues pédiatres et les stagiaires externes. Après mes séances de mini-enseignement, d’enseignement didactique et d’enseignement au chevet des patients, je constatais leurs progrès et leur capacité accrue à contribuer aux soins des patients. Cela m’incitait à poursuivre mes études de médecine.

Bien entendu, le fait d’avoir été entouré d’excellents enseignants en médecine tout au long de ma formation et de mon expérience professionnelle continue de me motiver à apporter ma contribution en tant qu’enseignante en médecine. Je me réjouis de voir mes étudiants et parfois mes patients choisir un parcours médical similaire au mien et je suis encore plus satisfaite de les voir me dépasser dans leur réussite.

Avez-vous le souvenir d’un enseignant qui vous a inspirée et qui a orienté votre propre parcours vers l’enseignement?
De nombreux enseignants m’ont influencée d’une manière ou d’une autre, et je me sens privilégiée d’avoir autant de mentors. J’ai l’impression d’avoir des enseignants autour de moi tous les jours. Mes premiers enseignants ont certainement été mes parents et les aînés de ma famille, qui m’ont enseigné des compétences de vie et des valeurs telles que la compassion, l’empathie et l’intégrité. C’est avec eux qu’a commencé mon parcours d’apprentissage tout au long de la vie. Au cours de mes années de formation, j’ai eu des enseignants et des camarades de classe à l’école primaire et élémentaire qui m’ont enseigné la valeur de la communauté et de l’humilité culturelle, alors que je rencontrais constamment de nombreuses nationalités et cultures en grandissant dans les Caraïbes, le Pacifique Sud, l’Afrique et le Canada.

En pédiatrie, j’ai bénéficié très tôt des conseils de la directrice de l’externat, qui était une fervente défenseuse des étudiants. Elle m’a enseigné la valeur de la création d’un environnement d’apprentissage inclusif afin de favoriser l’apprentissage des étudiants et d’influencer les soins aux patients qu’ils peuvent fournir ainsi que le soutien à l’équipe médicale. Cela ne veut pas dire qu’elle n’avait pas des attentes élevées en ce qui concerne les résultats des élèves, mais plutôt qu’elle leur permettait d’apprendre et d’exceller potentiellement dans son environnement.

En rhumatologie, ma formation à l’Hôpital pour enfants malades Sick Kids a été une source d’inspiration. J’ai rencontré l’équipe pour la première fois en tant que résidente en pédiatrie et j’ai immédiatement ressenti la sagesse qui m’entourait. J’ai été impressionnée par leurs solides compétences cliniques et leur capacité à diriger les soins à l’hôpital pour les cas complexes. L'équipe fournit un leadership clinique à l’échelle internationale, ainsi que dans l’enseignement et la recherche. Chaque jour passé à la clinique était un moment d’apprentissage, que ce soit au chevet des patients, en tête-à-tête à la clinique ou dans la préparation d’une présentation à une conférence grâce aux conseils personnalisés que je recevais. J’ai retenu de cette expérience la valeur des antécédents médicaux et d’un examen physique ainsi que la valeur du travail d’équipe pour faire avancer le département. J'ai aussi appris sur l'importance de la lecture autour de chaque cas. En retournant à la littérature, vous voyez s'il y a des avancées pour soutenir votre patient, et cela aide aussi à développer des questions cliniques pour alimenter de nouvelles recherches dans le domaine.

À Calgary, mes collègues ont également contribué à ma formation en rhumatologie. Là-bas, il s’agissait d’apprendre à construire en collaboration un programme à partir de débuts modestes pour en faire un programme clinique, de formation et de recherche couronné de succès. Mes mentors de formation à Calgary m’ont appris la valeur de l’amélioration continue des programmes. Mes élèves contribuent également à mon enthousiasme pour de nouveaux apprentissages grâce aux questions qu’ils posent. En les observant, je découvre de nouvelles perles cliniques. Enfin, mes patients m’apprennent chaque jour à comprendre le privilège qui m’est donné de pouvoir les accompagner dans leur parcours médical.

Vous êtes lauréate de nombreux prix pour votre enseignement et vos formations, Vous avez reçu de nombreux prix pour votre enseignement et votre formation, notamment le prix CARE pour l'enseignement décerné par le département de pédiatrie en 2023. De plus, plusieurs de vos étudiants d’été de la Société canadienne de rhumatologie (SCR) sont inspirés à poursuivre une carrière en rhumatologie. En tant que formatrice d’enseignants respectée, que conseilleriez-vous aux futurs rhumatologues et à ceux en début de carrière?
Je dis à tous mes stagiaires, qu’ils prévoient poursuivre ou non en rhumatologie, que l’expérience en rhumatologie leur apprendra à communiquer efficacement, à effectuer des examens physiques astucieux et à interpréter les résultats d’examens avec acuité. Étant donné que nos maladies peuvent affecter l’ensemble du corps en une seule fois ou au fil du temps, j’explique aux stagiaires qu’ils apprendront à recueillir de nombreuses données et qu’ils devront apprendre à traiter toutes ces informations pour trouver le diagnostic unificateur. Ces compétences sont transférables à n’importe quelle discipline médicale et amélioreront leurs compétences en tant que cliniciens. Je leur rappelle que le rhumatologue joue souvent le rôle de détective en médecine. Nous devons quelques fois nous accommoder de l’incertitude et prendre des décisions, parfois sans diagnostic clair, pour sauver une vie. Le rhumatologue peut être confronté à des situations difficiles mettant en jeu le pronostic vital, pendant qu’il doit soutenir les patients à certains des moments les plus critiques de leur vie. Le rhumatologue peut devenir le quart arrière dans le domaine pour préconiser et diriger le traitement afin de soutenir simultanément plusieurs collègues de différentes disciplines. Pour effectuer ce travail efficacement, le rhumatologue doit acquérir très tôt des compétences en matière de collaboration afin de créer autour de lui un système de soutien. Je leur rappelle que la chronicité des maladies rhumatologiques peut être la bénédiction et le défi des maladies que nous traitons, mais que nous pouvons accompagner nos patients tout au long de leur parcours en leur offrant la possibilité d’améliorer leur qualité de vie et en leur donnant de l’espoir. Le domaine évolue rapidement à mesure que nos connaissances en immunologie s’améliorent et que nos traitements se développent. Pour les rhumatologues en début de carrière, je discute de mon expérience au sein d’une communauté rhumatologique nationale et internationale qui s’entraide sur le plan professionnel et personnel, de sorte qu’ils comprennent qu’ils rejoignent une grande famille.

La Dre Nicole Johnson recevant son prix des mains du président sortant de la SCR, le Dr Nigil Haroon, lors de l'ASA de la SCR à Winnipeg en février 2024.

Vous avez fait plusieurs apparitions dans les médias pour défendre les intérêts des enfants et des adolescents atteints de maladies rhumatismales et vous avez présenté des exposés sur la rhumatologie pédiatrique à des associations médicales nationales et internationales. Depuis 10 ans, vous dirigez les stages facultatifs en rhumatologie pédiatrique à l’Université de Calgary. Vous avez également agi à titre d’examinatrice pour l’examen de rhumatologie du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. De plus, vous êtes coordonnatrice de l’évaluation pour l’externat de pédiatrie pour la Cumming School of Medicine (CSM) et membre du comité d’examen des dossiers de formation des étudiants pour la CSM. Vous occupez désormais un nouveau poste en tant que directrice associée des admissions en médecine à la CSM. Compte tenu de l’énorme travail que vous avez accompli dans le domaine de l’enseignement médical, comment voyez-vous l’avenir de l’enseignement médical?
J’ai toujours été partisane des évaluations observées des apprenants, et j’adhère donc à l’apprentissage basé sur les compétences. En observant les apprenants, vous pouvez voir directement leurs points forts et leurs points à améliorer. L’apprentissage basé sur les compétences pousse également les enseignants à être plus réfléchis dans leur processus de rétroaction afin de donner une rétroaction constructive et spécifique aux apprenants. Ce type d’apprentissage nous demande également de nous adapter aux besoins spécifiques de l’apprenant, ce qui permettra à chacun d’entre eux de donner le meilleur de lui même. Mon espoir pour l’avenir est que nous soyons habiles en tant qu’enseignants pour répondre aux divers besoins des apprenants. L’évolution de la médecine vers une communauté plus inclusive est également importante pour moi. Nous avons besoin d’un programme d’études médicales plus inclusif qui ne met pas l’accent sur l’homme caucasien comme étant une norme et qui comprend que les patients ont des origines diversifiées.

J’aimerais que les principes de compétence structurelle soient enseignés de manière plus universelle. Plutôt que d'enseigner que les déterminants sociaux de la santé sont les conséquences des choix de vie individuels, nous devons nous efforcer de comprendre comment les obstacles en amont et les facteurs systémiques conduisent aux comportements d'un patient en matière de santé. Ce faisant, nous serions plus à même de trouver des solutions aux défis en matière de soins de santé, ce qui nous permettrait de surmonter tout sentiment de futilité dans l’amélioration de l’état de santé de nos patients. En outre, j’aimerais que nous formions des médecins de diverses origines, afin que notre communauté médicale reflète la même diversité que les patients que nous servons. Cette diversité ne consiste pas seulement à accroître la capacité des personnes sous-représentées dans la médecine à servir la profession, mais aussi à reconnaître la valeur qu’elles apportent en améliorant les connaissances des gens qui les entourent, y compris le personnel, les collègues et les patients, et en rehaussant les normes pour nous tous en ce qui concerne la qualité des soins de santé que nous fournissons.

Alors que nous nous appuyons sur la diversité de notre communauté médicale, nous devons simultanément nous attaquer aux obstacles et à la discrimination auxquels sont confrontés nos prestataires de soins de santé et nos patients d’origines diverses. Nombreux sont ceux qui, au sein de notre communauté, comprennent fondamentalement cette situation, mais peinent à trouver les moyens d’adopter ces changements. Des changements individuels et organisationnels seront nécessaires pour parvenir à une société plus inclusive. La première étape consistera à reconnaître qu’un changement est nécessaire, puis à éduquer et responsabiliser chaque personne pour qu’elle prenne des mesures progressives afin de lutter contre les préjugés dans le recrutement et l’évaluation des apprenants et du personnel. Dans nos sphères d’influence, nous pouvons nous demander qui ne participe pas à la prise de décision et comment les décisions peuvent influer sur ceux qui ne sont pas représentés en tant que décideurs. Nous devons redéfinir ce que signifie le professionnalisme dans la profession afin d’inclure l’humilité culturelle et la lutte contre la discrimination comme principes fondamentaux, ainsi que toutes les autres qualités que nous admirons et valorisons chez les médecins. Notre nouvelle génération d’apprenants saisit ces concepts, et nous devons également adopter ces principes. Ces changements progressifs auront un impact considérable sur l’évolution de notre culture médicale, au sein de laquelle nous bénéficierons tous d’un sentiment d’appartenance et renforcerons notre capacité à fournir des soins de qualité à notre population diversifiée de patients.

Outre la défense des intérêts des enfants et des jeunes atteints de maladies rhumatismales, vous vous êtes également engagée dans la lutte contre le racisme envers les Noirs. Vous occupez les postes de responsable du co-programme de formation postdoctorale à l’équité raciale en soins de santé à la SCM, présidente du Groupe de travail sur la diversité et l’inclusion de la Société canadienne de rhumatologie et membre du conseil d’administration et médecin responsable du programme de mentorat des étudiants en médecine de la Black Physicians’ Association of Alberta. En outre, votre contribution à l’inspiration des femmes et des filles dans le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques a été reconnue par le prix d’excellence en STIM (Calgary Black Achievement Award) décerné par les Calgary Black Chambers en 2021. En 2023, vous avez reçu le premier prix de mentorat décerné par les Médecins noirs du Canada. Pourquoi était-il si important pour vous de vous impliquer dans la lutte contre le racisme envers les Noirs et les femmes dans les STIM?
Pour moi, soutenir les femmes et les filles dans le domaine des STIM, c’est donner au suivant. Ma famille, y compris mes grands-parents et mes parents, a milité pour que les filles aient les mêmes chances que les garçons en matière d’éducation, à une époque où il n’était pas habituel de défendre les intérêts des femmes. On m’a encouragé à explorer tous mes centres d’intérêt et j’ai pris très tôt goût aux sciences. Je me suis aperçue que cela venait d’une exposition précoce et d’un environnement favorable. J’espère offrir cette visibilité et cet encouragement aux femmes qui n’ont peut-être pas reçu le même soutien que moi. Je pense également que nous ne discutons pas suffisamment de l’histoire des femmes en médecine et dans les STIM, afin que les pionnières soient comprises et célébrées. Si les jeunes femmes ne voient pas de modèles dans ce domaine, elles ne penseront peut-être pas qu’elles peuvent jouer un rôle dans les carrières en STIM; c’est pourquoi je suis heureuse d’être une modèle pour d’autres apprenantes.

Mon enthousiasme pour la lutte contre le racisme envers les Noirs dans l’enseignement médical vient de ma propre expérience. Tout au long de ma formation, j’ai été confrontée à de nombreux cas de discrimination raciale qui m’ont influencée. Sans mes grands mentors et les personnes qui me soutiennent, j’aurais pu vaciller en cours de route après ces diverses expériences discriminatoires. J’ai appris à faire face aux micro-agressions et à me défendre, mais tous les apprenants racialisés n’ont pas appris ces techniques de résilience. En effet, nous devrions arriver à un point où les micro-agressions et la discrimination ne seront plus des aspects courants ou acceptés de notre culture médicale, mais d’ici là, nous devons travailler, sensibiliser et apporter des stratégies pour éliminer la discrimination en médecine, pas seulement pour nos stagiaires, mais pour tous ceux qui travaillent dans le domaine des soins de santé et, surtout, pour nos patients. Le Canada a déclaré que le racisme était un déterminant social de la santé et, à ce titre, nous avons l’obligation de nous y attaquer pour améliorer l’état de santé des gens au pays.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fière?
D’un point de vue professionnel, le prix Formateur d’enseignants émérite de la SCR a été un moment fort pour moi. Depuis que je suis spécialiste en rhumatologie, j’admire les éducateurs qui ont déjà reçu ce prix. Je suis restée sans voix lorsque j’ai appris que j’étais la lauréate de 2024. La plupart de mes travaux ont été réalisés en médecine de premier cycle et n’étaient pas spécifiquement axés sur la rhumatologie ou dans le cadre d’un programme de résidence, et j’ai donc été surprise de savoir que mon travail avait été remarqué par la famille des rhumatologues.

D’un point de vue personnel, je chéris ma famille et mes amis et je suis heureuse d’être connue comme étant le lien qui unit tout le monde.

Quelles sont vos autres passions en dehors de la rhumatologie et de l’enseignement en médecine? Que feriez-vous si vous n’aviez pas choisi la rhumatologie?
J’adore voyager et me rapprocher de mes amis et de ma famille dans le monde entier. Je dirais que sortir du froid et aller dans une destination tropicale quand je le peux est également une passion.

Quelle est votre nourriture ou cuisine préférée?
J’apprécie tous les types de cuisine, puisque j’ai grandi dans le monde entier.

On vous offre un billet d’avion pour la destination de votre choix. Quelle serait-elle?
C’est une question difficile pour moi, car il y a tellement d’endroits où j’ai des amis et de la famille. Toutefois, avec ce billet d’avion, je retournerais aux îles Fidji. Je suis restée en contact avec des camarades de classe des années 80 et j’aimerais beaucoup les revoir et découvrir la diversité de la culture là-bas.

Nicole Johnson, M.D., FRCPC
Rhumatologue pédiatrique,
Professeure agrégée de clinique,
Université de Calgary
Présidente, Groupe de travail sur l’équité, la diversité et l’inclusion,
Société canadienne de rhumatologie
Calgary (Alberta)

Références :

1. Dryden O, Nnorom O. Time to dismantle systemic anti-Black racism in medicine in Canada. CMAJ. 2021;193(2):E55-7. Erratum dans : CMAJ 2021;193(7):E253

2. Commission de vérité et de réconciliation du Canada : appels à l’action. Winnipeg, MB : Commission de vérité et de réconciliation du Canada; 2015. Disponible à l’adresse https://nctr.ca/records/reports/#trc-reports. Consulté le 20 mai 2024.

3. Agence de la santé publique du Canada. Déterminants sociaux et iniquités en santé des Canadiens Noirs : un aperçu. 2020. Disponible à l’adresse https://www.canada.ca/en/public-health/services/health-promotion/population-health/what-determines-health/social-determinants-inequities-black-canadians-snapshot.html. Consulté le 20 mai 2024.

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