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Printemps 2023 (Volume 33, numéro 1)

Comment gérer la fibrose rétropéritonéale?

Vandana Ahluwalia, M.D., FRCPC, Luke Y. Chen, M.D., FRCPC, M.M. Éd., et Mollie Carruthers, M.D., FRCPC

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Le patient :
Un homme de 42 ans d’origine iranienne s’est présenté initialement parce qu’il éprouvait une gêne dans la région périombilicale. En Iran, une tomodensitométrie a montré une atténuation des tissus mous entourant l’aorte depuis les vaisseaux infrarénaux jusqu’à la bifurcation iliaque commune. La masse mesurait 5,7 cm x 3,0 cm x 5,9 cm. Il a reçu un traitement empirique à la prednisone mais, après un sevrage complet des stéroïdes, la masse est réapparue. Le patient a subi une biopsie guidée par tomodensitométrie qui a montré une inflammation chronique accompagnée de lymphocytes, de plasmocytes et d’éosinophiles et compatible avec une fibrose rétropéritonéale. On a recommencé le traitement à la prednisone, à laquelle s’est ajouté le mycophénolate, médicament qu’il prenait toujours lorsqu’il nous a été présenté.

Les analyses faites au Canada ont montré une fonction rénale normale, comprenant un relevé de créatinine de 81 μmoL/L (la normale étant de 60-155 μmoL/L) et un débit de filtration glomérulaire estimé à 103 mL/min (la normale étant > 59 mL/min). L’hémogramme, les électrolytes, les enzymes hépatiques et l’analyse d’urine étaient normaux. La protéine C-réactive (CRP) était élevée, soit à 19,1 mg/L (la normale étant < 3,1 mg/L). La protéine totale était élevée, soit à 84 g/L (la normale se situant entre 62 et 80 g/L). Le taux d’IgG4 était normal à 0,719 g/L (la normale se situant entre 0,052 et 1,25 g/L).

Le patient a ensuite rencontré des spécialistes aptes à formuler des recommandations pour le diagnostic et la gestion de la fibrose rétropéritonéale.

Introduction
La fibrose rétropéritonéale (FPR) a été décrite pour la première fois en 19481 par John Ormond, un urologue américain. Selon lui, elle prend la forme d’un tissu scléreux dans le rétropéritoine, situé généralement à proximité de l’aorte ou de l’os iliaque et enveloppant des structures adjacentes. Les symptômes les plus courants, à la présentation, sont des douleurs à l’abdomen, au dos ou au flanc accompagnées de symptômes constitutionnels2. Les patients peuvent également présenter une insuffisance rénale aiguë attribuable à une obstruction urétérale, avec une fibrose rétropéritonéale mise en évidence lors de la tomodensitométrie de l’abdomen ou du bassin. Un oedème périphérique peut également être présent en raison de la compression des veines iliaques dans le bassin3.

La fibrose rétropéritonéale est une maladie rare; une étude néerlandaise a notamment rapporté une incidence de 1,3 patient atteint par tranche de 100 000 personnes2. Il y a une prédominance masculine et l’âge médian d’apparition est de 64 ans2. Historiquement, les patients étaient pris en charge par un urologue avec une surveillance en série de l’hydronéphrose et la pose en série d’une endoprothèse urétérale3.

Scheel et coll. ont proposé une définition de la fibrose rétropéritonéale qui ne repose pas sur la pathologie. Elle comprend : 1) l’identification par tomodensitométrie (CT) ou imagerie par résonance magnétique (IRM) d’une densité de tissus mous entourant les vaisseaux infrarénaux ou iliaques; 2) l’absence de dilatation anévrismale de l’aorte infrarénale; 3) l’absence de masse intra-abdominale ou pelvienne; 4) l’absence de malignité soupçonnée d’après l’histoire et l’examen physique; et 5) un dépistage négatif du cancer adapté à l’âge4. Une définition axée sur la radiographie est importante, mais ne tient pas compte précisément de l’étiologie de la fibrose rétropéritonéale, car la prise en charge diffère selon la cause sous-jacente. Le profil réunissant l’atteinte aortique, l’atteinte urétérale, la présence de ganglions lymphatiques ou l’extension à la paroi pelvienne n’est pas prédictif, du point de vue radiographique, de la maladie sous-jacente5.

Quelles sont les causes de la fibrose rétropéritonéale?
La pathogenèse de la fibrose rétropéritonéale n’est pas connue6. Cependant, lorsque la maladie est repérée à partir de biopsies chirurgicales ou guidées par CT, certains profils se dessinent. Malheureusement, il n’y a pas eu d’analyse prospective des résultats de biopsies dans le cas de la fibrose rétropéritonéale. Les cas de fibrose rétropéritonéale rapportés révèlent une prévalence élevée de fibrose idiopathique et liée aux IgG45. Dans l’étude de Khosroshahi, tous les patients porteurs d’un diagnostic antérieur de tumeur maligne ont été exclus. Cela est conforme aux travaux antérieurs publiés, selon lesquels l’association ou la relation de cause à effet entre la fibrose rétropéritonéale et la malignité est difficile à quantifier6. On peut affirmer sans crainte qu’une maladie liée aux IgG4 est la cause de la fibrose rétropéritonéale dans 30 à 57 % des cas6. La détermination de la présence d’une telle maladie peut représenter l’une des considérations les plus importantes, car cette affection systémique risque d’évoluer au fil du temps.

On a proposé diverses associations entre la fibrose rétropéritonéale et d’autres pathologies telles que l’athérosclérose, la prise de certains médicaments et les maladies du tissu conjonctif3. Dans les cas où le tissu présente clairement l’une de ces affections, il est possible d’établir un lien de causalité. Ce serait le cas avec le lymphome, par exemple, lorsque l’infiltration des tissus mous rétropéritonéaux montre une prolifération clonale de lymphocytes B7. De même, lorsque l’adventice de l’aorte présente une infiltration granulomateuse et que les anticorps anti-cytoplasme des neutrophiles sont positifs, on est en présence d’une granulomatose avec polyangéite8. La liste figurant au tableau 1 montre un diagnostic différentiel convenant mieux à la fibrose rétropéritonéale, étant basé sur des preuves histopathologiques et des avis d’experts.

Quelle est la méthode d’investigation appropriée pour la fibrose rétropéritonéale?
En raison de la prévalence élevée d’une maladie liée aux IgG4 dans la fibrose rétropéritonéale, il est logique d’effectuer un bilan clinique complet pour dépister une maladie systémique liée aux IgG4 (se reporter au tableau 2). La nature systémique des maladies liées aux IgG4 rend difficile la reconnaissance des manifestations lors du diagnostic clinique. Par ailleurs, les sous-classes d’IgG sont des biomarqueurs peu fiables aux fins de diagnostic, avec une spécificité de 90 % et une sensibilité de 60 % selon une étude menée dans un seul centre9. Un profil typique de maladie liée aux IgG4 est conforme aux critères de classification récemment établis par l’American College of Rheumatology (ACR) et la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR)10. Ces critères de classification restent toutefois fortement dépendants de l’histopathologie; par conséquent, la plupart des cas de maladie liée aux IgG4 nécessitent une confirmation par biopsie11. La fibrose rétropéritonéale liée aux IgG4 se présente comme une fibrose storiforme accompagnée d’un enrichissement en IgG4 et cellules plasmatiques dans un rapport IgG4/IgG supérieur à 40 %. La fibrose rétropéritonéale idiopathique présente au contraire des follicules lymphoïdes, une fibrose non storiforme étendue et un faible rapport IgG4/IgG. Les patients ne présentent pas non plus d’atteinte extra-abdominale.

Pour la fibrose rétropéritonéale comme pour les maladies liées aux IgG4, une biopsie chirurgicale ou guidée par tomodensitométrie est souvent nécessaire. Si un autre organe risque d’être atteint d’une maladie liée aux IgG4, comme une glande submandibulaire, l’organe le plus facilement accessible fera de préférence l’objet de la biopsie. Compte tenu des différentes causes de la fibrose rétropéritonéale énumérées au tableau 1, la prise en charge sera très différente selon qu’il s’agit d’une affection à médiation immunitaire, d’une tumeur maligne ou d’une infection.

Le patient index a été évalué en clinique et l’on soupçonnait une maladie liée aux IgG4. Il était asymptomatique à ce moment- là. À l’examen physique, on a découvert un gonflement submandibulaire bilatéral. La tomodensitométrie du cou, de la poitrine, de l’abdomen et du bassin a révélé une hypertrophie bilatérale de la glande submandibulaire et une lymphadénopathie médiastinale et hilaire bilatérale. La masse attribuable à la fibrose rétropéritonéale avait diminué de taille et mesurait maintenant 5,1 cm x 2,7 cm x 5,2 cm. La figure 1 montre la vue axiale caractéristique de la fibrose, illustrant l’encastrement de l’aorte abdominale dans les tissus mous au niveau des vaisseaux rénaux. Les lames d’histopathologie de la masse rétropéritonéale, rapportées d’Iran par le patient, ont été examinées à la British Columbia Cancer Agency. La pathologie a permis de diagnostiquer une maladie liée aux IgG4, notamment sur la base d’une infiltration lymphoplasmocytaire, d’une fibrose storiforme et d’une phlébite oblitérante avec un rapport IgG4/IgG supérieur à 40 %. Ce patient a reçu un diagnostic de maladie liée aux IgG4 après cet examen de la biopsie.

Figure 1. Tomodensitométrie axiale avec contraste montrant un épaississement maximal de 2,5 cm des tissus mous entourant l’aorte, indiqué entre deux flèches blanches

Quel est le mode de prise en charge approprié pour une fibrose rétropéritonéale liée aux IgG4?
Un traitement adéquat des maladies liées aux IgG4 est en cours d’élaboration. Le traitement est en grande partie fondé sur la prednisone12. Les autres options, pour une maladie liée aux IgG4, comprennent notamment les antirhumatismaux à action lente, dont le plus populaire est le mycophénolate13,14. Le rituximab s’est révélé efficace pour la maladie liée aux IgG4 comme pour la fibrose rétropéritonéale idiopathique15,16,17. Des études en cours portent sur de nouveaux agents destinés particulièrement à la maladie liée aux IgG4.

Le patient index était réfractaire autant à la prednisone qu’au mycophénolate. On a commencé un traitement par rituximab, mais le suivi du patient a été interrompu après une seule série.

Vandana Ahluwalia, M.D., FRCPC
Rhumatologue
Système de santé William Osler
Brampton (Ontario)

Luke Chen, M.D., FRCPC, M.M. Éd.
Professeur agrégé de clinique en hématologie,
Université de la Colombie-Britannique
Vancouver (Colombie-Britannique)

Mollie Carruthers, M.D., FRCPC
Rhumatologue et chercheuse clinique
Arthritis Research Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)

Références :

1. Ormond JK. Bilateral ureteral obstruction due to envelopment and compression by an inflammatory retroperitoneal process. J Urol. 1948; 59(6):1072-9.

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4. Scheel PJ Jr, Feeley N. Retroperitoneal fibrosis: the clinical, laboratory, and radiographic presentation. Medicine. 2009; 88(4):202-7.

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10. Wallace ZS, Naden RP, Chari S, et coll; Members of the ACR/EULAR IgG4-RD Classification Criteria Working Group. The 2019 American College of Rheumatology/European League Against Rheumatism classification criteria for IgG4-related disease. Ann Rheum Dis. 2020; 79(1):77-87.

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