Printemps 2023 (Volume 33, numéro 1)
Concilier épuisement professionnel,
réduction de la charge de travail
et pertinence
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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Récentes scènes dans mon bureau : Une de mes patientes
passe à un autre rhumatologue plus proche de chez elle.
Elle me dit que je vais lui manquer, notamment parce
que je l’ai aidée à avoir accès à WheelTrans (un service de mobilité
pour les personnes ayant un handicap). Pourrais-je faire
une dernière chose pour elle et remplir son formulaire de crédit
d’impôt pour personnes handicapées (CIPH)? Malheureusement,
je dois répondre non, car les critères pour le CIPH sont
plus stricts que ceux pour l’aide à la mobilité.
La patiente suivante, perchée sur le siège de son déambulateur,
se présente avec une enveloppe rouge vif. Étant donné que
nous nous sommes en janvier, cela pourrait être une carte pour
notre bureau pour le Nouvel An ou le Nouvel An lunaire. Mais
ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, elle me présente un formulaire
provenant d’un petit pays situé à des milliers de kilomètres,
dans lequel on me demande de confirmer que ma patiente est
toujours vivante. Un peu comme pour les anciennes demandes
de passeport canadien, lorsque seuls certains professionnels
pouvaient être considérés comme étant des répondants. Il y
a apparemment un grand nombre de supercentenaires frauduleux1,
mais ma patiente n’a que 70 ans. Je ris quand je vois
qu’une signature et un cachet du cabinet sont requis; oui, j’en
ai un qui date d’il y a 30 ans, mais la plupart des médecins n’en
ont probablement plus.
La rhumatologie était autrefois appelée « la spécialité la
plus heureuse »2. Aujourd’hui, les études indiquent que nous
avons des niveaux élevés d’épuisement professionnel, même
les enquêtes menées lors de la conférence hivernale de rhumatologie
à Maui2! Ma boîte de réception et mon fil de médias
sociaux médicaux sont inondés de liens vers des articles sur
l’épuisement professionnel, la charge de travail et les formulaires.
Lire tout cela serait dangereux pour la santé mentale. Par
conséquent, notre comité de rédaction a décidé que le numéro
thématique du Journal de la Société canadienne de rhumatologie
(JSCR) sur le sujet devrait porter sur le bien-être plutôt que sur
l’épuisement professionnel, afin de donner une tournure plus
positive à la question.
Tout le monde semble d’accord pour dire que l’épuisement
professionnel est lié à des problèmes systémiques. Ainsi, nous
sommes maintenant engagés dans la réduction de la charge de
travail. Le Medical Post a mentionné un comité de réduction de
la charge de travail en Colombie-Britannique, et Doctors Nova
Scotia a fait la une des journaux avec ses enquêtes sur le temps
que les médecins consacrent aux tâches administratives. Même
la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)
s’est ralliée à notre cause, étant donné l’importance de la santé
pour les entreprises et le fait que la plupart des cabinets médicaux
sont des petites entreprises. L’un des attraits des grandes
sociétés et des cliniques médicales gérées par des investisseurs
est qu’elles prétendent s’occuper de l’aspect commercial, libérant
les médecins pour qu’ils se concentrent sur la pratique
médicale. Bien sûr, la charge des formulaires incombe toujours
aux médecins. À l’Ontario Medical Association (OMA), nous
avons un comité des formulaires qui s’attaque au défi, et notre
dévouée Dre Jane Purvis en est une membre très motivée.
Sur l’autre côté de la médaille de la charge de travail, on a la
pertinence. Nous connaissons tous les cas de prescription inappropriée
de tests d’AANa, FRb, anti-CCPc, ENAd, et d’imagerie
comme l’IRMe du genou lorsque des radiographies simples ont
déjà montré une arthrose. Choisir avec soin Canada travaille sur
la question, mais si l’on en croit les demandes de consultation
qui passent par mon bureau, il reste beaucoup de travail à faire
pour atteindre ses objectifs. Notre demande provinciale normalisée
d’analyses de laboratoire a adopté une approche différente;
on ne commande plus certains tests en cochant une case
mais en écrivant ou en tapant le nom du test de laboratoire.
Cela fonctionne apparemment pour des tests comme la TSHf
et la ferritine. Pour quelques tests, à savoir l’APSg et le taux de
vitamine D, il existe des cases à cocher pour indiquer si le test
est payé par le gouvernement, ou s’il est non assuré et facturé
au patient.
En matière d’IRM, dans un récent billet de blogue, le
Dr Sohail Gandhi, ancien président de l’OMA, mentionnait que
pour commander une IRM à titre de médecin généraliste, il a
dû remplir un formulaire de pertinence de l’IRM en plus de la
demande d’IRM4. Cela n’a pas semblé le déranger, mais nous
sommes tous confrontés au combat entre « charge de travail »
et « pertinence ».
Autres exemples de ce combat : recevoir une note de consultation
avec le seul mot « arthrite? » réduit la charge du médecin
qui envoie la demande de consultation, mais augmente
la charge de triage du consultant. L’envoi d’une centaine de
pages de résultats de laboratoire en double avec la demande
de consultation peut également réduire la charge de travail
du médecin généraliste (« transmettez par télécopie le dossier
complet, svp »), mais la charge de travail de notre côté n’est
pas moindre. Et que dire de l’une de mes sources de demandes
de consultation les plus fréquentes qui ne sait pas comment
joindre des documents à sa lettre de consultation? Nous
sommes ainsi devenus experts dans la fusion de diverses catégories
de tests d’imagerie et de résultats de laboratoire en un
seul document.
La dernière escarmouche au bureau dans la guerre contre la
charge de travail : j’ai vu un patient il y a quelques mois pour
une arthrose du genou. Des injections ont été données et j’ai
dit au médecin généraliste que le patient pourrait être orienté
vers une clinique d’évaluation orthopédique régionale si une
chirurgie de remplacement du genou était souhaitée à l’avenir.
La clinique d’évaluation régionale exige un formulaire de demande
de consultation précis (charge de travail). Récemment,
j’ai reçu un document du service régional de soins à domicile
contenant une radiographie du genou mise à jour, ma dernière
note et un formulaire vierge de demande de consultation à
une clinique d’évaluation régionale. La situation était claire :
le médecin généraliste avait fait une demande de consultation,
mais le formulaire clé n’avait pas été rempli. Mes options :
retourner le document par télécopieur au médecin généraliste
ou au service de soins à domicile, en précisant que le médecin
généraliste doit remplir le formulaire (réduction de la charge
de travail pour moi, augmentation de la charge de travail pour
le médecin généraliste). Ou, puisqu’il s’agit d’une patiente
commune, que j’ai suggéré la référence orthopédique, que j’ai
rempli le formulaire de la clinique d’évaluation régionale à de
nombreuses reprises et que s’y remplissent automatiquement
la plupart des informations requises à partir de mon dossier
médical électronique (DME), m’en occuper moi-même et avoir
le sentiment d’avoir fait ma bonne action de la journée. J’ai
donc rempli le formulaire et l’ai envoyé au bon endroit. Toutefois,
j’ai également remarqué que la patiente devait apporter
un CD de la radiographie de son genou lors du rendez-vous
(charge de travail et coût pour le patient). Donc, j’ai bouclé la
boucle en appelant la patiente. À ma grande surprise, elle m’a
dit qu’elle avait déjà un rendez-vous à la clinique d’évaluation
régionale la semaine suivante! Conclusion 1 : le médecin généraliste
a certainement rempli le bon formulaire de demande de
consultation. Je ne comprends pas pourquoi on m’a envoyé un
formulaire de demande de consultation vierge. Conclusion 2 :
il est ridicule de qualifier notre situation actuelle de « système »
de soins de santé.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR, Scarborough (Ontario)
Glossaire :
aAAN : anticorps antinucléaires
bFR : facteur rhumatoïde
canti-CCP : anti-peptide cyclique citrulliné
dENA : antigènes nucléaires extractibles
eIRM : imagerie par résonance magnétique
fTSH : thyréostimulineg
gAPS : antigène prostatique spécifique
hCD : disque compact
Références :
1. Newman SJ, Supercentenarian and remarkable age records exhibit patterns indicative of clerical
errors and pension fraud. bioRxiv preprint doi: https://doi.org/10.1101/704080.
2. O’Dell J. The Happiest Specialty: Rheumatology Is #1! The Rheumatologist. Disponible à l'adresse : https://www.the-rheumatologist.org/article/the-happiest-specialty-rheumatology-is-1. Consulté le
1er mars 2023.
3. Tiwari V, Kavanaugh A, Martin G, Bergman M. High Burden of Burnout on Rheumatology Practitioners.
J Rheumatol. 2020: 47(12):1831-1834. doi: https://doi.org/10.3899/jrheum.191110.
4. Gandhi S. Moving Procedures to IHFs is a Step in the Right Direction (billet du 17 janvier 2023).
Disponible à l'adresse : https://justanoldcountrydoctor.com. Consulté le
1er mars 2023.
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