Été 2023 (Volume 33, numéro 2) Conférence Dunlop-Dottridge : l’évolution de l’AJI
Par Rae S. M. Yeung, M.D., Ph. D., FRCPC
Télécharger la version PDF
La Dre Rae S. M. Yeung a donné la conférence Dunlop-Dottridge sur
l'évolution de l'AJI lors de l'ASA de la SCR en février 2023 à Québec.
Le Grand débat est depuis longtemps un moment fort de l’Assemblée
scientifique annuelle de la Société canadienne de
rhumatologie. Cette année, le débat s’est rendu à la conférence
Dunlop-Dottridge, dont le thème était l’évolution continue de la
classification et de la nomenclature de l’arthrite juvénile idiopathique
(AJI). Les bons classificateurs rassemblent les patients similaires
dans les cliniques et pour la recherche, lorsqu’il est nécessaire
d’effectuer des comparaisons appropriées entre les études et les
pays, afin d’améliorer le traitement et l’accès aux médicaments. Les
systèmes actuels de classification de l’arthrite juvénile sont principalement
fondés sur le phénotype clinique et ont tendance à incorporer
plus de biologie dans les futures taxonomies de la maladie.
Les caractéristiques utilisées pour classer les patients comprennent
l’âge (plus ou moins de 16 ans) et le site de l’inflammation (arthrite
ou enthésite). Les résultats de laboratoire de base comprennent les
fondements génétiques de la maladie (HLAB27), les branches innée
ou adaptative du système immunitaire (AJI systémique ou non
systémique) et la présence ou l’absence d’autoanticorps (facteur
rhumatoïde [FR]). Le Canada a une histoire bien remplie dans ce
débat, et la conférence a mis en lumière les contributions canadiennes
dans ce parcours.
Les premières descriptions de l’arthrite juvénile ont été faites
à la fin des années 1800 par Sir George Frederic Still. Les années
1970 ont vu l’arrivée de la grande division lors de laquelle on
a observé des approches simultanées, mais contradictoires, de la
nomenclature de part et d’autre de l’Atlantique. La nomenclature
de l’arthrite rhumatoïde juvénile vient du précurseur de l’American
College of Rheumatology (ACR), contrairement à la nomenclature
de l’arthrite chronique juvénile utilisée par la Ligue
européenne contre le rhumatisme (EULAR). La classification
américaine d’arthrite rhumatoïde juvénile comporte trois sousgroupes
et utilise le nombre d’articulations touchées comme seuil
pour diviser les enfants dans les catégories arthrite pauci-articulaire
(< 4 articulations) et polyarthrite (> 5 articulations), ainsi
que les enfants atteints d’arthrite systémique et présentant de la
fièvre. La nomenclature d’arthrite chronique juvénile proposée
par les Européens comprenait 6 sous-groupes, auxquels s’ajoutaient
trois sous-groupes correspondant aux formes infantiles
des maladies rhumatismales de l’adulte : l’arthrite rhumatoïde
juvénile, l’arthrite psoriasique juvénile et la spondylarthrite ankylosante
juvénile. La Ligue internationale contre le rhumatisme
a réuni les acteurs en 1997 pour unifier la nomenclature. Les
Canadiens ont joué un rôle prépondérant dans les efforts de recherche
de consensus qui ont abouti à la terminologie actuelle de
l’AJI. Les critères de la Ligue internationale contre le rhumatisme
classent les patients en sept catégories mutuellement exclusives :
arthrite (AJI) systémique, oligoarthrite, polyarthrite à FR négatif,
polyarthrite à FR positif, arthrite psoriasique, arthrite avec enthésite
et arthrite indifférenciée – l’âge limite entre la nomenclature
de l’arthrite de l’enfant et celle de l’arthrite de l’adulte étant établi
à 16 ans.
Le Grand débat se poursuit aujourd’hui au vu des récentes
propositions de l’organisation PRINTO (Pediatric Rheumatology
International Trials Organization) visant à élaborer un nouveau
schéma de classification. Quatre sous-groupes d’AJI par l’organisation
PRINTO sont définis : trois avec des homologues adultes (AJI
systémique, à FR positif et avec enthésite/spondylite) et un unique
à la population pédiatrique (AJI à début précoce avec anticorps
antinucléaires positifs). Deux catégories supplémentaires pour les
patients qu’il n’est pas possible de classer sont incluses : autres AJI
et AJI non classifiée. À l’aide d’une cohorte pancanadienne selon le
mode d’installation chez des enfants atteints d’AJI nouvellement
apparue (étude ReACCH-OUT), nous avons évalué les systèmes
de classification de la Ligue internationale contre le rhumatisme
et de l’organisation PRINTO et comparé leur alignement l’un par
rapport à l’autre. Malheureusement, les deux systèmes de classification
ont abouti à des regroupements significativement différents, à
deux exceptions près, soit les personnes souffrant d’AJI systémique
et de polyarthrite à FR positif. Il est à noter que deux tiers de tous
les patients atteints d’AJI n’ont pas pu être classés dans les quatre
sous-groupes de l’organisation PRINTO.
Les progrès de la génomique ont permis d’intégrer la biologie et
le phénotype clinique dans la classification. L’augmentation spectaculaire
du nombre de points de données a rendu nécessaire l’utilisation
d’approches d’apprentissage automatique et d’intelligence
artificielle pour la reconnaissance des formes, ce qui permet d’utiliser
les mégadonnées pour orienter le système de classification. En
utilisant une approche de biologie computationnelle, nous avons
défini cinq sous-groupes uniques de patients parmi les enfants atteints
d’AJI (à l’exclusion de l’AJI systémique). La taxonomie des
patients qui en découle a permis de mieux cerner les différences
entre les sous-groupes de patients par rapport à la nomenclature
actuelle de la Ligue internationale contre le rhumatisme et de l’organisation
PRINTO. Dans la plupart des sous-groupes, les mesures
cliniques et biologiques de l’activité de la maladie et de l’inflammation
étaient directement corrélées. Mais surtout, dans deux sousgroupes,
les enfants bien portants sur le plan clinique présentaient
des taux extrêmement élevés de cytokines pro-inflammatoires. Ces
sous-groupes d’enfants présentant une activité de la maladie subclinique
avaient une trajectoire inquiétante, avec une augmentation
de l’activité de la maladie lors du suivi, ce qui souligne la contribution
de mesures biologiques élargies pour améliorer le dépistage
des enfants présentant un risque élevé d'évolution défavorable.
Des réseaux de recherche ont été créés dans le monde entier pour
intégrer la biologie dans les systèmes de classification afin de concrétiser
la promesse d’une médecine de précision. L’initiative UCAN
(Understanding Childhood Arthritis) dirigée par le Canada a été créée
à cette fin, tout comme d’autres consortiums de recherche dans le
monde. Ces groupes, ainsi que d’autres membres de la communauté
internationale de recherche en rhumatologie pédiatrique, ont convenu
d’un ensemble de principes de collaboration dans le domaine de
l’arthrite juvénile, qui ont abouti à la « London Declaration » de 2016,
qui reconnaît que les collaborations sont la norme, et non l’exception,
dans le cadre de l’étude de l’AJI. L’avenir, c’est maintenant, pour
que cette tempête parfaite de possibilités change le ton du grand
débat sur la classification.
Rae S. M. Yeung, M.D., Ph. D., FRCPC
Professeure de pédiatrie, d’immunologie et de sciences médicales,
Université de Toronto
Chercheuse principale et rhumatologue en chef,
The Hospital for Sick Children
Toronto (Ontario)
|