Été 2023 (Volume 33, numéro 2) Rhumatologue émérite 2023 de la SCR : Dr Gilles Boire
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Pourquoi êtes-vous devenu
rhumatologue? Qu'est-ce qui
vous a influencé ou qui vous a
influencé dans votre parcours?
Le choix de la rhumatologie s’est graduellement
imposé pendant le tronc commun
de ma résidence. J’avais choisi la médecine
parce que je voulais aider les gens, mais
je voulais aussi contribuer à améliorer les
soins aux malades, si possible. À l’époque,
la rhumatologie était la spécialité avec deux
traitements (les AINS ou les corticostéroïdes),
auxquels on ajoutait parfois l’hydroxychloroquine,
les sels d’or et rarement
la cyclophosphamide. Il fallait donc compter
sur de solides relations avec les patients,
apprendre à les écouter afin de les aider à
défaut de pouvoir les guérir.
C’était aussi l’époque de la découverte
du SIDA. De toute évidence, nous étions tellement ignorants du
fonctionnement du système immunitaire que des progrès considérables
allaient bientôt être réalisés dans ce domaine. Les maladies
rhumatologiques impliquant manifestement un dérèglement
du système immunitaire, l’avenir s’annonçait prometteur. Bien
que né bien avant la génération Y, je devais aussi tenir compte du
fait que j’avais une conjointe médecin et déjà deux jeunes enfants,
conséquemment, il fallait un horaire un peu plus prévisible. La
rhumatologie présentait donc l'avantage d'être un terrain relativement
vierge, mais aussi d'être moins axée sur les patients hospitalisés.
Toutefois, c’est lors de mon stage avec le Dr Henri Ménard
que le déclic s’est fait. Les patients étaient souffrants et leurs
médecins ne comprenaient pas pourquoi. Puis vint le Dr Ménard
qui questionnait, palpait, faisait quelques tests, et concluait. La
capacité de poser un diagnostic à partir d’éléments apparemment
sans rapport m’a séduit. Puis le Dr Ménard et moi avons préparé
un premier résumé soumis et accepté à l’American College of
Rheumatology (ACR). La passion pour la recherche était lancée.
Et les progrès en rhumatologie et en recherche ont dépassé mes
plus folles espérances.
Vos principaux domaines de recherche sont l'autoimmunité,
plus spécifiquement le complexe ARN Y
associé au Ro RNP, l'amélioration des soins de première
ligne pour les patients souffrant de fractures de fragilité,
et la classification pronostique précoce des patients
souffrant d'arthrite inflammatoire d'apparition récente.
Pouvez-vous nous parler du développement de
la polyarthrite d’installation récente (cohorte EUPA)?
Pouvez-vous également nous parler de la Biobanque
de pathologies et perturbations immunes et
inflammatoires et du « Registre des thérapies avancées de
l'Université de Sherbrooke » qui facilitent les approches
personnalisées pour le traitement de ces patients?
Ma carrière de recherche a connu trois
phases. La première phase : très orientée sur
le laboratoire, centrée sur mon autoantigène
fétiche, les ribonucléoprotéines Ro, ciblées
par les anticorps anti-Ro(SS-A). Nous avons
étudié les anticorps et les antigènes de plusieurs
façons, d’abord avec les outils appris
pendant mon stage postdoctoral à l'université
Yale, puis avec l’aide de collègues de
Sherbrooke. Certains de nos travaux des années
90 sont encore cités régulièrement. Puis
nous avons croisé le chemin de madame
Savoie. La découverte de l’anti-Sa (vimentine
citrullinée) présent dans le sérum de
cette patiente m’a réorienté vers la recherche
clinique, en particulier vers des cohortes
de patients, notamment ceux atteints de
polyarthrite d'apparition récente (cohorte
EUPA). Les principes sous-tendant la cohorte
EUPA étaient clairs : 1) sans phénotypage précis et approfondi, les
biomarqueurs sont inutiles; 2) le suivi longitudinal à long terme
est essentiel pour bien définir les issues cliniques; 3) les connaissances
scientifiques évoluent rapidement et dans des directions
imprévisibles. Il est donc crucial d’avoir en réserve des données de
qualité appariées à des biospécimens sériés pour permettre l'étude
de nouveaux biomarqueurs ou l'utilisation de nouvelles méthodes
d’analyse que nous ne pouvions pas même imaginer lors de leur
collecte. Les spécimens de patients de la cohorte EUPA ont ainsi pu
être analysés par différentes méthodes « -omiques » (génomique,
microARN-mique, protéomique). D’où la troisième phase : le développement
de la Biobanque de pathologies et perturbations immunes
et inflammatoires, d’abord centrée sur la cohorte EUPA. Grâce
aux récentes avancées législatives en matière de recherche clinique,
la biobanque est désormais dédiée à tous les aspects de la rhumatologie,
de l’autoinflammation à l’autoimmunité, du sérum aux
biopsies synoviales et salivaires, en passant par le liquide synovial.
L’une des énigmes les plus importantes en rhumatologie est
l’hétérogénéité de la réponse aux traitements. Notre situation
géographique un peu excentrique permet un suivi prolongé de
la plupart de nos patients. De plus, l’organisation des soins fait
en sorte que toutes les données administratives hospitalières de
ces patients peuvent facilement être combinées aux informations
cliniques, conduisant au développement de notre registre University
of Sherbrooke Registry of Advanced Therapies (USRAT). Nous
avons associé notre biobanque à l'USRAT afin de mieux définir
les caractéristiques biologiques ou psychosociales sous-jacentes à
l'échec thérapeutique.
Le Dr Gilles Boire recevant son prix des mains du président de la SCR,
le Dr Nigil Haroon, lors de l'Assemblée scientifique annuelle de la
SCR à Québec, qui a eu lieu en février 2023.
En plus de diriger une clinique très achalandée et
d'assumer plusieurs tâches administratives, vous avez
supervisé 20 étudiants de troisième cycle, ainsi que
27 boursiers en rhumatologie, dont 5 sont encore en
formation. Que pensez-vous de l'enseignement?
L’une de mes plus grandes satisfactions est d’avoir participé
à l’enseignement à tous les niveaux de la Faculté de médecine,
tels qu'aux niveaux prédoctoral pour la formation générale des
nouveaux médecins, postdoctoral pour l’enseignement des rudiments
de la rhumatologie aux résidents de pédiatrie et à ceux
du tronc commun de médecine, ainsi que pour la formation de
nouveaux rhumatologues, et au niveau postgradué pour la formation
de chercheurs en immunologie et en sciences cliniques.
Plusieurs des étudiants diplômés sont aujourd'hui des chercheurs
universitaires ou dans l’industrie. Les rhumatologues diplômés de
Sherbrooke représentent maintenant près de 20 % de l’ensemble
des rhumatologues du Québec. Je suis heureux d’avoir pu faciliter
leur contribution positive au Québec et au Canada d’aujourd’hui.
Pouvez-vous nous parler d'autres cohortes d’adultes
qui ont pu tirer profit de votre contribution (CATCH;
BIODAM) et pédiatriques (REACCH-Out; BBOP)?
Depuis le tout début, j’ai eu un intérêt clinique particulier pour le
traitement des enfants souffrant de maladie rhumatologique. Je
répondais initialement à un besoin clinique local puisque nous
n’avions aucun rhumatologue pour traiter les enfants atteints
d'arthrite. Mais cela m’a aussi permis de constater à quel point le
traitement des enfants était rudimentaire à l’époque. J’ai rapidement
voulu participer et contribuer aux projets de recherche en
pédiatrie. J’ai ainsi connu des chercheurs exceptionnels (Ciaran
Duffy, Jaime Guzman, Rae Yeung et Alan Rosenberg, entre autres)
de qui j’ai énormément appris. Ces chercheurs ont mis sur pied
un réseau de recherche en rhumatologie pédiatrique de classe
mondiale, qui a réellement amélioré le traitement des enfants
malades. En comparaison, les rhumatologues pour adultes sont
tout à fait désorganisés et bénéficieraient de s’inspirer de l’expérience
pédiatrique de réseautage.
Après la mise sur pied de l’infrastructure de la cohorte EUPA,
j’ai pu joindre d’autres efforts de recherche clinique chez l’adulte,
en particulier la cohorte CATCH, pilotée par Vivian Bykerk, et
le projet BIODAM de Walter Maksymowych. Grâce à l’existence
de notre cohorte EUPA, nous avons ainsi pu contribuer de façon
significative à ces projets de recherche. Les résultats de ces collaborations
extrêmement productives ont constitué une proportion
significative de mes publications.
Gilles Boire, M.D., M. Sc., FRCPC
Rhumatologue,
Département de médecine,
Faculté de médecine et des sciences de la santé,
Université de Sherbrooke,
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie –
Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke
(CIUSSS de l'Estrie – CHUS)
Sherbrooke (Québec)
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