Printemps 2022 (Volume 32, numéro 1)
L’avenir de la rhumatologie
Par Reza Mirza, M.D., FRCPC
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La rhumatologie fait partie des spécialités qui progressent le plus rapidement. Bien que l’oncologie nous rivalise, nous méritons le plaisir d’atteindre régulièrement la rémission. À l’approche du 75e anniversaire de la découverte de la cortisone, le Journal de la Société canadienne de rhumatologie (JSCR) m’a demandé de donner mon avis sur cette question : Que nous réservent les 75 prochaines années?
Les rhumatologues obtiendront le Saint Graal de la thérapie personnalisée. Nous avons les moyens de moduler des cibles cellulaires, protéiques ou nucléaires spécifiques. L’approche « tout inhiber » employée par les glucocorticoïdes peut être efficace à court terme, mais n’est pas tenable à long terme. La question ultime est de savoir quoi cibler et dans qui?
Nous savons que les phénotypes cliniques sont insuffisants pour prédire la réponse biochimique. De petits essais japonais nous donnent un avant-goût de la manière de prédire, en utilisant les modèles de cytométrie de flux des lymphocytes1. Nous devons continuer à stratifier nos patients en groupes plus significatifs, comme les médecins l’ont toujours fait. Nous avons la résolution : séquençage à long terme, -omique, cytométrie de masse. Nous devons simplement offrir ces données, ainsi que des données longitudinales de haute qualité sur la relation traitement-réponse, à l’autel de l’intelligence artificielle.
Nous sommes déjà experts dans la mesure et l’extrapolation des phénotypes associés au récepteur des cellules B, en particulier sous sa forme d’anticorps soluble (nous t’en sommes toujours reconnaissants, Marv). Nous devons aller au-delà des anticorps anti-cellulaires qui définissent la rhumatologie moderne.
Notre caractérisation du bras inné est maigre, et nous avons moins de la moitié de l’histoire des lymphocytes. Comme Alice au pays des merveilles, nous sommes aveugles au magicien qui se cache derrière le rideau, le lymphocyte T et son récepteur. Contrairement aux lymphocytes B, les lymphocytes T peuvent surveiller les processus intracellulaires, peuvent induire l’apoptose là où ils se trouvent et leur répertoire est estimé être un ordre de grandeur plus diversifié.
Le premier obstacle que nous devons surmonter pour réaliser le phénotypage fondamental nécessaire à la thérapie personnalisée est la caractérisation des schémas de signalisation moléculaire du bras inné et du récepteur des cellules T. La « lymphadénopathie réactive » va disparaître. Adoptez plutôt ce type de rapport de laboratoire : « présence de lymphocytes T cytotoxiques activés et en prolifération ». Le séquençage de ces cellules T révèle un récepteur de cellules T avec une spécificité pour une cible inconnue. » Il en sera ainsi, jusqu’à ce que nos connaissances soient plus affinées.
Une fois que nous avons terminé nos mesures, nous pouvons commencer à prédire. Les simulations virtuelles de la biologie (« in silico ») continueront à avancer sans fin vers la prédiction asymptotique parfaite. De nombreux philosophes abandonnent l’éternelle énigme de l’existence du libre arbitre. (Malheureusement, elle n’existe pas au-delà de notre propre perception). Les cellules T inconnues et activées de votre échantillon de pathologie seront soumises au bioinformaticien clinique pour que la topologie de leurs récepteurs soit prédite par AlphaFold, mugissant dans le serveur pour sa prochaine énigme2. L’évaluation in silico permettra de déterminer l’affinité du récepteur des cellules T par rapport à toutes les protéines connues et inconnues. Remarquez, techniquement, ce n’est pas futuriste. Tous ces outils existent, l’avenir n’est donc qu’à l’application et au perfectionnement (faites-nous signe si vous êtes intéressé).
Dans 75 ans, nous aurons la capacité de mesurer les vastes données contenues dans le sang en utilisant des propriétés physico-chimiques multi-sensorielles, bien au-delà des deux dimensions de la spectrométrie de masse (masse et quantité). Imaginez l'objet global Array (dont on s'est inspiré pour le film « La Matrice »), où chaque constituant est évalué par sa réponse à une distribution de longueurs d’onde non destructives, permettant une empreinte digitale unique. Cette vaste étendue de données éclipserait notre mémoire de travail par des milliers d’ordres de grandeur. La machine interpréterait et nous dessinerait un dessin du système immunitaire avec des lignes rouges et en gras utiles sur les voies régulées qui nous conduiraient à la source la plus proche de l’inflammation.
Il n’y aura pas de discordance entre les sérotypes et les phénotypes, et les étiquettes diagnostiques seront redéfinies en utilisant les approches de sérotypage en premier. Les frontières entre les spécialités s’estompent lorsque votre patient rhumatoïde présente un signal profond de kératite ulcérative périphérique ou de pneumopathie interstitielle.
Nous nous familiariserons avec les génotypes et leur grammaire non codante. L’édition de gènes continuera à connaître des hauts et des bas. Son cycle d’expansion actuel s’effondrera lorsque les effets hors cible seront mesurés. La prudence plaidera pour des traitements réversibles, non curatifs, qui fonctionnent systématiquement et, surtout, qui ne débordent pas sur les gamètes et ne se perpétuent pas. L’édition génétique ex-vivo des cellules, à la manière des cellules CAR-T, sera encouragée.
Le monde sera radicalement différent dans 75 ans. Notre capacité à exploiter la science pour éliminer les maladies augmentera de façon spectaculaire, à la mesure des risques existentiels que nous nous posons à nous-mêmes. Il nous faut encore nous défaire de notre propre bête.
Reza Mirza, M.D., FRCPC
Clinicien adjoint, Hôpital Sunnybrook, Toronto (Ontario)
Programme de clinicien-chercheur, Université McMaster
Hamilton (Ontario)
Références :
1. Miyagawa I, Nakayamada S, Nakano K, et al. Precision medicine using different biological DMARDs based on characteristic phenotypes of peripheral T helper cells in psoriatic arthritis. Rheumatology. 2019;58(2):336-344. doi:10.1093/rheumatology/key069
2. Jumper J, Evans R, Pritzel A, et al. Highly accurate protein structure prediction with AlphaFold. Nature. 2021;596(7873):583-589. doi:10.1038/s41586-021-03819-2
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