Hiver 2022 (Volume 32, numéro 4)
La mort par PowerPoint
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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« Je déteste la façon dont les gens utilisent des présentations de diapositives au lieu de réfléchir.
Les gens s’attaquent à un problème en créant une présentation. Je voulais qu’ils s’engagent, qu’ils
discutent à la table, plutôt que de montrer un tas de diapositives. Les gens qui savent de quoi ils
parlent n’ont pas besoin de PowerPoint. »
– Steve Jobs
Récemment, les chaînes de télévision américaines que
je regarde encore ont été parsemées de publicités, non
seulement pour des produits biologiques (le psoriasis
et les maladies inflammatoires de l’intestin étant particulièrement
populaires), mais aussi pour Canva, une plateforme
de conception graphique consacrée aux logiciels de présentation.
L’élaboration et la présentation d’informations étant
une activité qui m’occupe fréquemment, j’ai examiné de plus
près cette entreprise. Canva est une licorne technologique
australienne (valorisation > 1 milliard de dollars) qui promet
que vous allez « impressionner votre public, en plus de vous
impressionner vous- même ». Vous pouvez présenter de n’importe
où et captiver la foule. Par exemple, si vous appuyez sur
la touche « C », vous enverrez des confettis à travers l’écran.
Pas sûr que cela ait l’air professionnel dans un contexte médico-
scientifique! Cela me rappelle les premiers jours de Power-Point, lorsqu’un rhumatologue de renommée mondiale, nouveau
dans le programme, animait chaque diapositive avec des
effets spéciaux vertigineux. Bien sûr, je me souviens des effets,
mais pas du contenu réel présenté ce jour-là.
Prezi est une autre alternative au traditionnel Power-Point.
Cette entreprise hongroise propose une plateforme de narration
visuelle au lieu d’utiliser les diapositives traditionnelles.
« Les présentations Prezi présentent une vue d’ensemble semblable
à une carte qui permet aux utilisateurs de faire un panoramique
entre les sujets, de zoomer sur les détails et de reculer
pour révéler le contexte. » L’entreprise Prezi a également
été la première à s’engager dans l’espace des présentations virtuelles,
même avant la pandémie. À ce jour, j’ai assisté à une
ou deux présentations Prezi en direct sur la rhumatologie que
j’ai appréciées, mais leur diffusion dans notre domaine a été
limitée jusqu’à maintenant.
Pourquoi avons-nous besoin de Canva et de Prezi? Peut-être
parce que PowerPoint, ou la façon dont nous l’utilisons,
s’est avéré être fondamentalement défectueux. Le mot Power-Point est devenu semblable au mot Kleenex : une variété particulière
de logiciels de présentation qui en est venue à représenter
tout le domaine. Que vous utilisiez la version originale
de Microsoft ou celles fournies par Apple, Google ou d’autres
fournisseurs tiers, nous sommes sur le même terrain.
Nous utilisons tous des logiciels de présentation, mais y
a-t-il des questions à prendre en compte lorsque nous le faisons?
Une enquête sur la catastrophe de la navette spatiale
Columbia a révélé que les risques de catastrophe après son
lancement problématique étaient bien décrits dans des diapositives
PowerPoint préparées par une équipe d’ingénieurs. Cependant, elles étaient enfouies si bas dans la hiérarchie des
diapositives qu’il était difficile de les trouver. En outre, leurs
titres utilisaient un langage plus positif et risquaient d’être
tout ce qu’un participant lirait et retiendrait1. Un regard satirique
sur ce à quoi aurait ressemblé le discours de Gettysburg
de Lincoln dans PowerPoint a mis en évidence son potentiel
destructeur par rapport à l’éloquence du discours réel2.
Les présentations de rhumatologie peuvent être améliorées
par la narration. C’est pourquoi commencer par un
cas, surtout s’il est réel, peut rendre le contenu qui suit plus
convaincant. Que pouvons-nous faire d’autre?
Eh bien, mon premier gourou PowerPoint fut Dave Paradi.
Son idée était essentiellement d’améliorer vos diapositives
pour aider le public à apprendre. Il y a d’abord eu le livre
The Visual Slide Revolution : Transforming Overloaded Text Slides
into Persuasive Presentations [La révolution des diapositives
visuelles : Transformer des diapositives de texte surchargées
en présentations convaincantes]. Une image, un graphique,
un diagramme en barres valent mille mots, etc. Il s’agit d’une
excellente idée qui n’a toujours pas été mise en oeuvre de manière
adéquate dans la plupart des présentations médicales.
Il a ensuite publié le livre Present It So They Get It: Create and
Deliver Effective PowerPoint Presentations Your Audience Will Understand
[Présentez-le pour qu’ils comprennent : Créer et réaliser
des présentations PowerPoint efficaces que votre public
comprendra]. Cet enjeu se trouve au coeur du problème : pour
bien communiquer, il faut transmettre ses idées à ses auditeurs
d’une manière qui rendra le savoir transmis « collant ».
Ces derniers temps, cependant, une autre école de pensée
est devenue plus populaire : le problème vient de PowerPoint
lui-même, et rien ne pourra y remédier. La voix la plus marquante
sur ce thème est celle d’Eric Bergman.
L’une des études citées portait sur un cours d’ingénierie à
l’Université de Purdue où le même matériel était présenté avec
et sans diapositives. Les élèves qui n’ont pas vu de diapositives
ont obtenu de meilleurs résultats lors d’un test ultérieur. Il est
intéressant de noter que les étudiants qui n’ont pas assisté à
la conférence, qui ont lu le manuel et qui ont ensuite passé le
test ont également obtenu de meilleurs résultats que ceux qui
ont assisté à la conférence avec présentation PowerPoint.
Une autre étude menée à l’Université de Munich a testé des diapositives régulières (6 lignes de 6 mots) par rapport à des
diapositives concises (environ 12 mots/diapositive) par rapport
à une simple conversation sans diapositives. Là encore,
les résultats ont montré que le simple fait de parler à l’auditoire
permettait à ce dernier de mieux retenir les informations
présentées.
Une étude de 2012 sur les sermons religieux a montré
qu’un sermon sans diapositives était la forme de communication
la plus efficace, comparé aux sermons utilisant des
diapositives de mots, des diapositives d’images visuelles ou
une combinaison des deux types3. Citant Eric Bergman : « En
d’autres termes, utilisez autant de diapositives que vous le
souhaitez, tant que vous ne voulez pas que l’auditoire se
souvienne de ce que vous avez dit. Si vous voulez vous assurer
que le public se souvienne (et qui diable ne le voudrait
pas?), éteignez le projecteur. Ne présentez pas vos diapositives.
Il suffit d’entretenir une conversation avec votre public.
»
À une époque où la réglementation était moins stricte,
j’aimais faire des présentations sur l’ostéoporose auprès de
médecins de soins primaires en organisant simplement une
table ronde sans diapositives, selon le format « Demandez à
l’expert ». Une fois la glace brisée et que la première question
avait été posée, le temps filait rapidement. J’ai toujours eu le
sentiment que c’est le public qui menait la discussion et obtenait
des réponses à ses principales questions. Peut-être avonsnous
besoin davantage de ce type de conversations.
Il est clair que PowerPoint crée des habitudes. Les preuves
nous aideront-elles à nous défaire de cette habitude potentiellement
mauvaise? Seul le temps nous le dira.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, le Journal de la SCR
Scarborough (Ontario)
Références :
1. James Thomas. Death by PowerPoint: the slide that killed seven people. Disponible sur : https://mcdreeamiemusings.com/blog/2019/4/13/gsux1h6bnt8lqjd7w2t2mtvfg81uhx (en anglais
seulement). Consulté le 16 novembre 2022.
2. Présentation de la dédicace du cimetière de Gettysburg. Disponible sur https://norvig.com/Gettysburg/. Consultée le 16 novembre 2022.
3. Buchko AA, Buchko KJ, Meyer JM, et coll. Is there power in PowerPoint? A field test of the efficacy
of PowerPoint on memory and recall of religious sermons. Computers in Human Behavior, 2012;
28(2):688-695.
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