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Été 2022 (Volume 32, numéro 2)

Peut-on individualiser la prévention de la rétinopathie induite par l’hydroxychloroquine?

Par Ruud H.J. Verstegen, M.D., Ph. D.; et Deborah M. Levy, M.D., MS, FRCPC

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Le cas d’une patiente :
Une jeune femme de 15 ans présente des douleurs articulaires et de la fatigue depuis deux mois. Au cours des deux dernières semaines, un érythème en papillon est apparu; à l’examen, on note un ulcère palatin indolore, une légère alopécie bifrontale et deux articulations enflées. Les analyses démontrent une lymphopénie, une légère anémie et une hypocomplémentémie. Il y a présence d’anticorps antinucléaires (AAN) [titre élevé] et d’anticorps anti-Sm. Les résultats des autres examens sont négatifs, et un diagnostic de lupus érythémateux disséminé (LED) est posé. Un traitement par l’hydroxychloroquine (HCQ) est instauré lors de la première consultation après une discussion sur les effets indésirables possibles, notamment la toxicité rétinienne. La patiente et son proche aidant veulent savoir ce qu’il faut faire pour prévenir la rétinopathie, étant donné que le médicament pourrait devoir être administré pendant de nombreuses années, voire des décennies.

Introduction
L’HCQ, utilisée à l’origine pour le traitement et la prophylaxie du paludisme, est employée dans les cas de LED depuis le début des années 1950 en raison de son excellent profil d’innocuité et de ses multiples avantages, notamment l’amélioration de la maîtrise de la maladie, la prolongation de la survie et la diminution des lésions au fil du temps. Le traitement d'entretien à long terme par l’HCQ est la norme de soins depuis que l’étude de référence du Canadian Hydroxychloroquine Study Group a démontré un risque accru de poussée de la maladie après l’arrêt de ce médicament1.

Rétinopathie
L’HCQ a un profil d’innocuité favorable comprenant des symptômes gastro-intestinaux, les plus souvent cités étant les suivants : diminution de l’appétit, nausées, douleur abdominale et diarrhée.2 La rétinopathie consécutive à un traitement prolongé par la chloroquine et l’hydroxychloroquine a été décrite en 1959 et 1967 respectivement3,4. On pensait initialement qu’elle était rare, mais plus récemment des techniques plus sensibles, telles que la tomographie par cohérence optique en domaine spectral (TCO-DS), ont révélé une prévalence de 7,5 %5.

La rétinopathie induite par l’HCQ est irréversible, et il n’existe actuellement aucun traitement spécifique. De plus, une toxicité grave au moment du diagnostic peut encore progresser pendant au moins trois ans après l’arrêt du traitement, alors que les personnes présentant une toxicité précoce et modérée ne présentent généralement aucune progression6. Par conséquent, le dépistage annuel par TCO-DS devrait commencer cinq ans après le début du traitement, ou plus tôt en présence de facteurs de risque supplémentaires7.

Prévention de la rétinopathie induite par l’hydroxychloroquine
La détermination des facteurs de risque a permis de mettre au point des stratégies de prévention. Melles et Marmor ont montré que le risque de rétinopathie induite par l’HCQ est associé à des doses élevées d’HCQ
(> 5,0 mg/kg/jour [poids corporel réel]), à une durée de traitement prolongée (> 10 ans), à la dose cumulative d’HCQ, à la présence de maladie rénale chronique (débit de filtration glomérulaire estimé [DFGe] < 60 mL/min/1,73 m2) et à un traitement concomitant par le tamoxifène8. Sur la base de ces données, les recommandations actuelles sont de prescrire une dose d’HCQ de 5 mg/kg de poids corporel réel par jour (pas de maximum quotidien absolu)7,8. À cette dose, le risque de rétinopathie induite par l’HCQ est < 2 % au cours des 10 premières années de traitement5. Par rapport aux lignes directrices antérieures qui recommandaient une dose de 6,5 mg/kg de poids corporel idéal par jour (maximum 400 mg/jour), le nouveau schéma posologique entraîne une exposition plus faible au médicament chez les patients ayant un IMC normal-bas, ce qui peut diminuer l’efficacité du traitement. En revanche, chez les patients ayant un IMC > 25, l’exposition à l’HCQ sera relativement plus élevée qu’auparavant, se traduisant par une augmentation des concentrations sanguines d’HCQ9, et donc par une augmentation possible de la toxicité. En dehors de ces recommandations posologiques générales, il n’existe pas de directives claires sur la posologie de l’HCQ chez les patients atteints de maladie rénale concomitante et ceux traités par le tamoxifène8.

Thérapie de précision
La pharmacovigilance thérapeutique et les tests pharmacogénétiques peuvent permettre d’individualiser le traitement et de réduire les risques de réactions indésirables au médicament, tout en optimisant l’efficacité du traitement. La pharmacovigilance thérapeutique est la pratique qui consiste à mesurer la concentration de médicaments dans le sérum ou le sang afin de guider la prise en charge pharmacothérapeutique, tandis que les tests pharmacogénétiques orientent les décisions thérapeutiques en ciblant des variants génétiques ciblés qui sont associés à des résultats cliniques précis.

Bien que les concentrations d’HCQ soient étudiées depuis au moins 30 ans, ce type de test n’a pas été associé à une application clinique généralisée. Il y a une grande variabilité dans les concentrations sanguines d’HCQ atteintes pour une dose précise10, ce qui peut être expliqué en partie par la non-observance (partielle) en combinaison avec la longue demi-vie (c’est-à-dire 30-60 jours). Garg et coll. ont récemment publié une méta-analyse de 17 études portant sur la concentration sanguine optimale d’HCQ dans le traitement du LED11. Ils ont découvert une forte association entre de faibles concentrations sanguines d’HCQ et la non-observance. En outre, parmi 1 223 personnes, celles qui présentaient des concentrations sanguines d’HCQ ≥ 750 ng/mL avaient un risque de maladie active 58 % plus faible ainsi qu’un score du Systemic Lupus Erythematosus Disease Activity Index (SLEDAI) inférieur de 3,2 points11.

En 2020, Petri et coll. ont publié leurs travaux sur l’association entre les concentrations sanguines d’HCQ et l’apparition d’une rétinopathie dans les cas de LED12. Sur 537 patients, 23 ont présenté une rétinopathie (4,3 %). Si l’on considère les patients atteints de rétinopathie, plus de la moitié d’entre eux avaient une concentration sanguine d’HCQ dans le tertile le plus élevé (moyenne > 1 177 ng/mL ou maximum
> 1 753 ng/mL). Malheureusement, cette étude n’a pas établi de lien entre la concentration sanguine et le moment de l’administration de l’HCQ (c.-à-d. pic, creux).

Bien que les études disponibles fournissent une base importante pour explorer davantage la relation entre la posologie d’HCQ, l’élimination du médicament, l’efficacité clinique et le risque de rétinopathie, il existe un chevauchement important entre les concentrations sanguines d’HCQ mesurées chez les patients ayant connu ou non une issue favorable, ce qui rend difficile l’établissement d’une concentration cible du médicament et l’interprétation des concentrations sanguines individuelles d’HCQ. De plus, ces résultats ne peuvent pas être appliqués à la population pédiatrique, car les données sont absentes chez les enfants (c.-à-d.
< 12 ans) et très limitées chez les adolescents (12-18 ans).

La variation individuelle de la pharmacocinétique ainsi que la sensibilité individuelle à la rétinopathie induite par l’HCQ peuvent être déterminées génétiquement. Pour l’instant, les études pharmacogénomiques sur ce sujet sont limitées, mais des variants du CYP2D6, du CYP2C8, du CYP3A4 et du CYP3A5 pourraient contribuer aux différences pharmacocinétiques individuelles et au risque de réactions indésirables au médicament13,14. En outre, un variant d’ABCA4 pourrait protéger de la rétinopathie induite par l’HCQ15.

Conclusion
L’hydroxychloroquine est un traitement de référence du LED qui est généralement bien toléré. Cependant, la rétinopathie irréversible induite par l’HCQ est un important effet indésirable du médicament qui nécessite des efforts de prévention optimaux. Les récentes recommandations posologiques pourraient diminuer le taux de rétinopathie chez certains patients, mais ont également une incidence sur l’efficacité du traitement. La pharmacovigilance thérapeutique et les tests pharmacogénétiques constituent des approches prometteuses pour individualiser le traitement par l’HCQ à l’avenir. Cependant, à l’heure actuelle, les données sont insuffisantes pour guider la prise de décision clinique, et des études prospectives pour démontrer leur rôle sont nécessaires.

Ruud H.J. Verstegen, M.D., Ph. D.
Divisions de pharmacologie clinique,
de toxicologie et de rhumatologie,
The Hospital for Sick Children
Département de pédiatrie,
Université de Toronto
Toronto (Ontario)

Deb Levy, M.D., MS, FRCPC
Division de rhumatologie
The Hospital for Sick Children
Département de pédiatrie,
Université de Toronto
Toronto (Ontario)

Références :

1. The Canadian Hydroxychloroquine Study Group. A randomized study of the effect of withdrawing hydroxychloroquine sulfate in systemic lupus erythematosus. The Canadian Hydroxychloroquine Study Group. N Engl J Med. 1991; 324(3): 150-4.

2. Sanofi-Aventis Canada Inc. Hydroxychloroquine [Monographie de produit]. Health Canada: Drug Product Database [Disponible à l'adresse https://pdf.hres.ca/dpd_pm/00063288.pdf.]

3. Shearer RV, Dubois EL. Ocular changes induced by long-term hydroxychloroquine (plaquenil) therapy. Am J Ophthalmol. 1967; 64(2): 245-52.

4. Hobbs HE, Sorsby A, Freedman A. Retinopathy following chloroquine therapy. Lancet. 1959; 2(7101):478-80.

5. Melles RB, Marmor MF. The risk of toxic retinopathy in patients on long-term hydroxychloroquine therapy. JAMA ophthalmology. 2014; 132(12):1453-60.

6. Marmor MF, Hu J. Effect of disease stage on progression of hydroxychloroquine retinopathy. JAMA ophthalmology 2014; 132(9):1105-12.

7. Marmor MF, Kellner U, Lai TY, et al. Recommendations on Screening for Chloroquine and Hydroxychloroquine Retinopathy (2016 Revision). Ophthalmology 2016; 123(6):1386-94.

8. Melles RB, Marmor MF. The Risk of Toxic Retinopathy in Patients on Long-term Hydroxychloroquine Therapy. JAMA ophthalmology 2014; 132(12):1453-60.

9. Rosenbaum JT, Costenbader KH, Desmarais J, et al. American College of Rheumatology, American Academy of Dermatology, Rheumatologic Dermatology Society, and American Academy of Ophthalmology 2020 Joint Statement on Hydroxychloroquine Use With Respect to Retinal Toxicity. Arthritis rheumatol. 2021; 73(6):908-11.

10. Pedrosa T, Kupa LVK, Pasoto SG, et al. The influence of obesity on hydroxychloroquine blood levels in lupus nephritis patients. Lupus. 2021; 30(4): 554-9.

11. Carmichael SJ, Day RO, Tett SE. A cross-sectional study of hydroxychloroquine concentrations and effects in people with systemic lupus erythematosus. Intern Med J 2013; 43(5): 547-53.

12. Garg S, Unnithan R, Hansen KE, et al. Clinical Significance of Monitoring Hydroxychloroquine Levels in Patients With Systemic Lupus Erythematosus: A Systematic Review and Meta-Analysis. Arthritis Care Res (Hoboken). 2021; 73(5):707-16.

13. Petri M, Elkhalifa M, Li J, et al. Hydroxychloroquine Blood Levels Predict Hydroxychloroquine Retinopathy. Arthritis rheumatol. 2020; 72(3):448-53.

14. Gao B, Tan T, Cao X, et al. Relationship of cytochrome P450 gene polymorphisms with blood concentrations of hydroxychloroquine and its metabolites and adverse drug reactions. BMC medical genomics 2022; 15(1): 23.

15. Lee JY, Vinayagamoorthy N, Han K, et al. Association of Polymorphisms of Cytochrome P450 2D6 With Blood Hydroxychloroquine Levels in Patients With Systemic Lupus Erythematosus. Arthritis rheumatol 2016; 68(1):184-90.

16. Grassmann F, Bergholz R, Mändl J, et al. Common synonymous variants in ABCA4 are protective for chloroquine induced maculopathy (toxic maculopathy). BMC Ophthalmol 2015; 15: 18.

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