Automne 2022 (Volume 32, numéro 3)
Innovation pour améliorer les résultats
chez les Autochtones à risque de
polyarthrite rhumatoïde
Par Hani El-Gabalawy, M.D., FRCPC, FCAHS
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Différentes études de notre groupe
de recherche clinique basé au Manitoba,
ainsi que des études de
plusieurs autres groupes au Canada, aux
États-Unis et au Mexique, ont démontré que
de nombreuses populations autochtones
d’Amérique du Nord sont plus à risque de
développer une polyarthrite rhumatoïde
(PR) séropositive. Dans ces populations, la
prévalence de la PR peut être deux à trois
fois supérieure à celle observée dans la plupart
des autres populations, la maladie est
plus grave et plus invalidante, les résultats
sont souvent défavorables, et le fardeau de
la morbidité et de la mortalité est amplifié.
Cela s’explique par une interaction complexe
entre des variables biologiques, environnementales,
socioculturelles et de prestation de soins de santé
qui sont notoirement difficiles à démêler. Il faudra beaucoup
d’innovation pour relever ce défi.
Par conséquent, un programme d’innovation visant à améliorer
les résultats de la PR chez les peuples autochtones d’Amérique
du Nord doit tenir compte des défis uniques inhérents à la
conception des études cliniques, ainsi qu’à la mise en oeuvre et à
l’évolutivité des interventions proposées à la suite de ces études.
Pendant mon mandat de directeur scientifique des Instituts de
recherche en santé du Canada (IRSC), j’ai pris part à une initiative
stratégique visionnaire et unique dirigée par l’Institut de la
santé des Autochtones, intitulée : « Voies de l’équité en santé pour
les Autochtones » (https://cihr-irsc.gc.ca/f/47003.html). Lorsque j’ai
commencé à participer à l’initiative, il avait déjà été déterminé
que la portée de cette initiative stratégique (dite « signature ») se
concentrerait sur les défis majeurs que sont le bien-être mental, le
diabète et l’obésité, la tuberculose et la santé bucco-dentaire. Avec
le recul, je constate que si j'avais pu m'engager dans cette initiative
dès ses débuts, possiblement que la PR aurait pu être un des domaines
d'intervention choisis, mais « c’est de l’histoire ancienne »,
comme le dit la vieille expression.
Néanmoins, il y avait beaucoup à apprendre de cette initiative
sur la manière d’aborder un programme novateur pour les
populations autochtones d’Amérique du Nord. L’initiative, fermement
ancrée dans les principes de la recherche participative
communautaire (https://ethics.gc.ca/fra/tcps2-eptc2_2018_chapter9-
chapitre9.html), a eu plusieurs phases progressives au cours
desquelles des idées naissantes ont d’abord été explorées dans
différentes communautés grâce à des niveaux de financement
modestes, puis des groupes de recherche et des idées ayant eu
du succès ont été soutenus par des enveloppes de financement
plus importantes afin de commencer à aborder la mise en oeuvre
et l’évolutivité des projets. Il me semble que c’est la bonne « voie » pour accomplir ce qui est nécessaire pour
lutter contre des maladies dévastatrices
comme la PR chez les populations autochtones
d’Amérique du Nord.
Les travaux de mon propre groupe de
recherche se sont concentrés sur la prédiction
et la prévention de la PR au sein des Premières
Nations. Nous avons eu la chance de
recevoir du financement continu de la part
des IRSC pour ce programme depuis 2005
dans le cadre de concours ouverts et d’initiatives
stratégiques, comme le programme
des équipes de recherche en immunologie
humaine. Nous avons fait des observations
importantes concernant le risque de développer
une PR chez les Autochtones d’Amérique
du Nord en réalisant une étude longitudinale
des parents au premier degré à risque des patients autochtones
d’Amérique du Nord atteints de la PR. Par exemple, nous avons
démontré que le développement d’anticorps anti-protéines citrullinées
est courant chez les parents au premier degré, mais que cela
est loin d’être une voie à sens unique menant au développement
de la PR (PMID 30861615). En effet, une proportion importante
des parents au premier degré ayant des anticorps anti-protéines
citrullinées sont retournés à un état séronégatif, et ceux destinés
à développer une PR présentaient des profils de glycosylation
uniques dans leurs anticorps anti-protéines citrullinées (PMID
31067000) ainsi que des caractéristiques protéomiques précises
(PMID 32770634).
Nous participons actuellement à une initiative excitante où
l’objectif est de réduire le développement d’une PR future au
moyen d’une combinaison de suppléments nutritifs anti-inflammatoires
ou immunomodulateurs. Cela s’appuie sur les résultats
d’un modèle d’arthrite induite chez la souris par le collagène
pour le développement d’une PR, où notre groupe a démontré
qu’une combinaison de suppléments de vitamine D, d’oméga-3
et de curcumine était très efficace pour atténuer l’apparition de
l’arthrite dans ce modèle – la curcumine étant le supplément qui
a contribué le plus à cet effet (PMID 33494792). Nous avons entamé
le long chemin vers la traduction, l’évaluation et la mise en
oeuvre de cette approche chez les personnes autochtones d’Amérique
du Nord à risque de développer une PR. Nous sommes encore
inspirés par l’approche sensée qui a été développée dans le
cadre de l’initiative signature « Voies de l’équité en santé pour les
Autochtones » des IRSC.
Hani El-Gabalawy, M.D., FRCPC, FCAHS
Professeur de médecine et d’immunologie,
Université du Manitoba
Winnipeg (Manitoba)
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