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Automne 2022 (Volume 32, numéro 3)

Rapamycine, mTOR, inhibition du FNT, PR, longévité et contenu canadien : assembler les pièces du puzzle

Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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Le Dr Erwin Gelfand et le Dr Philip Baer en Antarctique, en 2019.

Pourquoi la plupart des présentations de formation médicale continue (FMC) commencent-elles par une étude de cas? Parce que la science est plus intéressante lorsque vous pouvez relier la recherche fondamentale à des innovations cliniques qui aideront votre patient. Ce parcours a commencé par un message m’invitant à appeler un de mes patients, un homme atteint de polyarthrite rhumatoïde (PR) de longue date et bien maîtrisée par les antirhumatismaux modificateurs de la maladie (ARMM) classiques, qui voulait discuter d’un nouveau traitement dont il avait pris connaissance en ligne. Il ne voulait pas confier à ma secrétaire en quoi consistait ce traitement.

C’était une journée tranquille, alors je l’ai rappelé. Qu’avait-t-il pu trouver? Je pensais à des cannabinoïdes, du curcuma, du jus de noni, du vinaigre de cidre de pomme, du venin d’abeille ou quelque chose du genre. Non : il était intéressé par la rapamycine (sirolimus). Je lui ai dit que je connaissais bien cet agent en tant qu’immunosuppresseur et médicament antirejet, mais qu’il n’était pas approuvé pour le traitement de la PR. Je lui ai promis d’approfondir la question et de lui en dire plus lors de son prochain rendez-vous.

Je me suis dit que la rapamycine avait peut-être été étudiée dans le contexte de la PR dans le passé, sans succès. Oui et non. Une recherche rapide a permis de trouver un résumé d’affiche dans le cadre du congrès de l’European Alliance of Associations for Rheumatology (EULAR) de 2018 faisant état d’une telle étude (FRI 0063) : « Rapamycin induces remission in patients with refractory rheumatoid arthritis » (La rapamycine induit une rémission chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde) par H. Yao et ses collègues1. Cinquante patients atteints de PR traités par ARMM pendant plus de six mois et n’ayant pas obtenu de rémission selon le score DAS 28 ont été recrutés et traités par la rapamycine à raison de 0,5 mg tous les deux jours pendant 24 semaines. Le traitement par la rapamycine a réduit l’activité de la maladie et induit une rémission selon le score DAS 28 chez 44,9 % des patients atteints de PR évolutive. Bien sûr, il n’y avait pas de groupe placebo. Je n’ai rien vu depuis sur le sujet, à part un résumé du congrès de l’American College of Rheumatology (ACR) de 2018 portant sur une étude similaire2.

J’ai pensé qu’il n’y avait pas d’autre issue que d’en faire part au patient, comme promis. Cependant, quelques jours plus tard, j’ai reçu un courriel d’actualités financières auquel je suis abonné provenant de John Mauldin, un auteur prolifique et intéressant. Bien que ce dernier soit généralement pessimiste quant à l’avenir financier, il est très optimiste quant aux progrès des soins de santé et des biotechnologies, notamment en ce qui concerne le prolongement de l’espérance de vie humaine. Il ne parlait pas seulement de la rapamycine, mais aussi de l’inhibition du facteur de nécrose tumorale (FNT). Il s’agit là d’un heureux hasard, un cas de sérendipité.

M. Mauldin a présenté une société appelée MYMD Pharmaceuticals3 dans laquelle il a investi (MYMD sur NASDAQ, si vous voulez prendre le risque et êtes prêt à perdre potentiellement tout votre investissement).
« Leur médicament, MYMD 1, est un inhibiteur du FNT… Contrairement aux anticorps monoclonaux anti TNF, MYMD 1 est une version synthétique, administrée par voie orale, d’une molécule naturellement présente dans les plantes. » Le site Web de la société indique un poids moléculaire de 146 Daltons, la capacité de traverser la barrière hématoencéphalique et le fait que « MYMD 1 bloque sélectivement le FNT-α lorsque ce dernier est suractivé dans les cas de maladies auto-immunes et les tempêtes de cytokines, sans toutefois l’empêcher de faire son travail normal de premier répondant à tout type courant d’infection modérée ». Tout cela est très intéressant si ça devait se concrétiser, mais le médicament vient juste d’entrer en phase II, un jalon que nombreux médicaments ne parviennent pas à franchir.

L’entreprise étudie-t-elle son médicament pour la PR? Pas directement. Son essai est axé sur le vieillissement, plus particulièrement sur l’inversion de la sarcopénie, qui est bien sûr une caractéristique de la PR non maîtrisée. Et c’est là que la rapamycine entre en jeu. La rapamycine est le traitement de référence pour contrer le vieillissement et augmenter la durée de vie des souris. MYMD 1 a nettement surpassé la rapamycine dans une étude sur la longévité des souris (sous presse apparemment) réalisée par des scientifiques de Johns-Hopkins4.

Si vous regardez en ligne, vous trouverez de nombreux articles sur des traitements antivieillissement non autorisés, la metformine et la rapamycine étant les plus souvent citées. Vous pouvez les ignorer, mais je vous recommande vivement la revue de littérature du Dr Daniel Sabatini, l’une des sommités de la recherche sur la rapamycine et sa cible mTOR5.

Qu’allez-vous y apprendre? Le Dr Sabatini a choisi d’étudier les mécanismes moléculaires de la rapamycine, un composé aux propriétés antifongiques, antitumorales et immunosuppressives. Cette décision était cruciale, car Sabatini a ensuite découvert la cible mécaniste de la rapamycine (mTOR) et la voie de signalisation de cette protéine, qui sert de régulateur central du métabolisme, de la croissance et de la prolifération cellulaires6. D’abord, le nom est intéressant : tout comme Lou Gehrig est mort de la maladie de Lou Gehrig, le nom de la cible de la rapamycine, mTOR, est dérivé de la rapamycine.

La protéine mTOR s’avère être un acteur central dans de nombreux processus cellulaires. mTOR est le principal régulateur de la croissance chez les animaux et constitue le lien clé entre la disponibilité des nutriments dans l’environnement et la régulation de la plupart des processus anaboliques et cataboliques. La signalisation de mTOR est déréglée dans des maladies courantes, comme le cancer et l’épilepsie, et mTORC1 (un complexe contenant mTOR) est un modulateur bien validé du vieillissement dans de multiples organismes modèles. L’utilisation des inhibiteurs de mTORC1 pour traiter le cancer et les maladies neurologiques et, éventuellement, pour améliorer l’espérance de vie en santé et la durée de vie suscite beaucoup d’enthousiasme ». Comme l’affirme le Dr Sabatini, il n’a jamais cru que « la voie mTOR serait reconnue comme elle l’est aujourd’hui »; il croyait qu’« elle pourrait même être tournée en dérision parce qu’elle « intervient dans tout ».

Pour illustrer tout cela, les figures de la revue de littérature montrent certaines des molécules qui interagissent avec mTOR. Parmi celles-ci, certaines évoquent des racines canadiennes, comme RAPTOR (rien à voir avec le basketball, il s’agit de la protéine régulatrice associée à mTOR) et CASTOR (notre emblème nationale, le castor, l’espèce Castor canadensis, mais il s’agit plutôt ici du capteur d’arginine cytosolique pour mTORC1). Mais plutôt que de s’étendre sur le contenu à thématique canadienne, le Dr Sabatini établit un lien réel, en faisant référence aux recherches sur la rapamycine menées par le Dr Erwin Gelfand, un immunologue prolifique, diplômé de l’Université McGill et ancien membre du personnel de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto. Comme vous pouvez le voir sur la photo, j’ai rencontré le Dr Gelfand pour la première fois en Antarctique en 2019. Je vous assure que nous n’avons pas passé notre temps à parler de rapamycine.

La rapamycine pour le traitement de la PR est peut-être une impasse, mais, si mon patient ne m’avait pas appelé à ce sujet, je n’aurais jamais appris tout ce dont je vous fais part ici.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC,
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)

Références :

1. Yao H, Niu H, Yan N, et coll. FRI0063 Rapamycin induces remission in patients with refractory rheumatoid arthritis. Annals of the Rheumatic Diseases. 2018;77:578. Disponible à l'adresse http://dx.doi.org/10.1136/annrheumdis-2018-eular.2310. Consulté le 15 septembre 2022.

2. Chen M, Li XF, Gao C, et coll. Rapamycin induces remission in patients with newly diagnosed rheumatoid arthritis [abstract]. Arthritis Rheumatol. 2018; 70 (suppl 10). Disponible à l'adresse https://acrabstracts.org/abstract/rapamycin-induces-remission-in-patients-with-newly-diagnosed-rheumatoid-arthritis/. Consulté le 15 septembre 2022.

3. MyMD [website]. Disponible à l'adresse www.mymd.com/. Consulté le 15 septembre 2022.

4. Sullivan Danny. MyMD to commence Phase 2 trial in frailty. Longevity Technology [website]. December 14, 2021. Disponible à l'adresse https://www.longevity.technology/mymd-to-commence-phase-2-trial-in-frailty/. Consulté le 15 septembre 2022.

5. Sabatini DM. Twenty-five years of mTOR: uncovering the link from nutrients to growth. Proc Natl Acad Sci USA. 2017; 114:11818–25. Disponible à l'adresse https://doi.org/10.1073/pnas.1716173114. Consulté le 15 septembre 2022.

6. Viegas J. Profile of David M. Sabatini. Proc Natl Acad Sci USA. 2017 Dec;115(3): 438-440. Disponible à l'adresse https://doi.org/10.1073/pnas.1721196115. Consulté le 15 septembre 2022.

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