Printemps 2021 (Volume 31, numéro 1)
Combattre les inégalités dans le nord
de l’Ontario : regard sur l’avenir
Par Sahil Koppikar, M.D., FRCPC
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En 2020, les inégalités et la discrimination systémique sont
à la une des journaux et font partie des conversations
à l’heure du dîner. Dans le domaine de la santé, nous
discutons des mêmes sujets. Bien que la rhumatologie ait fait
de grands progrès au cours des dernières décennies, améliorant
les résultats sur le plan de la santé chez nos patients, des
inégalités subsistent entre certains groupes. Si nous voulons
remédier aux inégalités en rhumatologie, nous devons examiner
en profondeur les populations qui obtiennent des résultats
sous-optimaux, cerner les obstacles au sein de ces populations
et appliquer des solutions qui ciblent directement ces obstacles.
En Ontario, cet examen nous amène à nous tourner vers le
nord de la province.
Le nord de l’Ontario est une région où des inégalités en matière
de santé sont souvent présentes et doivent faire l’objet de mesures
urgentes. Du point de vue de la rhumatologie, les patients
du nord de la province ont un accès réduit aux soins rhumatologiques1,2,
sont moins susceptibles d’obtenir de bons résultats3,
présentent des effets indésirables4,5 et courent un risque plus
élevé de décès6 par rapport aux moyennes provinciales.
Les causes de ces écarts, qui trouvent leur origine dans les
déterminants sociaux de la santé au sens large, sont nombreuses
et ont des répercussions importantes sur les résultats en matière
de santé. Au cours des cinq dernières années, le gouvernement
et les organisations de la province ont déployé des efforts importants
pour étudier et planifier systématiquement des initiatives
visant à éliminer certains de ces obstacles à court et à long
terme7.
Ces approches dégressives auront des répercussions sur le système
dans son ensemble, mais en tant que rhumatologues, nous
pouvons atténuer l’écart sur le plan sanitaire grâce à des solutions
ascendantes, axées sur la prestation des soins de santé.
Dans le numéro de l’hiver 2020 du JSCR, le Dr Laurence Rubin
a décrit avec éloquence une de ces solutions. La Timmins
Arthritis Clinic, dans sa forme actuelle, fonctionne depuis la
fin des années 80. Le succès de cette clinique repose sur des
décennies d’engagement de la part du Dr Rubin, du Dr Carette
et de l’ACPAC (Arthritis Society Advanced Clinical Practitioners in
Arthritis Care) (Mary Ellen Marcon et Lynn Richards). Ils ont surtout
créé un modèle de soins durable qui ne dépend pas d’un
seul médecin. Au cours de la dernière année, nous avons ajouté
des visites virtuelles hebdomadaires « directement à domicile »
qui ont contribué à raccourcir la liste d’attente, à procéder à des
consultations urgentes et à augmenter le nombre de patients
qui peuvent être évalués. Malgré le succès de ce modèle à Timmins,
il sera de plus en plus difficile de créer et de maintenir des
programmes similaires en silo. Nous avons plutôt besoin d’une
approche globale et collaborative pour combler les lacunes et
faire entendre notre voix en vue d’apporter une amélioration
systémique durable.
À cette fin, à l’été 2020, l’Ontario Rheumatology Association
(ORA) a créé un comité responsable du nord de l’Ontario, formé de rhumatologues, de représentants de l’ACPAC et de dirigeants
de la Société d’arthrite qui participent aux soins dans le Nord.
Cette initiative a permis de rassembler des personnes ayant
des objectifs et une vision comparables pour générer des idées
innovantes.
En janvier 2021, le comité a organisé deux ateliers pour
renseigner les membres de l’OAR sur « la situation actuelle
dans le Nord » et pour recruter des membres intéressés par
la prestation de soins virtuels aux patients de cette région
dans un modèle ACPAC-médecin. Ce modèle de soins durable
existe déjà, avec l’ACPAC basée à Sudbury et à Thunder Bay.
Cependant, avec l’augmentation des besoins des patients et
les prochains départs à la retraite, il est important que nous
préservions les soins déjà fournis. Nous espérons tirer parti
des nouvelles compétences en matière de soins virtuels qui
ont été mises en point au cours de la pandémie et trouver des
membres qui seront prêts à offrir des soins aux patients du
nord de l’Ontario.
En reconnaissance de la plus grande présence de populations
autochtones dans le nord de l’Ontario, nous demanderons
à toutes les nouvelles « recrues » de suivre une formation
sur la sécurité culturelle autochtone8. Les populations autochtones
ont été victimes de diverses politiques discriminatoires
à l’origine des inégalités qui continuent à compromettre leur
santé. C’est le moins que nous puissions faire pour reconnaître
ce fait, amener une prise de conscience et renforcer
les compétences de ceux qui travaillent avec les populations
autochtones.
un intérêt accru chez les nouveaux diplômés qui installent
leur cabinet ou se rendent périodiquement dans le Nord.
Deux rhumatologues en début de carrière, les Drs Saara Rawn
et Matthew Piche, ont établi des cabinets permanents à Sault
Ste. Marie. Le Dr Maysam Khalfan a mis en place des cliniques
régionales à Kapuskasing et Hearst et prévoit se rendre quatre
fois par an dans ces régions pour y dispenser des soins. Les
Dres Elishka Pek et Lauren King cherchent à mettre en place
un modèle de visite similaire à Thunder Bay. À Timmins, nous
avons recruté la Dre Medha Soowamber, qui parle couramment le
français, une exigence essentielle dans une région où 20 % des
gens sont francophones. Cet intérêt et cette action de la part
des rhumatologues en début de carrière sont encourageants
et j’espère qu’ils se maintiendront et s’étendront au cours des
années à venir.
La vision à long terme est d’établir un modèle multidisciplinaire
qui repose sur la formation de praticiens locaux de
l’ACPAC et de praticiens au rôle élargi (PRÉ) dans chaque
grand centre du Nord, qui peuvent travailler aux côtés des
rhumatologues locaux ou en visite ou encore au moyen de la
télémédecine. Ce modèle pourrait éventuellement permettre
un triage central dans le Nord afin d’optimiser les temps d’attente
et de fournir une ressource locale experte aux communautés.
Cela nécessitera des solutions créatives et de nouveaux
modèles de soins durables qui n’existent pas encore. Au début
de l’année 2020, Mmes Stephanie Tom (ancienne présidente) et
Rachel Shupak ont rencontré des représentants du ministère
de la Santé pour discuter de ces questions. Le ministère s’est
montré intéressé et réceptif et a demandé une proposition
d’analyse de rentabilité décrivant notre vision d’un modèle de
soins durables idéal. Le comité de l’ORA responsable du nord
de l’Ontario a travaillé sur le plan d’affaires et espère le présenter
au ministère au printemps ou à l’été 2021. Tout en restant
pragmatiques, nous allons viser les étoiles et voir où cela nous
mène!
En fin de compte, une stratégie visant à assurer l’équité en
matière de santé nécessitera l’engagement et la participation
des intervenants et des dirigeants du Nord. Comme le dit la
Dre Jennifer Walker (titulaire de la Chaire de recherche du
Canada en santé autochtone à l’Université Laurentienne), « les
solutions ne peuvent pas être simplement importées du sud de
la province. Le paysage, social et culturel aussi bien que géographique,
est totalement différent ». Toutefois, nous pouvons tous
contribuer de différentes manières à réduire les inégalités en
matière de santé et à garantir que les patients reçoivent les soins
dont ils ont besoin, quels que soient l’endroit où ils vivent, leur
identité ou leurs ressources.
La Dre Medha Soowamber (à gauche) et Lynn Richards (à droite) lors de notre voyage à Timmins, en décembre 2020,
dans le style masqué classique de 2020!
L’atelier du comité de l’ORA responsable du nord de l’Ontario sur
les soins virtuels dans le Nord. Les nouveaux rhumatologues et
les rhumatologues d’expérience ont manifesté un grand intérêt.
Sahil Koppikar, M.D., FRCPC
Rhumatologue, Women’s College Hospital, Toronto
Directeur du Timmins Arthritis Program
Président, comité responsable du nord de l’Ontario (ORA)
Références :
1. Widdifield J, Paterson JM, Bernatsky S, et coll. Access to rheumatologists among patients
with newly diagnosed rheumatoid arthritis in a Canadian universal public healthcare
system. BMJ Open. 2014; 4(1):e003888.
2. Badley E, Veinot P, Ansari H, et coll. 2007 Survey of Rheumatologists in Ontario. University
Health Network; 2008.
3. Nagaraj S, Barnabe C, Schieir O, et coll. Early Rheumatoid Arthritis Presentation, Treatment,
and Outcomes in Aboriginal Patients in Canada: A Canadian Early Arthritis Cohort
Study Analysis. Arthritis Care Res (Hoboken). 2018; 70(8):1245-50.
4. Widdifield J, Bernatsky S, Paterson JM, et coll. Serious infections in a population-based
cohort of 86,039 seniors with rheumatoid arthritis. Arthritis Care Res (Hoboken). 2013;
65(3):353-61.
5. Ravi B, Croxford R, Hollands S, et coll. Increased risk of complications following total
joint arthroplasty in patients with rheumatoid arthritis. Arthritis Rheumatol. 2014;
66(2):254-63.
6. Widdifield J, Bernatsky S, Paterson JM, et coll. Trends in Excess Mortality Among
Patients With Rheumatoid Arthritis in Ontario, Canada. Arthritis Care Res (Hoboken).
2015; 67(8):1047-53.
7. Health Quality Ontario. Northern Ontario Health Equity Strategy 2020 [Disponible
sur : www.hqontario.ca/Quest-ce-que-la-qualit%C3%A9-des-services-de-sant%C3%A9/%C3%89quit%C3%A9-et-qualit%C3%A9-des-services-de-sant%C3%A9/Notre-travail
Northern-Ontario-Health-Equity-Strategy].
8. Provincial Health Services Authority Indigineous Health Program. San’yas Indigenous
Cultural Safety Training 2020 [Disponible sur : www.sanyas.ca/about-us].
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