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Printemps 2021 (Volume 31, numéro 1)

Une stratégie « treat-to-target » contre la goutte

Par Abhijeet Danve, M.D., FACP; et Tuhina Neogi, M.D., Ph. D.

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La goutte est la forme d’arthrite inflammatoire la plus courante, touchant 42 millions d’adultes dans le monde1. Malgré une physiopathologie bien comprise et l’accès à des médicaments efficaces, le traitement de la goutte reste sous-optimal et l’observance du traitement est médiocre. La stratégie centrale dans la prise en charge de la goutte consiste à réduire le taux d’urate sérique sous le seuil de saturation (6,8 mg/dL = 408 μmol/L) pour empêcher la cristallisation de l’urate monosodique, réduisant ainsi le risque de poussées de goutte et de formation de tophi. En se fondant sur cette compréhension de la biologie de la goutte, une stratégie « treat-to-target », c'est-à-dire un traitement axé sur les objectifs », a été préconisée par les sociétés de rhumatologie, bien que cette recommandation n’ait pas été acceptée par toutes les organisations2. Un traitement axé sur les objectifs consiste à assurer une prise en charge de l’affection de référence par une surveillance fréquente de l’activité de la maladie tout en intensifiant le traitement pour atteindre une cible thérapeutique quantifiable prédéfinie, par opposition à l’utilisation des seuls symptômes comme indicateurs. Les stratégies de traitement axé sur les objectifs sont utilisées pour un certain nombre de maladies chroniques, notamment l’hypertension, le diabète et la polyarthrite rhumatoïde3-5.

Un des aspects critiqués du traitement axé sur les objectifs dans les cas de goutte est la question de savoir si le taux d’urate sérique est un marqueur adéquat des manifestations cliniques des poussées et des tophi. Toutefois, à ce jour, au moins trois essais contrôlés à répartition aléatoire (ECRA) ont fourni des indications sur les effets de l’abaissement du taux d’urate sérique à < 6 mg/dL (360 μmol/L) sur les résultats cliniquement pertinents6- 8. Dans un essai britannique comparant les soins dirigés par des infirmières ayant recours à une stratégie de traitement axé sur les objectifs avec ajustements de la dose par rapport aux soins habituels prodigués par des médecins généralistes, on a démontré une baisse du taux d’urate sérique, accompagnée d’une diminution de la gravité et de la fréquence des poussées, d’une réduction des tophi et d’une meilleure observance du traitement8. Dans un ECRA réalisé auprès de participants atteints de goutte précoce, une plus grande proportion de patients sous fébuxostat ont obtenu un taux d’urate sérique < 6 mg/dL (360 μmol/L) et présenté une diminution plus marquée de l’incidence globale des poussées par rapport aux patients sous placebo7. De même, Sundy et al. ont démontré que l’utilisation de la pégloticase a permis à un nombre significativement plus élevé de participants d’obtenir un taux d’urate sérique < 6 mg/dL (360 μmol/L) et à une plus grande proportion de participants d’obtenir une réduction des tophi et des poussées par rapport au placebo6. Il est assez préoccupant que le seuil particulier de < 6mg/dL (360 μmol/L) n’ait jamais été directement évalué dans le cadre d’une ECRA pour déterminer s’il est supérieur aux seuils de < 6,8 mg/dL (408 μmol/L) ou de < 5 mg/dL (300 μmol/L), par exemple. Néanmoins, ces essais permettent de confirmer que la réduction du taux d’urate sérique à un niveau suffisamment inférieur au seuil de saturation améliore les résultats cliniques en ce qui concerne les poussées et les tophi.

À la lumière de ces résultats et d’autres données figurant dans le rapport exhaustif sur les données probantes, les lignes directrices de 2020 sur la goutte de l’American College of Rheumatology (ACR) recommandent fortement une stratégie de traitement axé sur les objectifs par hypo-uricémiant avec ajustement de la dose, guidée par des taux d’urate sérique en série et visant l’atteinte d’une valeur cible de < 6 mg/dL (360 μmol/L). L’ACR a également recommandé que l’ajustement du traitement hypo-uricémiant se fasse dans un délai raisonnable pour éviter l’inertie thérapeutique9. Les recommandations de 2016 de la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) pour la prise en charge de la goutte soutiennent également le recours à une stratégie de traitement axé sur les objectifs visant un taux d’urate sérique cible de < 6 mg/dL (360 μmol/L)10.

En résumé, il existe maintenant des données de grande qualité qui, combinées à une bonne compréhension de la physiopathologie de la goutte et à des lignes directrices de traitement, appuient l’utilisation d’un traitement axé sur les objectifs chez les patients atteints de cette maladie. Ainsi, plutôt que de prodiguer des soins de santé « réactifs », une approche de traitement axé sur les objectifs proactive peut atténuer et prévenir les séquelles à long terme en cas de prise en charge inadéquate de la goutte.

Abhijeet Danve, M.D., FACP
Professeur adjoint de médecine, Yale School of Medicine
New Haven (Connecticut)

Tuhina Neogi, M.D., Ph. D.
Professeure de médecine, Boston University School of Medicine
Boston (Massachusetts)

Références :

1. Safiri S, Kolahi AA, Cross M, et coll. Prevalence, incidence, and years lived with disability due to gout and its attributable risk factors for 195 countries and territories 1990-2017: A systematic analysis of the global burden of disease study 2017. Arthritis Rheumatol. 2020; 72(11):1916-27.

2. Qaseem A, Harris RP, Forciea MA, Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Management of Acute and Recurrent Gout: A Clinical Practice Guideline From the American College of Physicians. Ann Intern Med. 2017; 166(1):58-68.

3. James PA, Oparil S, Carter BL, et coll. 2014 evidence-based guideline for the management of high blood pressure in adults: report from the panel members appointed to the Eighth Joint National Committee (JNC 8). JAMA. 2014; 311(5):507-20.

4. Yki-Jarvinen H, Kauppila M, Kujansuu E, et coll. Comparison of insulin regimens in patients with non-insulin-dependent diabetes mellitus. N Engl J Med.1992; 327(20):1426-33.

5. Grigor C, Capell H, Stirling A, et coll. Effect of a treatment strategy of tight control for rheumatoid arthritis (the TICORA study): a single-blind randomised controlled trial. Lancet. 2004; 364(9430):263-9.

6. Sundy JS, Baraf HS, Yood RA, et coll. Efficacy and tolerability of pegloticase for the treatment of chronic gout in patients refractory to conventional treatment: two randomized controlled trials. JAMA. 2011; 306(7):711-20.

7. Dalbeth N, Saag KG, Palmer WE, et coll. Effects of febuxostat in early gout: a randomized, double- blind, placebo-controlled study. Arthritis Rheumatol. 2017; 69(12):2386-95.

8. Doherty M, Jenkins W, Richardson H, et coll. Efficacy and cost-effectiveness of nurse-led care involving education and engagement of patients and a treat-to-target urate-lowering strategy versus usual care for gout: a randomised controlled trial. Lancet. 2018; 392(10156):1403-12.

9. FitzGerald JD, Dalbeth N, Mikuls, et coll. 2020 American College of Rheumatology Guideline for the Management of Gout. Arthritis Rheumatol. 2020; 72(6):879-95.

10. Richette P, Doherty M, Pascual E, et coll. 2016 updated EULAR evidence-based recommendations for the management of gout. Ann Rheum Dis. 2017; 76(1):29-42.



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