Printemps 2021 (Volume 31, numéro 1)
Le bien-être des médecins en pleine
pandémie : du bien-être individuel
à une culture de compassion
Par Allison Crawford, M.D., Ph. D., FRCPC
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Il existe une corrélation
entre notre
propre bien-être en
tant que prestataires de
soins de santé et notre
capacité à prodiguer des
soins de qualité aux patients
et aux familles1. De
plus, au vu de notre investissement
considérable
dans la prise en charge
d’autrui, nous devons
également veiller à nous
épanouir sur le plan personnel
ainsi qu’au sein
de nos familles et de nos
communautés. Et pourtant,
même avant la pandémie, le bien-être des médecins était au
coeur des préoccupations.
Une étude récente résume des statistiques alarmantes selon
lesquelles jusqu’à 42 % des médecins aux États-Unis déclarent
avoir vécu des expériences correspondant à un épuisement
professionnel, 14 % d’entre eux ayant même eu des pensées
suicidaires1,2. De plus, même dans les cas les plus graves, seul
un tiers d’entre eux cherchent à se faire soigner1. Dans le cadre
d’un sondage national réalisé en 2018 par l’Association médicale
canadienne, des résultats similaires ont montré que 30 % des
médecins canadiens ont fait état de niveaux élevés d’épuisement
professionnel, 34 % présentaient des symptômes compatibles
avec une dépression et 8 % avaient eu des pensées suicidaires au
cours des 12 mois précédents3.
La pandémie de COVID-19 a alourdi le fardeau de tous, et le
bien-être et la résilience des prestataires de soins de santé déjà
en difficulté pourraient encore être mis à rude épreuve. Au cours
de la pandémie, les prestataires de soins de santé ont présenté
des taux supérieurs de détresse, d’insomnie, d’anxiété et de
dépression, en particulier les prestataires directement impliqués
dans la prise en charge des patients atteints de COVID-194. Parmi
les autres facteurs de stress engendrés par la pandémie, citons :
l’incertitude et l’anxiété relatives à leur propre bien-être et à celui
de leurs proches; l’augmentation des flux de travail et des exigences
au travail; l’accroissement de l’isolement et la diminution
des possibilités d’activités protectrices, telles que les activités
favorisant les liens sociaux; et, pour beaucoup, la perte, y compris
la perte de patients5. Outre l’incidence directe des exigences
accrues et de l’épuisement, beaucoup ont également mentionné
les effets psychologiques néfastes de la détresse morale, ou la détresse
qui s’installe lorsque les circonstances existantes sont en
contradiction avec les valeurs et les croyances d’une personne6.
Quels sont les signes avant-coureurs
de l’épuisement professionnel?
- Sentiment de déprime, de tristesse, de dépression
- Sentiments de colère, d’impatience, d’irritabilité
- Envie de mourir ou pensées suicidaires
- Sentiments moindres de satisfaction au travail et difficulté à
y trouver un sens
- Augmentation de l’absentéisme au travail; ou à l’inverse,
déploiement d’efforts pour travailler plus/plus dur
- Sentiments moindres de compassion pour les patients
- Augmentation des erreurs médicales
Des mesures d’autoévaluation des symptômes de l’épuisement
professionnel peuvent également être employées. La plus
couramment utilisée est l’échelle Maslach Burnout Inventory5. Les
travaux récents de Trockel et ses collègues portent également sur
un éventail d’expériences allant de l’épuisement à la satisfaction7.
Comment pouvons-nous assurer notre propre bien-être?
Polizzi, Lynn et Perry (2020) offrent un cadre utile pour envisager
des interventions utiles, en se concentrant sur le contrôle, la
cohérence et la connexion8.
Le contrôle comprend des activités qui renforcent nos ressources
personnelles par l’adoption de pratiques protectrices,
telles que la mise en place de routines, l’hygiène du sommeil et
l’exercice. Nous pouvons nous appuyer sur notre connaissance
des pratiques d’adaptation qui se sont avérées utiles dans les périodes
d’adversité antérieures, et nous pouvons utiliser des outils
de suivi, comme les journaux de suivi de l’humeur, du sommeil
et des activités, afin de cerner les domaines qui nécessitent une
attention particulière.
La cohérence souligne l’importance du sens que nous donnons
à l’adversité. En nous interrogeant sur le récit que nous faisons de
la pandémie actuelle et sur nous-mêmes, et en réfléchissant à nos
propres valeurs, nous pouvons obtenir une nouvelle perspective des
événements actuels et de notre propre rôle dans ces événements.
Des questions de réflexion sont proposées, notamment : « Qu’est-ce
qui est important pour vous? Qu’est-ce qui contribue à votre bienêtre,
même dans une situation dont vous n’avez pas une maîtrise totale?
» La réflexion peut être complétée par des pratiques telles que
la pleine conscience, qui peuvent également favoriser une meilleure
acceptation de nos réactions émotionnelles ainsi que des situations
sur lesquelles nous n’avons que peu de contrôle.
La connexion met l’accent sur notre besoin de soutien et de
contacts avec autrui, et sur les avantages connus des liens sociaux
pour affronter l’adversité. Les personnes sont encouragées à trouver
des moyens de maintenir une connexion significative, même
au coeur de mesures de santé publique susceptibles d’intensifier
l’isolement.
Toutefois, l’efficacité des interventions visant à réduire l’épuisement
professionnel et à renforcer la résilience nécessite davantage
de recherches. Une récente revue Cochrane démontre le
peu de données probantes concernant les interventions visant à
soutenir les prestataires de soins de santé pendant une pandémie9.
Les facteurs associés à une mise en oeuvre efficace des interventions
comprennent l’adaptation des interventions aux besoins
locaux, une communication efficace au sein des organisations et
la garantie d’environnements d’apprentissage sûrs et favorables.
Parmi les obstacles corollaires au soutien des prestataires de soins
de santé pendant une pandémie, on peut citer le fait que les individus
et les organisations ne sont pas conscients des soutiens
requis, ainsi que le manque d’équipement, de temps et de compétences
du personnel nécessaires pour soutenir les interventions.
Les conclusions de cet article évoquent l’importance d’un
quatrième élément, qui pourrait s’appeler Culture, ou peut-être
Culture de compassion. La culture et le soutien organisationnels
sont essentiels au bien-être des prestataires de soins de santé.
Un sondage de l’Association médicale canadienne a notamment
conclu que même les médecins personnellement résilients ne
sont pas à l’abri d’un épuisement professionnel3. En mettant trop
l’accent sur l’adaptation et la résilience individuelles, on ne fera
probablement qu’aggraver l’épuisement professionnel. Il appartient
aux organisations de donner la priorité au bien-être de
tous les prestataires et de créer une culture de compassion dans
laquelle le bien-être est valorisé et soutenu à tous les niveaux de
l’organisation, et où du temps et des ressources sont consacrés
non seulement à assurer la résilience des individus, mais aussi
celle des équipes.
Allison Crawford, M.D., Ph. D., FRCPC
Psychiatre, Centre for Addiction and Mental Health
Chef associée, Santé mentale virtuelle
Professeure agrégée, Département de psychiatrie,
Université de Toronto
Médecin en chef, Service canadien de prévention du suicide
Toronto (Ontario)
Références :
1. Yates SW. Physician Stress and Burnout. Am J Med. 2020; 133(2):160-164. doi: 10.1016/j.amjmed.
2019.08.034. Epub 2019 Sep 11.
2. Rotenstein LS, Torre M, Ramos MA, et coll. Prevalence of Burnout Among Physicians: A Systematic
Review. JAMA. 2018; 320(11):1131-1150.
3. Vogel, L. Even resilient doctors report high levels of burnout, finds CMA survey. CMAJ. 2018; 190
(43): E1293.
4. Lai J, Ma S, Wang Y, et coll. Factors Associated With Mental Health Outcomes Among Health Care
Workers Exposed to Coronavirus Disease 2019. JAMA Netw Open. 2020; 3(3):e203976.
5. Norful AA, Rosenfeld A, Schroeder K, et coll. Primary drivers and psychological manifestations of
stress in frontline healthcare workforce during the initial COVID-19 outbreak in the United States.
Gen Hosp Psychiatry. 2021; 69:20-26. doi: 10.1016/j.genhosppsych.2021.01.001. Publication en
ligne avant impression.
6. Anderson-Shaw LK, Zar FA. COVID-19, Moral Conflict, Distress, and Dying Alone. J Bioeth Inq.
2020; 17(4):777-782. doi: 10.1007/s11673-020-10040-9. Epub 2020 Nov 9. PMID: 33169271;
PMCID: PMC7652046.
7. Trockel M, Bohman B, Lesure E, et coll. A Brief Instrument to Assess Both Burnout and Professional
Fulfillment in Physicians: Reliability and Validity, Including Correlation with Self-Reported Medical
Errors, in a Sample of Resident and Practicing Physicians. Acad Psychiatry. 2018; 42(1):11-24.
8. Polizzi C, Lynn SJ, Perry, A. Stress and Coping in the Time of COVID-19: Pathways to Resilience and
Recovery. Clinical Neuropsychiatry. 2020; 17(2): 59-62.
9. Pollock A, Campbell P, Cheyne J, et coll. Interventions to support the resilience and mental health of
frontline health and social care professionals during and after a disease outbreak, epidemic or pandemic:
a mixed methods systematic review. Cochrane Database Syst Rev. 2020;11:CD013779.
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