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Hiver 2021 (volume 31, numéro 4)

Deuxièmes chances

Par Philip Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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« Parfois, la vie vous donne une deuxième chance, car peut-être que la première fois, vous n'étiez pas prêt. »
– Auteur inconnu

Notre ordinateur le plus ancien était livré avec un jeu de solitaire gratuit appelé Freecell. Je joue encore de temps en temps, mais maintenant, je ne perds jamais. Lorsque je suis dans une impasse, je peux faire marche arrière, annuler toutes les cartes que j’ai jouées et réessayer. Alors, pourquoi abandonner quand je peux essayer encore et encore? Certains jeux sont d’une difficulté frustrante, mais ils peuvent tous être résolus.

En médecine, certaines spécialités accordent davantage de deuxièmes chances que d'autres. Si vous êtes chirurgien, vous avez intérêt à faire les choses correctement dès la première fois : opérez du bon côté et assurez-vous que toutes les éponges et tous les instruments ont été retirés et que chaque suture est correctement fixée. Si quelque chose ne va pas, une deuxième opération peut corriger les choses, mais personne ne sera heureux.

Les spécialités cognitives sont généralement plus indulgentes. Certains jours, je suis au sommet de ma forme, je reconnais une triade de symptômes clés qui mènent à un diagnostic, je demande le bon test pour confirmer une intuition diagnostique et je détecte les rares exceptions parmi les nombreux patients qui ont un diagnostic plus simple. D’autres jours, je reconnais que je suis fatigué ou que je ne suis pas à mon meilleur. Ces jours-là, il faut plus de temps, et rien ne vient facilement. S’il ne s’agit pas d’une urgence, la meilleure solution peut consister à prescrire les tests appropriés, à prévoir un autre rendez-vous avec le patient et à repenser la situation. Cette stratégie laisse également le temps aux choses de devenir plus évidentes : le patient qui présente des céphalées temporales graves et une CRP1 élevée développe une éruption classique de zona dans la distribution V1, ou un psoriasis clair se manifeste chez un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde (PR) polyarticulaire apparemment séronégative.

Une deuxième chance se présente souvent lorsqu’un patient est dirigé de nouveau, souvent des années après la consultation initiale. J’ai eu un trio de ces patients qui sont arrivés la même semaine récemment.

Le premier patient avait été vu en 2005 avec des antécédents de doigts en « saucisse » et de blocage intermittents dont le traitement était parfois assuré par des antibiotiques. S’en sont suivies des crises intermittentes de synovite aiguë dans les doigts, les poignets et les genoux, qui ont duré jusqu’à deux semaines. Les AINS2 oraux ont eu un effet bénéfique limité. L’examen n’a montré aucun signe de psoriasis et la seule constatation touchant de l’appareil musculosquelettique était une légère sensibilité d’une seule IPP3. Les analyses de laboratoire ont révélé un taux d’urate élevé de 435, un FR4 négatif et un test AAN5 positif de 1:80. Mon diagnostic était un possible rhumatisme psoriasique. Le rhumatisme palindromique et la goutte semblaient moins probables.

Le patient a déménagé. Seize ans plus tard, il est revenu consulter pour un gonflement des IPP et des MCP6 de la main gauche, une diminution de la prise et l’incapacité de fermer complètement son poing, qui duraient depuis un mois. Ce problème a été résolu après la prise d’un AINS en vente libre. Le patient était en attente d’un rendez-vous chez le dermatologue concernant une éruption cutanée sur les oreilles avec squames, écailles et démangeaisons. Dans ce cas, le résultat a été la confirmation du diagnostic précédemment suspecté de rhumatisme psoriasique. Les tests ont montré une FSC7 normale, une VSE8 de 12, une CRP de 5,4, un FR et un B27 négatifs et un taux d’urate de 366. La radiographie des mains était normale. La consultation dermatologique a confirmé le psoriasis.

Le second patient a été vu pour la première fois en 2019 à l’âge de 70 ans concernant un diagnostic possible de goutte. Au cours de l’année précédente, il a eu trois épisodes aigus, toujours au genou droit, et deux visites aux urgences. Il n’y avait pas de rougeur, mais il a noté une légère chaleur, un gonflement et une douleur à la marche. Entre les épisodes, il avait de la difficulté à s’agenouiller. À chaque épisode, il a répondu au traitement standard prescrit aux urgences pour l’arthrite aiguë, soit la prednisone de 50 à 0 mg sur une période de deux semaines. L’examen a montré une légère ostéoarthrite (OA) de la main. Le genou droit était froid, sans épanchement ni kyste de Baker, avec une crépitation tricompartimentale et une flexion de 0 à 110 degrés avec douleur à l’effort. La démarche était normale, mais une douleur a été notée dans le genou droit lors de l’accroupissement.

La radiographie du genou droit a montré une arthrose modérée, en particulier dans le compartiment médial, avec une chondrocalcinose du ménisque. Les analyses de laboratoire ont révélé une FSC normale, un DFGe9 de 50 et un taux d’urate de 360 (qui n’a jamais dépassé 400).

L’apparition de la goutte à 70 ans étant inhabituelle, j’ai pensé que le diagnostic le plus probable était qu’il avait des épisodes de poussées d’arthrose dans le genou droit, peut-être liés à la maladie à dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium dihydraté/chondrocalcinose. J’ai arrêté la prednisone, lui ai fourni des documents sur la prise en charge de l’arthrose et lui ai injecté des stéroïdes dans le genou droit. Aucun fluide n’a pu être aspiré.

Le patient est revenu consulter récemment pour une inflammation articulaire épisodique touchant le poignet gauche à trois reprises et la cheville gauche à une reprise. De courts traitements par la colchicine, à raison de 0,6 mg deux fois par jour pendant une semaine, et par la prednisone, à raison de 30 mg/jour, ont été bénéfiques. Le patient avait des douleurs occasionnelles au poignet et au coude droits et les deux épaules étaient limitées dans leur mouvement avec une certaine douleur.

La FSC était normale, la VS, de 73, la CRP, de 57, le DFGe, de 41, le taux d’urate, de 350, le FR, négatif, le taux de calcium, de 2,6, le phosphate et les autres analyses chimiques étaient normales, et la TSH10 était de 5,6. Avec une arthrite épisodique récurrente touchant le genou, le poignet, la cheville, le coude et les épaules, le diagnostic antérieur d’arthrose avec chondrocalcinose fortuite a été remplacé par un diagnostic de maladie à dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium dihydraté avec manifestations d’arthrose. Les radiographies des mains, des poignets, des coudes et des épaules ont confirmé une chondrocalcinose au niveau des coudes et des épaules, avec des modifications causées par l’arthrose dans les mains, les poignets et les épaules.

Enfin, une femme de 50 ans a été vue au début de 2020 pour des antécédents de douleurs articulaires et musculaires diffuses aux extrémités supérieures et inférieures et au bas du dos depuis 12 mois, ces dernières étant de nature mécanique selon la description. Après une douleur antérieure au cou, on lui a diagnostiqué de l’arthrite aux vertèbres C5 et C6.

L’examen n’était pas révélateur. La FSC, la VS et la CRP étaient normales, alors que le FR et l’anti-CCP11 étaient négatifs. Je ne pensais pas qu’elle était atteinte d’arthrite inflammatoire.

La patiente est revenue consulter après seulement cinq mois. On m’a dit qu’un cousin germain avait récemment reçu un diagnostic de spondylarthrite ankylosante, avec HLA-B27 positif, et qu’il était sur le point de commencer un traitement anti-TNF12. De nouvelles analyses ont montré également un HLA-B27 positif, tandis que la VS et la CRP sont restées normales. Elle a continué à se plaindre de troubles du sommeil et d’une gêne musculosquelettique diffuse au niveau des mains, des genoux, des épaules, de la ceinture scapulaire, du cou, du haut et du bas du dos, sans douleur vertébrale inflammatoire selon la description.

À l’examen, il n’y avait pas de psoriasis ni d’inflammation oculaire. Aucune synovite périphérique n’était présente, ni dactylite, enthésite ou ténosynovite. L’amplitude de mouvement au cou et à la colonne vertébrale était normale. La démarche était normale.

Les examens d’imagerie effectués par le médecin de famille comprenaient notamment des échographies des deux poignets, des deux genoux et du coude gauche, qui sont toutes normales. Les radiographies des deux pieds, des chevilles, des genoux, des articulations SI13, des hanches, des mains et des poignets étaient normales.

Mon impression dans ce cas était inchangée. Bien qu’elle ait été positive pour l’antigène HLA-B27 et qu’elle ait des antécédents familiaux de spondylarthrite ankylosante, ses symptômes ne sont pas ceux d’une spondylarthropathie séronégative. J’ai conclu à une douleur myofasciale. J’ai fourni des fiches de conseils sur la posture vertébrale et des exercices, un programme général d’étirements et des stratégies de prise en charge de la douleur.

Trois deuxièmes chances : un avis confirmé, un avis modifié, un avis inchangé. Aucun élément majeur n’a été oublié, ce qui est toujours rassurant. Du moins, je ne le pense pas, mais si l’un de ces patients revenait pour une troisième fois, un examen plus approfondi s’imposerait.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC,
Rédacteur en chef, JSCR, Scarborough (Ontario)

Glossaire : 1. CRP : protéine c-réactive 2. AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens 3. IPP : interphalangienne proximale 4. FR : facteur rhumatoïde 5. AAN : anticorps antinucléaire 6. MCP : articulations métacarpophalangiennes 7. FSC : formule sanguine complète 8. VSE : vitesse de sédimentation érythrocytaire 9. DFGe : débit de filtration glomérulaire estimé 10. TSH : thyréostimuline 11. Anti-CCP : anticorps anti-peptide cyclique citrulliné 12. anti-TNF : facteur de nécrose tumorale 13. SI : sacro-iliaque

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