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Été 2021 (volume 31, numéro 2)

Un bref historique du traitement de la polyarthrite rhumatoïde

Par Reza Mirza, M.D. (d’après une discussion avec le Dr Arthur Bookman)

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« L’une des maladies les plus réfractaires, les plus obstinées et les plus invalidantes qui puissent toucher le corps humain. »
– Lane et Griffiths, 1890

« Des cas de ruine et de désespoir, dans un sens, une maladie plus maligne que le cancer. »
– Spender, 1889


 Dr Jacques Forestier          Dr Henri Forestier

Années 20 :
« Tout ce qui est or ne brille pas. »

– J.R.R. Tolkien
En 1929, le Dr Jacques Forestier, fils d’Henri Forestier, fondateur de la Ligue internationale contre le rhumatisme, a affirmé que la polyarthrite rhumatoïde (PR) et la tuberculose (TB) partageaient des caractéristiques similaires : maladie fébrile avec leucocytose, anémie et malaise général. Il a émis l’hypothèse que l’or, utile dans le traitement de la tuberculose, pourrait également être utile pour traiter la PR.

Au cours des années qui ont suivi, il a publié un certain nombre de séries de cas sur la chrysothérapie dans The Lancet. Il a administré à des patients 250 mg de thiopropanol d’or par voie intramusculaire (IM) toutes les semaines pendant 10 à 12 semaines, a attendu un mois et, dans certains cas, a administré une autre série de traitements.

Cinq des 15 patients ont eu une « excellente » réponse, cinq autres ont présenté une « très nette amélioration », deux ont eu une « réponse minimale » et trois n’ont pas vu d’aggravation de leur état. À titre de comparaison, nous citons généralement des taux de réponse biologique de 20 % pour l’ACR70 et de 40 % pour l’ACR50+ (je dis « plus », car les gens comme moi oublient que l’ACR50 inclut l’ACR70).

La controverse sur l’efficacité de l’or s’est poursuivie jusqu’en 1945, lorsque Thomas Fraser a publié les résultats du tout premier essai contrôlé à répartition aléatoire (ECRA) et à double insu portant sur un médicament antirhumatismal. Dans cet essai, on comparait l’or à un placebo. Il n’a pas eu la chance de pouvoir utiliser le score CDAI (Clinical Disease Activity Index) ou le système de notation de l’American College of Rheumatology (ACR). Comme il l’a admis lui-même : « Il est difficile de décider des critères à utiliser. » Selon son impression, 42 % des patients ont connu une grande amélioration.

Dans les années 80, des traitements oraux à base d’or, plus pratiques mais moins efficaces, ont été mis au point.

Mode d’action (de l’or) :

  • Les patients traités par l’or présentent une diminution des immunoglobulines, du facteur rhumatoïde et des complexes immuns circulants.
  • L’or peut dissocier les peptides antigéniques du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMH II), diminuant la présentation de l’antigène, ce qui a été démontré in vivo pour l’allèle HLA-DRB1 (l’épitope partagé).
  • L’or inhibe la production de prostaglandines E2.

Années 40 et 50 : Rx : AAS à 325 mg 3 co QID – Vous avez bien lu!
L’essai EMPIRE sur les maladies rhumatismales (1955) était l’essai CYCLOPS de l’époque1. Cet essai a démontré que l’acide acétylsalicylique (AAS) n’était pas différent de la cortisone sur le plan de l’amélioration du nombre d’articulations touchées et de la vitesse de sédimentation (VS), marquant ainsi le début d’une ère de prolifération des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).

Années 50 : Cortisone
La première fois où les médecins ont réalisé qu’il existait peut-être un agent capable de produire une rémission chez les patients atteints de PR coïncide avec le moment où ils ont réalisé que les patients atteints de PR qui présentaient une jaunisse se rétablissaient spontanément. La chasse à l’« impressionnant antidote de la nature » était lancée : « Des volontaires atteints de polyarthrite rhumatoïde ont reçu des sels biliaires par voie orale, un dérivé d’un acide biliaire (la décholine) par voie orale et intraveineuse, des extraits de foie par voie parentérale, de la bile de boeuf par proctoclyse (par le rectum) et de grandes quantités de bile humaine par sonde gastrique... » Rien de tout cela n’a fonctionné!

Un autre indice est venu des femmes atteintes de PR qui ont connu une amélioration spectaculaire pendant leur grossesse. Le centre d’intérêt s’est alors déplacé vers les hormones. En 1948, le Dr Kendall (un biochimiste qui a isolé la thyroxine et plusieurs hormones surrénales, dont la cortisone) et le Dr Hench, de la clinique Mayo, ont testé le « composé E » (cortisone) chez un patient atteint de rhumatismes à une dose quotidienne de 100 mg par voie IM. Son état s’est amélioré de façon spectaculaire en trois jours.

Cette découverte leur a valu le prix Nobel! Le Dr Laurence Rubin insiste pour que vous lisiez leur discours d’acceptation du prix Nobel sur leur découverte2. Il est très intéressant.

Les 60 années suivantes ont été marquées par le lancement des médicaments que nous connaissons bien. Nous pouvons donc nous contenter de brefs récits :

Années 60 : AINS. Le premier AINS a été l’ibuprofène (breveté en 1962, commercialisé en 1969), et le deuxième, le naproxène (breveté en 1967, commercialisé en 1976). À un certain moment, on comptait 15 AINS sur le marché canadien. Les taux de crises cardiaques ont grimpé en flèche. Les hospitalisations pour des complications d’ulcères ont atteint des proportions épidémiques

Années 70 : Méthotrexate et cyclophosphamide. En 1972, Rex Hoffmeister, un rhumatologue praticien de Spokane, dans l’État de Washington, faisait état des effets positifs associés au MTX par voie intramusculaire. Lors de la réunion de l’ACR, on s’est moqué de lui. Il a fallu attendre les années 80 pour que la rigide communauté des rhumatologues mène le premier essai à double insu.

Années 90 : Le léflunomide a été approuvé en 1998 aux États- Unis, la même année que l’étanercept.

Conclusion À mes yeux, la rhumatologie est la spécialité qui a connu les progrès les plus importants pour les patients au cours des dernières décennies. Mes collègues et moi sommes impatients de voir ce que nous réserve l’avenir. Seules quelques bêtes restent à dompter : la sclérodermie, le syndrome de Sjögren, le loup à plusieurs faces (LED) et les vascularites.


AAS entérosoluble administré à doses croissantes jusqu’à la dose maximale tolérée. La dose optimale habituelle était de 975 mg QID (3,9 g 1 f.p.j.). La dose était augmentée jusqu’à ce que le patient présente un acouphène, puis diminuée. Ce n’était pas le premier cas où les rhumatologues invoquaient une telle règle.
Dr Bookman: « Personne n’a eu d’IM sous aspirine à haute dose. Nous croyions que la maladie rhumatismale protégeait des maladies coronariennes jusqu’à ce que nous passions à l’ibuprofène et au naproxène. »


  9e jour du traitement par l’AAS


  48 heures après l’arrêt de l’AAS


  72 heures après la reprise de l’AAS

Le Toronto Wellesley Hospital (1963-1998),
un service de rhumatologie de 40 lits :
Une réflexion du Dr Bookman

Les patients provenaient de tout l’Ontario, parfois de l’arrière d’une grange, souvent complètement immobiles. Ils étaient hospitalisés pendant plusieurs semaines.

Ils étaient amenés à l’hôpital pour différentes raisons : traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et de réadaptation, gestion des médicaments, chirurgie reconstructive et pose d’attelles et d’écharpes. Tous les jours, à midi, la physiothérapie était prodiguée par l’interphone et les patients suivaient le traitement à partir de leur lit.

Il y avait une piscine thérapeutique chauffée. Les patients immobiles étaient soulevés à l’aide d’une sorte de nacelle. Les mains étaient trempées dans de la cire de paraffine chaude (chauffée au bain-marie) pour soulager la raideur matinale avant la physiothérapie des mains

Tous les jours, les stagiaires en rhumatologie procédaient à plusieurs injections intra-articulaires à la fois chez les patients. Les seuls médicaments à la disposition des médecins étaient l’or, les AINS, la cortisone et la chloroquine. La chloroquine était beaucoup plus efficace que l’hydroxychloroquine, mais elle était associée à des taux plus élevés de toxicité rétinienne et provoquait une toxicité cornéenne altérant la vision nocturne.

Références :
1. de Groot, K, et coll. “Pulse versus daily oral cyclophosphamide for induction of remission in antineutrophil cytoplasmic antibody-associated vasculitis: a randomized trial.” Annals of internal medicine. 2009; 150(10): 670-680.

2. Kendall, E. C. The development of cortisone as a therapeutic agent. Antibiot Chemother (Northfield). 1951; 1(1): 7-15.

Reza Mirza, M.D., stagiaire en rhumatologie,
Université de Toronto, Toronto (Ontario)



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