Été 2021 (volume 31, numéro 2)
Acronymes en folie
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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Le thème de la récente Assemblée scientifique annuelle 2021
de la SCR était « CRA ». Que signifie cet acronyme? Eh bien,
en premier lieu, CRA (SCR) désigne notre propre Société
canadienne de rhumatologie (rheum.ca/fr/), à ne pas confondre
avec la California Rheumatology Alliance (www.calrheum.org) ou
l'Agence du revenu du Canada (www.canada.ca/fr/agence-revenu.html), qui a parfois manifesté un intérêt indésiré pour notre CRA/SCR. Si vous réalisez des essais cliniques, vous connaissez sans doute le poste de Clinical Research Associate (associé en recherche clinique), dont l’abréviation est aussi CRA. En second lieu, CRA signifie astucieusement « Collaboration, résilience et avancement ».
Mes autres affiliations comprennent l'OMA, soit l'Ontario
Medical Association, et non l'acronyme OMA, maintenant fréquemment
utilisé pour représenter les produits biologiques
autres que les inhibiteurs du TNF, qui ont d'autres mécanismes
d'action, donc en anglais « Other Mechanisms of Action ». Je suis
également membre de l'Ontario Rheumatology Association
(ORA), qui partage cet acronyme avec le registre français « Orencia
in Rheumatoid Arthritis ».
Comment nous y retrouver? Pénétrez dans le monde des
acronymes des essais cliniques et vous serez encore plus confus.
Deux essais cliniques en rhumatologie portent le sigle AMBITION
: « Actemra versus Methotrexate double-Blind Investigative Trial in mONotherapy », et « A study of first-line aMBrIsentan and Tadalafil combinatION therapy in subjects with pulmonary arterial hypertension ». Tous deux sont des exemples de la manoeuvre Tolstoï, dont
il sera question plus loin.
Je me souviens de l’essai MORE : « Multiple Outcomes for Raloxifene Evaluation » et d’un autre essai MORE pour lequel j’étais
le principal chercheur : « a multi-center, double-blind, randomized, parallel-group trial to compare the efficacy and safety of three doses of MelOxicam (7.5, 15, and 22.5 mg) and placebo in patients With RhEumatoid arthritis ».
Les rhumatologues connaissent bien le programme d’essais
cliniques SELECT, car il porte sur plusieurs versions d’essais de
l’upadacitinib. Un essai SELECT antérieur était l’essai « Safety and Efficacy Large-scale Evaluation of COX-inhibiting Therapies »
dans l’arthrose, comparant le méloxicam et le piroxicam.
Il n’est pas rare que le même acronyme corresponde à deux
essais et qu’un seul s’applique à la rhumatologie. Un récent club
de lecture a examiné les résultats de l’étude MOST (Multicenter Osteoarthritis Study), à ne pas confondre avec l’essai MOST (Mode Selection Trial in Sinus-Node Dysfunction) en cardiologie.
En parlant de la cardiologie, elle gagne la palme pour le
pourcentage d’essais acronymisés, dont 16 porte le sigle HEART.
D’autres acronymes populaires pour désigner des essais sont
IMPACT et SMART, utilisés respectivement 16 et 13 fois.
Je vous recommande deux excellents articles sur les acronymes,
tous deux librement accessibles en ligne, dans lesquels
la rhumatologie est évoquée. Les Drs Fred et Cheng ont publié
en 2003 Acronymesis1. Ce terme indique que l’utilisation abusive
des acronymes est devenue une némésis. On y aborde la
non-définition des acronymes, l’utilisation d’un acronyme pour
désigner deux choses et les acronymes coercitifs. On entend
par acronyme coercitif une désignation d’essai comme CURE,
MIRACLE et SAVE qui peut inciter à tort les patients à y participer.
Il y est question d’essais désignés par des acronymes à
consonance positive mais qui ont donné des résultats négatifs,
notamment IMPROVED et PROMISE.
La manoeuvre de Tolstoï y est évoquée, mais sous une appellation
différente. Cela consiste à prendre dans le désordre les
lettres d’un essai pour créer un acronyme accrocheur. Les deux
essais AMBITION ont exploité cette manoeuvre, tout comme
RENAISSANCE (Randomized Etanercept North American Strategy to Study AntagoNism of CytokinEs) et RENEWAL (Randomized EtaNErcept Worldwide evALuation).
Dans le numéro de Noël 2014 du British Medical Journal (BMJ),
on a présenté le document de recherche d’un groupe danois,
intitulé « SearCh for humourIstic and Extravagant acroNyms and Thoroughly Inappropriate names For Important Clinical trials (SCIENTIFIC) : qualitative and quantitative systematic study2 ». Cette étude
semi-sérieuse a examiné un certain nombre d’ECRA dans différentes
spécialités, dont la rhumatologie. Les caractéristiques
positives et négatives des acronymes ont été évaluées à l’aide des
critères bien nommés BEAUTY et CHEATING : (BEAUTY, Boosting Elegant Acronyms Using a Tally Yardstick) et négatifs (CHEATING, obsCure and awkHward useE of lettArs Trying to spell somethING).
On a inclus une liste de mentions honorables et déshonorantes
qui n’ont pas obtenu une marque particulièrement élevée ou
faible, mais qui étaient dignes de mention.
Les résultats indiquent que 8,1 % des 1 404 ECRA sur la polyarthrite
rhumatoïde (PR) publiés entre 2000 et 2012 utilisaient
des acronymes dans leur titre. Dans 5,8 % des cas, les acronymes
d’essais sur la PR ont été bien accueillis. L’acronyme qui a obtenu
le plus de points était PREDICTIVE, un essai sur le diabète.
Aucun acronyme d’essai sur la PR ne s’est classé au palmarès des
25 meilleurs. Un acronyme d’essai canadien en rhumatologie
s’est classé au palmarès des 25 pires acronymes. L’étude METGO
de 2005 : « a 48-week, randomized, double-blind, double-observer, placebo-controlled multicenter trial of combination METhotrexate and intramuscular GOld therapy in rheumatoid arthritis3 ». Cette étude
a été menée par l’Université de la Colombie-Britannique et le
Centre de recherche sur l’arthrite. Les auteurs en sont notamment
Allen Lehman, John Esdaile, Alice Klinkhoff, Eric Grant,
Avril Fitzgerald et Janice Canvin. Les autres chercheurs se sont
cachés sous le couvert du « Groupe d’étude METGO ».
Une étude sur la PR, dont je n’ai jamais entendu parler
même si elle a été publiée dans A&R 2011 et dans ARD 2012, est au palmarès des mentions honorables : « Treating to target matrix metalloproteinase 3 normalisation together with disease activity score below 2.6 yields better effects than each alone in rheumatoid arthritis patients: treating to twin targets; the T-4 stud ». Nous
avons également eu une entrée sur la liste des mentions déshonorantes
: « The Abatacept study to Determine the effectiveness in preventing the development of rheumatoid arthritis in RA patients with Undifferentiated inflammatory arthritis and to evaluate Safety and Tolerability (ADJUST) ». Cette étude a été citée comme exemple de manoeuvre Tolstoï ratée, la lettre J n’apparaissant
nulle part dans le titre.
Pour l’instant, dans le monde des échanges virtuels, tout
se passe devant l’écran d’ordinateur chez vous ou au bureau.
Lorsque nous reviendrons aux réunions en personne, n’oubliez
pas de ne pas confondre les acronymes CRA ou vous pourriez
vous retrouver à Los Angeles alors que vous devriez être à
Québec.
Références :
1. Herbert L Fred, Tsung O Cheng. Acronymesis: The Exploding Misuse of Acronyms. Tex
Heart Inst J. 2003; 30(4):255-7.
2. Pottegård A, et coll. SearCh for humourIstic and Extravagant acroNyms and Thoroughly.
BMJ (Clinical research Edition). 2014; 349:g7092. doi: 10.1136/bmj.g7092.
3. Lehman AJ, et coll. A 48‐week, randomized, double‐blind, double‐observer, placebocontrolled
multicenter trial of combination methotrexate and intramuscular gold
therapy in rheumatoid arthritis: Results of the METGO study. Arthritis Rheum. 2005;
52:1360‐70.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC,
Rédacteur en chef, JSCR, Scarborough (Ontario)
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