Été 2021 (volume 31, numéro 2)
Prix du chercheur émérite
de la SCR en 2021 : Dre Sasha Bernatsky
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Quelle a été votre première pensée lorsque vous avez appris
que vous remportiez ce prix? J’en suis très reconnaissante.
Pourquoi êtes-vous devenu rhumatologue? Quels sont les
facteurs ou quelles sont les personnes qui vous ont inspiré à
entreprendre cette carrière? Lorsque j’ai intégré la faculté de médecine, j’ignorais tout de la
spécialité de rhumatologie. Je voulais être psychiatre. Mais la médecine
interne m’a fascinée. C’était tellement difficile que j’avais
l’impression que si j’en venais à bout, je saurais tout. Au début
de ma formation en médecine interne, j’ai fait un stage en rhumatologie.
Cela m’a permis de rencontrer des gens merveilleux,
dont les Drs John Thompson et Janet Pope. Dès que j’ai approfondi
mes connaissances de la rhumatologie, j’ai compris que ce qui me
plaisait dans la médecine interne, je le retrouvais dans la rhumatologie
: les défis, les connaissances et la possibilité de bâtir des
relations durables avec des patients. Mon amour de la rhumatologie
a été renforcé par la rencontre des merveilleux rhumatologues
du Centre d’arthrite de Winnipeg, dont les Drs Hani El-Gabalawy,
Christine Peschken et Kiem Oen.
Selon vous, quelles sont les qualités d’un chercheur émérite? Des gens comme Marvin Fritzler, Paul Fortin, Diane Lacaille, John
Hanly et bien d’autres sont non seulement brillants et vaillants,
mais ils sont aussi bienveillants et soucieux d’autrui. Il est agréable
de travailler avec eux. Ils ont une vision altruiste, ils travaillent
pour atteindre des objectifs qui visent à améliorer la vie des personnes
atteintes d’arthrite, de lupus, etc. Ils sont déterminés, mais
ils ne forcent pas les choses. Ils inspirent ceux qu’ils côtoient. Ce
sont de grands meneurs qui créent des possibilités pour les autres.
Vous avez été nommé chercheuse principale (CP) du Réseau
canadien pour les méthodes interdisciplinaires avancées de
recherche sur l’efficacité comparative (CAN-AIM), financé par
le Réseau sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments (RIEM),
une collaboration entre les Instituts de recherche en santé du
Canada (IRSC), Santé Canada et d’autres parties prenantes.
Pouvez-vous nous parler de votre travail? Le RIEM a été créé pour combler les lacunes de connaissances
sur l’innocuité et l’efficacité des médicaments utilisés dans des
contextes réels au Canada et dans le monde entier, afin d’aider les
organismes de réglementation, les décideurs, les professionnels
de la santé et les patients. Depuis 2012, les chercheurs de CANAIM
ont collaboré avec des décideurs de la Direction des produits
de santé commercialisés, de la Direction des produits biologiques
et des thérapies génétiques et de la Division des politiques pharmaceutiques,
Bureau de la gestion des produits pharmaceutiques
de la Direction générale de la politique stratégique de Santé
Canada. Nous avons tissé des liens avec de nombreuses autres
parties prenantes, comme l’Agence canadienne des médicaments
et des technologies de la santé, l’Alliance pharmaceutique pancanadienne
et des organismes provinciaux chargés d’élaborer la liste
des médicaments assurés. Notre recherche est basée sur des cohortes
cliniques et de population et des données administratives
pour produire des réponses rapides aux requêtes. Les chercheurs
de CAN-AIM ont créé un registre des produits biologiques dans le
but de fournir de l’information en situation réelle comparant l’innocuité
et l’efficacité des médicaments biosimilaires à celles des
médicaments biologiques d’origine. Cette étude quinquennale
portant sur des adultes atteints de rhumatisme inflammatoire ou
de maladie intestinale inflammatoire repose sur le travail de nombreux
chercheurs, dont Denis Choquette, Walter Maksymowych,
Gilles Boire, Vivian Bykerk, Robert Inman, Claire Bombardier,
Carol Hitchon, Carter Thorne, Claire Barber et bien d’autres.
Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec
Autumn Neville à autumn.neville@rimuhc.ca ou consulter canaim.ca.
Parlez-nous de votre expérience au sein des Systemic Lupus
Erythematosus (SLE) International Collaborating Clinics
(SLICC) et du Canadian Network for Improved Outcomes in
SLE (CaNIOS), et de votre travail de cofondatrice de réseaux
collaboratifs comme le Réseau CANRAD (Canadian Rheumatic
Administrative Database Network). Durant ma formation en rhumatologie, j’ai eu l’occasion d’intégrer
le réseau CaNIOS de Paul Fortin, qui m’a encouragé à poursuivre
des études supérieures en épidémiologie. Il m’a présenté la
Dre Ann Clarke, codirectrice (avec Christian Pineau) de la Clinique
du lupus du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), fondée
par John Esdaile. À l’époque, Len et Judy Funk m’ont fait connaître
le groupe de soutien Lupus Canada. Sans le réseau CaNIOS et
l’appui de Lupus Canada, je n’aurais jamais fait d’études en
épidémiologie, dont le fruit a été ma recherche doctorale sur les
liens entre le cancer et le LES, une mobilisation multisectorielle
de chercheurs sur la maladie lupique des SLICC et du réseau
CaNIOS. En définitive, cette mobilisation nous a aidés à comprendre
que les personnes atteintes de lupus sont plus à risque
de développer certains cancers (comme les lymphomes), mais
qu’elles moins exposées au risque de cancer du sein, par exemple.
Ce phénomène semble multifactoriel : les chercheurs des SLICC
et du réseau CaNIOS ont étudié au fil des ans la manière dont les
médicaments peuvent influencer ce risque. Même si nous n’avons
vu aucun effet précis de la plupart des médicaments contre le
lupus sur le risque de cancer, l’hydroxychloroquine a diminué le
risque de certains cancers et le cyclophosphamide l’a augmenté.
Pour ce qui est du réseau CANRAD, les Dres Claire Bombardier,
Diane Lacaille et Lisa Lix en sont à vrai dire les principales
têtes pensantes. D’abord une coalition de chercheurs liés à des
décideurs et à d’autres intervenants, le réseau CANRAD avait le
mandat d’énoncer des lignes directrices pour la recherche et
la surveillance des maladies rhumatismales à l’aide de données
administratives canadiennes. Ses sources de financement, au
fil des ans, ont été le Réseau canadien de l’arthrite, les IRSC et
d’autres organismes. Le réseau CANRAD attire toujours de brillants
chercheurs, comme Jessica Widdifield, Carol Hitchon, Lihi
Eder et d’autres, qui ont carrément accru la capacité de recherche
au Canada.
Le chef de la Section de l’évaluation de la qualité de l’air
de Santé Canada a décrit comme suit vos recherches sur la
pollution atmosphérique : « Il s’agit de la première indication
que la pollution atmosphérique pouvait être liée à un état
pathologique précis, ce qui a influencé notre réflexion sur
le potentiel inflammatoire de la pollution atmosphérique ».
Pouvez-vous décrire les résultats de vos recherches dans ce
domaine et leur importance? Je me sens très chanceuse d’être la première chercheuse à découvrir
des tendances liant la densité du trafic routier et l’exposition
aux fines matières particulaires (MP 2,5) à la prévalence des maladies
rhumatismales auto-immunes systémiques. J’ai été encadrée
par d’excellentes personnes, dont l’exceptionnelle Dre Audrey
Smargiassi. La plausibilité biologique des liens entre la pollution
atmosphérique et les maladies rhumatismales a été étayée par
notre article inspirant sur les liens entre les niveaux de MP 2,5 et
les anticorps anti-ADN et d’autres manifestations du LES. Comme
autre validation de principe, nous avons publié une étude transversale
indiquant que les émissions industrielles de MP 2,5 et de
SO2 sont en corrélation avec d’autres auto-anticorps importants
dans la polyarthrite rhumatoïde. Afin que les connaissances issues
de mes recherches soient exploitées par des responsables de politiques,
nous collaborons étroitement avec le chef de l’évaluation
de la qualité de l’air au sein de la Division de l’évaluation des
effets de l’air sur la santé de Santé Canada, et avec le conseiller
scientifique de Santé Canada. Ces personnes mettent à jour les
documents d’examen des effets de la pollution atmosphérique
sur la santé, qui constituent la base des négociations entre les
intervenants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux,
en partenariat avec le Conseil canadien des ministres de
l’Environnement. Ces documents sont utilisés dans les décisions
sur les normes nationales de qualité de l’air et sont également
consultés par l’Agence américaine de protection de l’environnement
et d’autres organismes internationaux. Nos succès en ont
inspiré d’autres, comme le groupe de Michelle Petri à l’université
Johns Hopkins, qui étudie la pollution atmosphérique et le LES.
C’est une période très enthousiasmante.
Y a-t-il d’autres domaines d’intérêt que vous voudriez
approfondir un jour? Je me passionne pour le traitement personnalisé des patients
atteints de LES, à commencer par l’hydroxychloroquine (HCQ).
Bien que l’HCQ soit un médicament clé, les effets secondaires
suscitent de plus en plus d’inquiétudes. L’incertitude quant à
l’équilibre entre les risques et les avantages de l’arrêt ou de la
poursuite de l’HCQ est une des principales lacunes exprimées par
les patients atteints de LES et leurs médecins. Presque tous les
rhumatologues dans le monde prescrivent quotidiennement de
l’HCQ, mais nous n’avons aucune donnée probante sur la meilleure
façon de l’utiliser. J’ai travaillé avec d’excellents chercheurs
de SLICC et du réseau CaNIOS pour former des sous-groupes
de patients atteints de LES qui présentent un risque particulier
d’avoir des poussées ou de développer des événements indésirables
associés à l’utilisation de l’HCQ. Cependant, un traitement
véritablement personnalisé doit tenir compte des préférences du
patient, et Glen Hazlewood m’aide à concevoir une expérience de
choix discrétionnaire sur ce sujet, avec d’autres chercheurs du
réseau CaNIOS. En définitive, nous avons besoin d’essais pragmatiques
pour comprendre les résultats liés à la réduction de l’HCQ
dans certains groupes (compte tenu de leur profil de risque et de
leurs préférences).
Quels sont les aspects les plus gratifiants de votre expérience
dans le domaine de la rhumatologie et quels sont les aspects
les plus difficiles? J’aime les liens qui se tissent entre nos patients et nous. J’aime
aider un patient à trouver la bonne combinaison de traitements
pour se sentir le mieux possible. Hani El-Gabalawy a été le premier
à me transmettre cette notion, je crois. Le plus difficile pour la
plupart de mes patients est le manque d’accès à la physiothérapie,
à l’ergothérapie, au travail social ou au counselling. Je m’inquiète
lorsqu’un de mes patients est hospitalisé pour des complications
potentiellement mortelles. Cela dit, le Dr Barringer, l’un de mes
premiers mentors en rhumatologie, m’a appris l’importance
d’éviter le sentiment d’accablement, car lorsqu’un patient se sent
submergé, nous devons être forts et tout faire pour l’aider à surmonter
les revers de la vie. Ce qui m’aide à rester forte c’est la
belle solidarité entre camarades rhumatologues, qui ne ménagent
aucun effort pour leurs patients, dont mes collègues de l’Hôpital
Général de Montréal, Chris Pineau, Evelyne Vinet, Ines Colmegna,
Beth Hazel, Fares Kalache, Arielle Mendel, Michael Starr, Michael
Stein, Mary-Anne Fitzcharles et Pantelis Panopalis (sans oublier
les valeureux membres de notre personnel.
Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier? Je ne ressens pas d’obligation d’être fière de mon travail. Tant
de possibilités et de personnes inspirantes ont croisé ma route,
dont Cheryl Barnabe, Jessica Widdifield, Evelyne Vinet, Glen Hazlewood,
Stephanie Keeling, Murray Urowitz, Carter Thorne, Dafna
Gladman, Susan Bartlett, Michel Zummer, Debbie Feldman, et
tant d’autres.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite
mener une carrière de rhumatologue universitaire? Soyez reconnaissant et soyez consciencieux. Rappelez-vous que
vous êtes sur terre pour une raison précise (www.desiderata.com/desiderata.html). Pour moi, les plus grands rhumatologues universitaires
sont des personnes comme Marie Hudson et Ines Colmegna
qui vivent pour servir les autres et aspirent à l’excellence. Hélas,
le milieu universitaire est un peu comme une course folle. Nous
devons nous inspirer de personnes comme Marie, Inès et d’autres,
qui ne perdent jamais de vue leur raison d’être : trouver des solutions
pour les patients qui les aident à vivre mieux.
Si on vous offre un billet d’avion pour la destination de votre
choix, où irez-vous (une fois la pandémie derrière nous)? Vienne est une ville merveilleuse qui me passionne. Toutefois,
comme j’ai très hâte de serrer ma mère dans mes bras, j’irais
d’abord à Winnipeg.
Vous êtes coincé sur une île déserte. Quel livre aimeriez-vous
avoir avec vous? La bible, car je dois être conscience chaque jour que je suis
aimée, que je suis pardonnée et que je suis libre, et j’ai besoin
d’un constant rappel qu’on m’a manifesté beaucoup d’amour et
de bienveillance et que je dois en faire autant.
Êtes-vous plutôt matinal, ou nocturne? Ayant grandi sur une ferme, je suis couche-tôt et lève-tôt.
Combien de tasses de café vous faut-il pour avoir une journée
productive? Fervente du thé vert, j’en bois plusieurs tasses par jour, mais je
prends ma dernière tasse à 14 heures au plus tard. Parfois, je
prends un expresso après le lunch. Le chocolat noir m’aide aussi
à être productive.
Sasha Bernatsky, M.D., Ph. D.
Professeure,
Département de médecine,
Division de rhumatologie, Faculté de médecine de l’Université McGill
Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill
Centre de recherche évaluative en santé (CRES)
Montréal (Québec)
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