Automne 2021 (volume 31, numéro 3)
Iniquité de genre en rhumatologie
au Canada
Par Jessica Widdifield, Ph. D., et Cory Baillie, M.D., FRCPC
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La diversité de genre s’est considérablement améliorée au
cours des 25 dernières années dans les services de rhumatologie
au Canada. En 1995, les femmes représentaient
moins d’un tiers des rhumatologues. La parité a été atteinte en
2015, et la trajectoire est ascendante depuis1. Malheureusement,
de nombreux aspects de l’égalité des genres restent à améliorer.
Comme dans les autres spécialités, les femmes rhumatologues
gagnent moins2, progressent plus lentement dans leur carrière3
et sont confrontées à des risques d’épuisement professionnel plus
élevés que leurs homologues masculins4. Les raisons qui peuvent
expliquer ces disparités sont nombreuses, notamment les préjugés
sexistes, qui ont tendance à se manifester dès le début de la formation
des médecins. En chirurgie orthopédique, au Canada, les
femmes ne représentent que 13 % des effectifs5. On pourrait donc
penser que le secteur de la rhumatologie a atteint la parité entre
les sexes plus rapidement que d’autres spécialités en raison du
« curriculum caché » des études de médecine, qui encourage subtilement
et ouvertement les étudiantes à s’orienter vers des spécialités
plus « douces » et souvent moins bien rémunérées. Cette
discrimination systémique s’étend souvent au-delà de l’école de
médecine, entraînant une discrimination professionnelle liée à
l’embauche, à l’avancement professionnel, aux ententes sur l’administration
des soins, aux modes d’orientation; aux méthodes de
rémunération des médecins, notamment les modèles de paiement
et les barèmes d’honoraires, et aux structures sociétales au sens
large6. De manière générale, dans le secteur médical, les femmes
sont sous-représentées dans les postes de direction7, les comités
de rédaction des revues8 et les statuts d’auteurs et collaborateurs
de revue9-11. Elles reçoivent également moins d’invitations
à prendre la parole dans les conférences médicales12, obtiennent
moins de subventions et de bourses13, reçoivent des versements
moins élevés des laboratoires14, progressent plus lentement au
plan du nombre de publications et de l’avancement de carrière7,
reçoivent des notes d’évaluation de l’enseignement plus basses15,
sont moins susceptibles de s’orienter vers une spécialité chirurgicale
en résidence16 et sont plus susceptibles d’être victimes de
sexisme et de harcèlement sexuel pendant leurs études de médecine
et sur leur lieu de travail17,18.
On commence depuis peu à se pencher sur la question de
l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes du secteur
de la médecine. Le système de rémunération à l’acte des
médecins, qui récompense les tâches de procédures et le volume
d’actes au détriment de la qualité des soins, est un facteur systémique
important qui contribue à perpétuer l’inégalité salariale
dont sont victimes les femmes médecins. Les modèles de rémunération
qui récompensent le fait de recevoir plus de patients en
consultation en moins de temps ont tendance à désavantager les
femmes médecins, lesquelles ont tendance à passer plus de temps
avec leurs patients19,20. De plus en plus d’éléments démontrent
que les femmes médecins ont des styles de communication plus
efficaces, entretiennent des partenariats patient-médecin plus solides21,22,
se concentrent davantage sur la santé préventive21,23-25 et
prodiguent plus souvent des soins conformes aux directives24,26,27,
peut-être en raison du temps supplémentaire passé avec chaque
patient. Les préjugés d’orientation vers des spécialistes femmes28,
et les attentes des patients face aux médecins femmes29, qui sont
différentes, peuvent également expliquer qu’elles passent plus de
temps avec leurs patients, ce qui peut contribuer à creuser l’écart
de rémunération entre les sexes inhérent au modèle de rémunération
à l’acte en vigueur. Des enquêtes canadiennes et étasuniennes
menées auprès des effectifs du domaine de la rhumatologie ainsi
qu’une étude récente sur les factures établies par des rhumatologues
de l’Ontario indiquent qu’en moyenne, les femmes rhumatologues
voient moins de patients que leurs homologues masculins
et perçoivent donc une rémunération inférieure (écart médian de
46 000 à 102 000 dollars canadiens par an)2,30,31. Cet écart de
rémunération ne peut pas s’expliquer uniquement par le fait que
les femmes travaillent moins; il est aussi dû à des styles de pratique
différents et à d’autres facteurs.
Étant donné que l’équité de genre
englobe l’équité de traitement entre les hommes et les femmes
compte tenu de leurs besoins respectifs, il serait injuste et inutile,
pour parvenir à l’équité salariale, d’attendre des femmes qu’elles
augmentent le nombre de leurs consultations, autant qu’il serait
injuste d’attendre des rhumatologues masculins qu’ils réduisent
le leur pour combler cet écart salarial. En outre, vu le montant
des frais généraux liés à la gestion d’un cabinet et le manque de
soutien financier à l’égard des prestataires de soins paramédicaux
(dont il a été démontré qu’il leur permet de gagner en efficacité
et d’accepter plus de patients32-34), le système actuel de rémunération
à l’acte continuera de creuser l’écart de rémunération entre
les sexes en rhumatologie si les rhumatologues masculins restent
plus à même de financer des équipes de soins élargies grâce à des revenus plus élevés. S’il est vrai que plus un cabinet est important,
plus ses charges d’exploitation sont élevées, exerçant un impact
sur le revenu net des médecins (nous ne disposons pas actuellement
de données sur les revenus ou les charges d’exploitation des
rhumatologues canadiens pour quantifier précisément la disparité
de salaire entre hommes et femmes), l’écart salarial entre hommes
et femmes, aussi minime soit-il, engendre des écarts substantiels
de richesse de son vivant et à la retraite35.
Des études supplémentaires doivent être effectuées auprès des
rhumatologues pour relever toutes les disparités entre les sexes
(et déterminer des solutions), mais il faut agir immédiatement
pour contribuer à combler cet écart de rémunération entre les
sexes en rhumatologie. Des mesures détaillées ont récemment été
proposées pour combler l’écart salarial entre les hommes et les
femmes dans le domaine de la médecine au Canada. Elles portent
sur le programme d’études de médecine, la transparence sur les
paiements versés aux médecins et les pratiques d’embauche et
de promotion, et sur d’autres stratégies telles que la centralisation
des aiguillages et l’amélioration des programmes de congé
parental6. Ces mesures doivent inclure (1) une réévaluation des
barèmes de rémunération afin de rectifier les inégalités fondées
sur le sexe, notamment la question de la comparabilité des revenus
selon les spécialités médicales et chirurgicales; (2) une réforme
des conditions de paiements prévoyant par exemple des facteurs
de modification temporelle ou des codes de complexité supplémentaires
afin de rémunérer plus équitablement les médecins
qui reçoivent des patients présentant des troubles particuliers
nécessitant des consultations plus longues; (3) des modèles de
rémunération annexes, comme la capitation et le salaire afin d’éviter
certaines inégalités; (4) ainsi qu’un financement de soutien
des prestataires de soins paramédicaux pour accroître la capacité
des services cliniques de rhumatologie. Nous devons également
mieux comprendre les besoins des rhumatologues femmes afin
de renforcer leur capacité clinique à prendre leurs patients en
charge. Le volume de soins prodigués n’est pas un indicateur
de substitution parfait pour déterminer la qualité des soins et
nous devons nous efforcer de privilégier la valeur par rapport au
volume. Toutefois, nous devons rester conscients du fait que le
volume de soins prodigués par l’ensemble de la profession demeure
important (et que la féminisation croissante de la maind’oeuvre
en rhumatologie au Canada peut entraver l’accès aux
soins). Il est donc tout également important que les besoins de
la population soient satisfaits et que les efforts se poursuivent en
mettant en oeuvre de nouveaux modèles de soins pour augmenter
la capacité de soins. Après tout, en rhumatologie, les patients
sont majoritairement des patientes, qui sont également victimes
d’inégalité en matière de rapidité d’accès aux soins.
Jessica Widdifield, Ph. D.
Co-présidente, Comité des ressources humaines de la SCR
Scientifique, Sunnybrook Research Institute, ICES,
Professeure adjointe, Université de Toronto,
Institute of Health Policy, Management & Evaluation,
Toronto (Ontario)
Cory Baillie, M.D., FRCPC
Professeur adjoint, Université du Manitoba
Ancien président et président du conseil d'administration,
Doctors Manitoba, Winnipeg (Manitoba)
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