Printemps 2020 (Volume 30, numéro 1)
Soins virtuels en rhumatologie
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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« J’aime les audiences en direct, avec des personnes réelles – cela n’a rien de comparable avec la réalité virtuelle ».
– Hillary Clinton
« Ce qui est incroyable avec la technologie, c’est que vous avez l’impression d’être réellement présent dans un
autre endroit avec d’autres personnes. Les gens qui l’essaient disent que c’est une expérience complètement
différente de tout ce qu’ils ont déjà vécu ».
– Mark Zuckerberg
Il semble ne pas y avoir suffisamment de rhumatologues dans
une grande partie du Canada, ou du moins sont-ils mal répartis :
trop nombreux dans certaines grandes villes, pas assez partout
ailleurs. Au cours de l’année dernière, j’ai reçu un message par
télécopieur d’un centre universitaire me demandant d’accepter
leurs patients en surnombre, lesquels devraient faire un déplacement
d’au moins quatre heures pour me consulter! J’ai été plus
réceptif à la demande d’aide suivante : une petite collectivité qui
comptait autrefois cinq rhumatologues, mais qui n’en avait plus
qu’un et dont les patients vivaient à 90 minutes seulement. J’ai
donc accepté le premier patient qu’on a orienté vers moi : un
homme d’âge moyen dont on disait qu’il avait « des douleurs articulaires,
cervicales et dorsales ». La demande de consultation était
brève et la seule autre information fournie était un rapport de
radiographies de la colonne vertébrale montrant une discopathie
dégénérative. Mon intuition me disait qu’il ne s’agissait probablement
pas d’une maladie rhumatismale inflammatoire, mais
nous avons tout de même donné un rendez-vous au patient. Je ne
connaissais pas le médecin orienteur.
À son arrivée, le patient s’est montré d’une disposition très
agréable. Il m’a dit qu’il avait eu une consultation virtuelle avec
le médecin orienteur. La clinique présentait au patient un écran
vidéo où il pouvait voir le médecin et c’est ainsi qu’ils interagissaient.
Cette méthode est très bien pour l’anamnèse, mais elle
ne permet aucun examen physique si ce n’est de demander au
patient de démontrer son amplitude de mouvement avec diverses
articulations. L’anamnèse a révélé de multiples fractures, et autres
blessures musculosquelettiques, et une vie entière de travail physique
et, maintenant, des douleurs chroniques.
Mais laissons mon patient dans une « salle d’attente » imaginaire
un moment. La médecine virtuelle est soudainement devenue très
à la mode. Mais elle soulève aussi toute une controverse. Dans
certains cas, comme dans le cadre de l’Ontario Telemedicine
Network (réseau de télémédecine de l’Ontario) et de plateformes
similaires d’autres provinces, elle est couverte par les régimes de
santé provinciaux. Dans d’autres cas, le privilège d’obtenir une
consultation sur-le-champ peut être facturé au patient qui n’a pas
à sortir de chez lui. Les médecins de famille peuvent souhaiter
participer, mais, dans d’autres situations, déplorent le manque de
continuité des soins et la duplication des services que ces entretiens
vidéo peuvent générer, à l’instar de ce qui se passe dans les
cliniques sans rendez-vous traditionnelles.
Dans le contexte américain, des cliniques virtuelles de télémédecine
directement accessibles aux consommateurs poussent
comme des champignons, ciblant des diagnostics et des traitements
spécifiques, tels que le dysfonctionnement érectile (Hims,
Roman), l’acné (Curologie) et la contraception (The Pill Club,
Nurx). Un article paru récemment dans le Journal of the American
Medical Association (JAMA) a soulevé des inquiétudes concernant
l’accent mis sur la prescription d’un médicament plutôt que sur
l’offre d’autres options de traitement, la prescription hors indication
et le compromis entre commodité et qualité1.
Revenons maintenant à mon patient de la clinique virtuelle.
Pourquoi a-t-on demandé une consultation en rhumatologie? Eh
bien, le patient a été très clair à ce sujet : il s’était rendu à la
clinique virtuelle pour faire remplir des formulaires d’invalidité,
mais apparemment cela nécessitait une rencontre en personne
avec un médecin. Le médecin virtuel n’a donc pas été en mesure
de l’aider si ce n’est qu’en l’orientant vers moi.
J’imagine que la prescription d’opioïdes n’était pas non
plus possible après une telle rencontre virtuelle, de sorte que
la situation aurait pu être pire. Au bout du compte, j’ai rempli
les formulaires en y inscrivant les renseignements donnés par
le patient sans lui donner la garantie que sa demande serait
acceptée et il était entièrement satisfait. J’ai également pris
la résolution d’examiner très attentivement toute demande de
consultation que je recevrais par la suite de médecins virtuels.
Références :
1. Jain T, et coll. Prescriptions on demand. JAMA, septembre 2019; 322(10):325-26.
Doi:10.1001/jama.2019.9889.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)
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