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Hiver 2020 (Volume 30, numéro 4)

Épuisement professionnel chez le rhumatologue

Par Lester Liao, M.D., MTS

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La rhumatologie n’est pas reconnue pour être une spécialité très occupée ou stressante. Lorsque nous pensons à l’épuisement professionnel, nous pensons spontanément aux disciplines de soins actifs qui entraînent des niveaux de stress élevés et sont difficiles à maîtriser. Médecine d’urgence. Soins intensifs. Il peut donc apparaître inhabituel d’envisager le problème de l’épuisement professionnel chez les rhumatologues. Ne sommes-nous pas, après tout, la meilleure discipline?

À mon avis, le rapport annuel de Medscape sur le mode de vie, le bonheur et l’épuisement professionnel des rhumatologues donne à croire que nous avons tendance à être moins heureux que le médecin moyen au travail, mais plus heureux que le médecin moyen en dehors du travail. De plus, environ 40 % d’entre nous sont victimes d’épuisement professionnel1.Les tâches bureaucratiques, qui comprennent la tenue de dossiers et la paperasserie, sont de loin celles qui contribuent le plus à cette situation. Bien qu’elles soient imparfaites, les données servent de tremplin permettant de formuler au moins deux brèves observations pour les rhumatologues.

Premièrement, nous ne sommes pas immunisés contre ce mal. Cela va peut-être de soi (notamment parce que nous sommes fiers de bien comprendre l’immunologie), mais il ne sert à rien de le souligner, car nous avons une énorme capacité d’aveuglement envers nous-mêmes2. Un faible niveau de stress ne permet pas d’atténuer efficacement l’épuisement professionnel, car il n’y a pas de lien avec l’étiologie présumée. Qui plus est, nous avons affaire à un nombre inhabituel de médicaments et de maladies. Nos consultations et notre tenue de dossiers sont peut-être un peu plus détaillées et, d’un programme d’accès exceptionnel à l’autre, il y a beaucoup de formulaires à remplir. Pour commencer, la réduction des tâches de cette nature serait un bon point de départ.

Mais ensuite, et surtout, l’intérêt clinique est insuffisant pour exclure l’épuisement professionnel. Je suppose que beaucoup d’entre nous ont rejoint les rangs de la rhumatologie par pure curiosité intellectuelle. La discipline attire des gens particulièrement cérébraux. Mais ce sérieux qui, selon mes observations, persiste chez de nombreux collègues même sur plusieurs décennies ne procure aucune motivation pour la paperasserie, les réunions, la tenue des DME. Nous avons besoin de quelque chose de plus captivant. Et cela réside dans le caractère humain de toute pratique. La maladie est intéressante, mais une personne l’est encore plus. Ceci est particulièrement important pour le rhumatologue, dont l’orientation vers la médecine est au moins légèrement biaisée vers une fascination pour la physiopathologie. Le chirurgien orthopédiste présente un autre profil. Or, il faut être conscient de cet écueil. Si notre objectif est de satisfaire notre curiosité, de recueillir des données, voire de trouver une cure, nous avons raté la cible. Le patient devient ainsi un moyen d’arriver à une fin3. Lorsque le patient devient secondaire à d’autres objectifs, le coeur s’atrophie. La douleur chronique devient une nuisance, la paperasserie, une corvée. Ces enjeux deviennent des obstacles à ce que nous voulons ou à ce dont nous avons besoin. Selon moi, le problème se situe à ce niveau plus profond.

Bien sûr, le processus est subtil. Il est toutefois inévitablement présent, et je le reconnais en moi-même. Pourtant, si mon enfant était malade et s’il fallait s’occuper de paperasseries, je le ferais en toute vitesse. L’élément humain l’emporte sur tout. Il est certain que nous devons prendre d’autres mesures pour réduire l’épuisement professionnel. Mais il y a des choses que les sondages ont du mal à saisir. La totalité de notre travail réside dans le patient qui se présente à nous. Perdre cela de vue mène vers l’engourdissement et le désenchantement. Souvenez-vous-en. Ainsi, nous saurons peut-être que nous avons changé une vie pour toujours.

Références :

1. Medscape. Rheumatologist Lifestyle, Happiness & Burnout Report; 2020. https://www.medscape.com/slideshow/2020-lifestyle-rheumatologist-6012480. Consulté en ligne le 27 mai 2020.
2. Haidt J. The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion. New York, NY: Pantheon Books; 2012.
3. Kant I, Wood AW. Groundwork for the Metaphysics of Morals. New Haven, CT: Yale University Press; 2002.

Lester Liao, M.D., MTS
Boursier en rhumatologie pédiatrique,
Hospital for Sick Children, Université de Toronto
Liaison canadienne, International Doctor as a Humanist Association
Toronto (Ontario)



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