Hiver 2020 (Volume 30, numéro 4)
La stratégie « coeur-exploration » : la suite de Qu’est-ce qu’un rhumatologue1
« Le passé est un prologue. »
– La Tempête, de William Shakespeare
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Comment les modèles de pratique de la rhumatologie du
passé influencent-ils les rhumatologues d’aujourd’hui?
Lors d’un récent grand événement de FMC sur les soins
primaires, je me suis mêlé aux participants après avoir présenté
une étude sur l’ostéoporose. Un étranger s’est approché en me
présentant sa carte de visite et a commencé à discuter de son
projet de recherche/entreprise dans le domaine de la fibromyalgie.
Voici « la demande » : Pourrais-je examiner le protocole et
le plan d’affaires et lui donner des conseils? J’ai répondu que,
même si j’étais flatté d’être pris en considération, la fibromyalgie
n’était plus un centre d’intérêt principal des rhumatologues, y
compris moi-même. Je lui ai recommandé de consulter les sites
Web de la SCR et de la Société canadienne de la douleur pour
trouver quelqu’un de plus approprié.
Cette demande m’a fait réfléchir à l’évolution de la rhumatologie
en tant que discipline. Au coeur de la discipline, tout le
monde s’accorde sur la primauté des arthrites inflammatoires et
des « maladies du tissu conjonctif », mal nommées. Cependant, si
la goutte est l’arthrite inflammatoire la plus courante, en particulier
chez les hommes, elle ne fait manifestement pas partie de
la Sainte Trinité de la polyarthrite rhumatoïde (PR), de l’arthrite
psoriasique (AP) et de la spondyloarthrite (SpA) axiale.
Seule une minorité de rhumatologues traitent l’ostéoporose
(OP) en tant que diagnostic primaire. La lombalgie est une
maladie orpheline, mais omniprésente. Les orthopédistes et
les neurochirurgiens ne veulent certainement pas voir des patients
non sélectionnés atteints de cette maladie, pas plus que
les rhumatologues. Cela pourrait-il expliquer l’absence relative
des patients atteints de spondylarthrite ankylosante (SA) de ma
pratique (prévalence de 0,5 à 1 % de la population générale,
similaire à celle de la PR, mais sous-représentée dans ma pratique
par rapport à la PR par un facteur de 5:1), ainsi que le
retard de 5 à 9 ans couramment cité dans le diagnostic de la SA?
En Ontario, nous augmentons le nombre de sites CIEEL (Cliniques
interprofessionnelles d’évaluation et d’éducation en matière
de lombalgie) pour tenter de mieux prendre en charge des
personnes atteintes de lombalgie2. Les tentatives européennes
d’enrichir la probabilité de trouver des patients présentant des
douleurs dorsales inflammatoires parmi les masses de patients
de moins de 45 ans atteints de lombalgie chronique viennent
également à l’esprit.
Certains rhumatologues sont heureux d’examiner des affections
simples comme la tendinite, la bursite, le syndrome de
la coiffe des rotateurs, l’épicondylite et le doigt de gâchette.
D’autres n’ont de temps pour rien d’autre que nos affections
fondamentales. « Ces affections doivent être prises en charge
dans le cadre des soins primaires », tel est le refrain. Le problème,
bien sûr, est la formation limitée de la plupart des praticiens
de soins primaires en ce qui concerne les affections
musculosquelettiques de ce type, ainsi que l’ostéoporose et la
goutte, qui devraient aussi, idéalement, être traitées dans leurs
bureaux. La disponibilité limitée des physiatres et le fait qu’ils se
concentrent sur la réadaptation complexe et les affections traumatiques/
neurologiques entraînent également l’orientation de
ces patients à des rhumatologues.
Après avoir renoncé à l’arthrose vertébrale et à la discopathie
dégénérative, qu’en est-il de l’arthrose périphérique des mains,
des hanches et des genoux? Après tout, l’ACR et l’EULAR continuent
de produire des lignes directrices à ce sujet, dont la plus
récente est l’ébauche des lignes directrices de l’ACR/Arthritis
Foundation présentée lors de l’assemblée 2019 de l’ACR. C’est
la forme d’arthrite la plus courante de toutes, mais est-elle au
coeur d’une discipline, sans parler de la rhumatologie? Tom Appleton
et Gillian Hawker sont d’éminents chercheurs canadiens
qui se consacrent à l’arthrose, mais mes pairs ne s’y consacrent
certainement pas. Je ne me souviens pas de la dernière fois où
quelqu’un a choisi de présenter un article sur l’arthrose dans
les deux clubs de lecture auxquels je participe régulièrement.
La vascularite est un sujet largement surreprésenté lors de ces
événements, par rapport à sa faible prévalence. Tout patient atteint
d’arthrose de la hanche ou du genou devrait-il consulter
un rhumatologue avant d’être orienté vers un chirurgien orthopédique,
afin de s’assurer que la prise en charge médicale a été
entièrement épuisée avant le remplacement total de l’articulation?
Impossible dans le contexte actuel au Canada. Là encore,
l’Ontario expérimente l’évaluation centrale de ces patients dans
des cliniques d’accès rapide spécialisées, dont l’étape initiale
est le triage par des physiothérapeutes ou des infirmières praticiennes
qualifiés3. Il est probable que ces approches existent ou
soient envisagées ailleurs dans notre système de santé canadien
balkanisé.
Artie Kavanaugh a fait un commentaire éloquent lors de la
séance ACR 2019 Rheumatology Roundup, couvrant les points
forts de la réunion. Bien qu’il n’ait pas mentionné l’ébauche des
lignes directrices sur l’arthrose et la goutte qui y a été présentée,
il a fait des commentaires sur la présence de la recherche sur
la fibromyalgie (FM) lors de la réunion, y compris des affiches et des séances simultanées, ainsi que sur les lignes directrices
relatives à la FM promulguées par divers organismes de rhumatologie
(y compris la SCR). Peut-être ironiquement, il a estimé
que si les rhumatologues ne veulent pas être considérés comme
des experts en soins de la FM, peut-être que ces recherches ne
devraient pas faire partie de nos réunions. Bien sûr, si nous ne
créons pas ces lignes directrices, qui le fera? Le public visé est
celui des praticiens de soins primaires à qui nous voulons nous
décharger des cas de goutte, d’arthrose, de FM et d’ostéoporose,
et non aux rhumatologues.
Pouvons-nous tirer une leçon du légendaire Warren Buffett
pour aider à résoudre ces dilemmes? Comme de nombreux gourous
de l’investissement, il préconise que les investisseurs non
professionnels devraient « acheter le marché » en achetant et
en détenant à faible coût des FNB (fonds négociés en bourse) à
large indice d’actions et d’obligations : le coeur. Parallèlement,
toutes les sociétés d’investissement reconnaissent le désir des
investisseurs de détail de frapper un coup de circuit, plutôt que
d’accepter des rendements laborieux composés sur plusieurs
décennies. D’où la stratégie « coeur-exploration » : investissez de
80 à 90 % de votre argent dans les FNB de coeur, et utilisez
de 10 à 20 % comme « argent fou » pour trouver le prochain
Apple, Alphabet ou Amazon, tout en restant à l’écart du secteur
du cannabis qui s’effondre, d’Uber/Lyft, et d’autres qui ne sont
pas pour les coeurs sensibles.
Vous vous demandez sans doute quel est le rapport entre ces
renseignements financiers et la rhumatologie. On peut mettre en
pratique la stratégie « coeur-exploration» de deux façons. Premièrement,
nous pouvons informer nos collègues non-rhumatologues
et le grand public que le coeur de la rhumatologie a changé.
Alors que nous acceptions auparavant des références sur tout
ce qui relève du vaste domaine de la médecine musculosquelettique,
nous avons maintenant élargi notre champ d'action aux
arthrites inflammatoires à médiation immunitaire et à ce que
nous choisissons d'appeler les « collagénoses avec manifestations
vasculaires ». La goutte, l’arthrose périphérique et l’ostéoporose
peuvent se situer aux confins du coeur pour beaucoup d’entre
nous, mais la douleur chronique, la FM, les affections non inflammatoires
de la colonne vertébrale et les affections régionales
des tissus mous ne s’y trouvent manifestement pas.
Deuxièmement, nous pouvons maintenir la diversité de la
pratique et notre compétence dans ces affections courantes qui
se trouvent maintenant en périphérie de la rhumatologie, mais
dont se plaignent fréquemment, à titre secondaire, nos patients
atteints d’affections faisant partie du coeur de notre pratique.
Nous pouvons choisir d’explorer ces affections, pour lesquelles
nous sommes les experts reconnus, en acceptant des patients
sélectionnés pour une ou deux visites afin de confirmer les diagnostics,
de fournir des plans de traitement et peut-être de proposer
des traitements intra-articulaires.
Les commentaires, félicitations et critiques portant sur ce sujet
sont les bienvenus la prochaine fois que vous me verrez.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef du JSCR, Scarborough (Ontario)
Références :
1. Baer PA. Qu'est-ce qu'un rhumatologue? JSCR. Hiver 2019. Disponible à l'adresse www.craj.ca/archives/2019/French/Hiver/Editorial.php
2. Interprofessional Spine Assessment and Education Clinics. Disponible à l'adresse www.isaec.org/.
3. Clinique d'accès rapide pour les soins musculosquelettiques. Disponible à l'adresse www.hqontario.ca/Amélioration-de-la-qualité/Amélioration-de-la-qualitité-à-loeuvre/Cliniques-daccès-rapide-pourles-soins-musculosquelettiques
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