Été 2020 (volume 30, numéro 2)
L’hydroxychloroquine
et le coeur
Par Zahi Touma, M.D., Ph. D., FACP, FACR
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Malgré l’importance accordée ces jours-ci par les médias
aux antipaludéens pour le traitement de la COVID-19,
l’hydroxychloroquine (HCQ) et la chloroquine sont utilisées
depuis longtemps pour le traitement de différentes maladies
rhumatismales. En outre, l’HCQ demeure la pierre angulaire du traitement
du lupus érythémateux disséminé (LED). L’HCQ est l’option
privilégiée en raison de la plus faible incidence d’effets indésirables
rétiniens. Les données soutenant l’utilisation de l’HCQ chez les
patients atteints de LED sont très convaincantes et reposent sur un
vaste ensemble de preuves. Chez ces patients, l’HCQ maîtrise l’activité
de la maladie et permet l’arrêt des glucocorticoïdes, améliore
les taux de survie, réduit certains facteurs de risque cardiovasculaire
classiques, exerce un effet antithrombotique, réduit les dommages
et le risque de poussées et est sans danger pendant la grossesse1.
Chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR), l’HCQ
est l’un des antirhumatismaux modificateurs de la maladie non biologiques
traditionnels couramment prescrits, et la trithérapie pour
le traitement de la PR comprend l’HCQ2,3.
Les antipaludéens peuvent entraîner une toxicité grave et
s’accumulent à long terme dans différents organes, notamment la
peau, les yeux, les muscles squelettiques et les tissus cardiaques.
La toxicité rétinienne est l’effet indésirable le plus connu, mais
d’autres événements indésirables peuvent également survenir :
hyperpigmentation de la peau, neuromyopathie et cardiotoxicité.
Une étude a été récemment menée auprès de 453 patients (durée
du LED lors de l’ECG, 19,7 ± 10,4 ans) pour déterminer si l’utilisation
cumulative d’antipaludéens est associée à des anomalies à l’ECG1.
Les anomalies de la conduction (bloc de branche, bloc AV incomplet
ou complet, allongement de l’intervalle QTc et torsades de pointes
consécutives) étaient légèrement plus fréquentes que les caractéristiques
électrocardiographiques évoquant des anomalies structurelles
(hypertrophie concentrique avec dilatation biatriale et hypertrophie
biventriculaire), soit respectivement 16 % par rapport à 13 %; 26 %
des patients présentaient les deux types d’anomalies. Dans cette
cohorte, 56 % des patients avaient reçu une dose cumulée d’antipaludéens
supérieure à la médiane de 1 207 grammes au moment de leur
ECG, et 44 % avaient reçu une dose égale ou inférieure à la médiane.
Alors qu’une analyse univariée d’une dose cumulée d’antipaludéens
supérieure à la médiane prédisait des anomalies structurelles à
l’ECG, le risque accru (rapport des cotes [RC] de 1,82; IC à 95 % :
0,95-3,47) n’était pas statistiquement significatif à l’analyse multivariée.
Fait plus important encore, la dose cumulée d’antipaludéens a
assuré une protection contre les anomalies de la conduction (RC de
0,42; IC à 95 % : 0,22- 0,77, p = 0,006). Dans l’analyse de cas-témoins
emboîtés, l’effet protecteur des antipaludéens contre les anomalies
de la conduction a également été démontré (RC de 0,36), et une
dose d’antipaludéens supérieure à la médiane n’a pas été associée de
manière significative à des anomalies structurelles.
D’autres études ont révélé une prévalence comparable pour
les anomalies de la conduction (17 %) chez les patients atteints de
LED après un suivi de 10 ans4. D’autres encore ont confirmé que
la prévalence des anomalies de la conduction chez les patients
atteints de LED est comparable à celle observée dans la population
générale5. Nous avons également démontré une faible
prévalence d’allongement de l’intervalle QTc (3 patients; 0,7 %)1,
alors que d’autres ont signalé une prévalence plus élevée (6,5 %)
et ont constaté une association avec des anticorps anti-Ro/SSA6.
Les effets indésirables cardiaques des antipaludéens sont
potentiellement réversibles s’ils sont détectés à temps, et l’arrêt de
ces médicaments est essentiel. Bien que l’ECG puisse être normal
ou non spécifique, il peut permettre une détection précoce et
mener à une évaluation plus approfondie. Des tests plus spécifiques
pour déceler des lésions du muscle cardiaque (troponine I)
pourraient également faciliter le dépistage de la cardiotoxicité
chez les patients présentant un taux de créatine kinase élevée7.
Bien que l’IRM et la TEP cardiaques puissent être utilisées dans
l’évaluation de la cardiotoxicité des antipaludéens, la biopsie
endomyocardique demeure le test de référence.
Il est essentiel de reconnaître les effets indésirables et les facteurs
de risque potentiels (dose journalière excessive par rapport au
poids, durée d’utilisation, dose cumulée, maladie rénale existante,
vieillissement, maladie du foie et autres facteurs génétiques) de la
toxicité des antipaludéens et de procéder à un dépistage approprié.
Finalement, nous reconnaissons que des tests plus spécifiques pour
déterminer la cardiotoxicité des antipaludéens sont nécessaires
pour procéder à une stratification appropriée des risques.
La pandémie de COVID-19 a mené à une utilisation inhabituelle
de l’HCQ comme option thérapeutique, en association
avec l’azithromycine. Les inquiétudes soulevées par les médias et
par Santé Canada quant aux effets secondaires graves potentiels
associés à l’HCQ sont fondées sur la crainte que certains patients
puissent obtenir l’HCQ pour prévenir ou traiter la COVID-19.
L’utilisation non supervisée d’HCQ peut entraîner des effets
secondaires, mais les rhumatologues connaissent bien ce médicament
et ses effets secondaires potentiels. Les rhumatologues
utilisent l’HCQ depuis des décennies sans effets secondaires
majeurs. Nous soupesons les risques et les avantages et, plus
important encore, nous suivons les patients de près et surveillons
l’apparition d’effets toxiques de l’HCQ. Ces étapes sont cruciales
pour assurer une prise en charge fructueuse des patients atteints
de maladies rhumatismales qui suivent un traitement par l’HCQ.
Références :
1. McGhie TK, Harvey P, Su J, Anderson N, Tomlinson G, Touma Z. Electrocardiogram abnormalities related
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biologic disease-modifying antirheumatic drugs. J Rheumatol 2012 Aug; 39(8):1559-82. PubMed PMID:
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3. Singh JA, Saag KG, Bridges SL Jr., Akl EA, Bannuru RR, Sullivan MC, et coll. 2015 American College of
Rheumatology Guideline for the Treatment of Rheumatoid Arthritis. Arthritis Rheumatol 2016 Jan; 68(1):
1-26. PubMed PMID: 26545940.
4. Godeau P, Guillevin L, Fechner J, Bletry O, Herreman G. [Disorders of conduction in lupus erythematosus:
frequency and incidence in a group of 112 patients (author's transl) Les troubles de conduction au cours
du lupus erythemateux. Frequence et incidence dans une population de 112 patients]. Annales de medecine
interne 1981; 132(4):234-40. PubMed PMID: 7305172.
5. Costedoat-Chalumeau N, Hulot JS, Amoura Z, Leroux G, Lechat P, Funck-Brentano C, et coll. Heart conduction
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10. PubMed PMID: 17202178.
6. Bourre-Tessier J, Clarke AE, Huynh T, Bernatsky S, Joseph L, Belisle P, et coll. Prolonged corrected QT
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2011 Jul; 63(7):1031-7. PubMed PMID: 21452253.
7. Tselios K, Gladman DD, Harvey P, Akhtari S, Su J, Urowitz MB. Abnormal Cardiac Biomarkers in Patients
with Systemic Lupus Erythematosus and No Prior Heart Disease: A Consequence of Antimalarials? J Rheumatol
2019 Jan; 46(1):64-9. PubMed PMID: 30068764.
Zahi Touma, M.D., Ph. D., FACP, FACR
Rhumatologue
Professeur adjoint de médecine
Division de rhumatologie
Faculté de médecine
Université de Toronto
Clinicien scientifique
Institut de recherche Krembil (Krembil)
Toronto (Ontario)
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