Été 2020 (volume 30, numéro 2)
Les 10 principales choses que les
rhumatologues devraient (ou pourraient
ne pas) connaître sur le point de vue
des physiatres quant aux stratégies de
réadaptation et aux interventions liées
aux affections neuromusculosquelettiques
Par Jaime C. Yu, M.D., M. Éd., FRCPC, FSNC(EMG), Brian Rambaransingh, M.D., FRCPC,
FSNC(EMG), RMSK, et Arun T. Gupta, M.D., FRCPC, FSNC(EMG)
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Les stratégies et interventions de réadaptation englobent un large éventail de modalités de
traitement, allant de la modification des activités et de la prescription d’exercices à la gestion
des médicaments et aux procédures interventionnelles. La physiatrie et la réadaptation forment
un vaste domaine de spécialisation qui traite un large éventail de troubles neurologiques et
musculosquelettiques. Cet article donne un aperçu du point de vue du physiatre concernant les
affections neuromusculosquelettiques fréquemment rencontrées par les rhumatologues.
- Pour orienter les traitements interventionnels de la lombalgie,
l’une des principales causes d’incapacité, il faut
déterminer quels sont les générateurs potentiels de douleur. Les douleurs dorsales non inflammatoires sont divisées en
deux catégories : les douleurs axiales, qui touchent le dos
proprement dit, et les douleurs radiculaires, qui irradient
vers les fesses ou les jambes. Les douleurs médiées par
les facettes articulaires comptent pour 40 % des lombalgies
axiales et peuvent être traitées avec succès par des
techniques de dénervation par radiofréquence. Pour les
douleurs radiculaires, les injections épidurales transforaminales
de stéroïdes peuvent apporter un soulagement
important des symptômes et accélérer le rétablissement.
Dans les cas réfractaires, la neurostimulation est une
thérapie émergente. La prise en charge chirurgicale est
généralement limitée aux patients présentant des déficits
neurologiques progressifs1-3.
- Le syndrome douloureux du grand trochanter, communément
appelé
« bursite », doit plutôt être considéré comme une tendinopathie
touchant le petit et le moyen fessier ainsi que la
bandelette ilio-tibiale. La véritable bursite n’est présente que
chez une minorité de patients. Les déchirures des muscles
fessiers peuvent être évaluées à l’aide du test de dérotation
externe avec résistance. La ténotomie à l’aiguille échoguidée,
associée à la physiothérapie, peut apporter un certain soulagement
à moyen et à long terme et représente une option
préférable aux injections de corticostéroïdes4-6.
- L’articulation sacro-iliaque (ASI) est une importante source
de douleur dans les cas de douleurs dorsales non inflammatoires. Les générateurs de douleur dans l’ASI comprennent
la capsule articulaire, les ligaments environnants et la portion
intra-articulaire de l’articulation, tous innervés par les
branches latérales des racines nerveuses S1 à S3. En raison
de cette anatomie complexe, les manoeuvres d’examen physique
peuvent ne pas être aussi précises et les injections
intra-articulaires peuvent ne pas agir convenablement
contre tous les générateurs de douleur, ce qui entraîne des
diagnostics faux négatifs. Les techniques fondées sur l’utilisation
de blocs échoguidés administrés dans le réseau sacral
postérieur pourraient représenter une nouvelle référence
dans le diagnostic et la prise en charge de la douleur médiée
par l’ASI7-11.
- Le syndrome de douleur myofasciale doit être différencié de
la fibromyalgie. Les caractéristiques cliniques de bandelettes
tendues palpables et de points de déclenchement sont généralement
présentes. La zone douloureuse est toutefois plus
focalisée par rapport à la douleur généralisée type de la
fibromyalgie. Le traitement comprend des étirements ciblés
et des exercices de renforcement actif des muscles touchés.
Des techniques telles que la stimulation intramusculaire
(traitement à blanc au moyen d’une aiguille) et des injections
d’anesthésique local aux points de déclenchement peuvent
être utiles pour réduire la douleur à court terme et faciliter la
réadaptation active12,13.
- Les examens de la conduction nerveuse et l’électromyographie
présentent des limites techniques et il est important de savoir
quand les demander. Les examens standards de conduction
nerveuse et d’électromyographie sont très utiles pour
découvrir les anomalies touchant les principaux nerfs périphériques
à grandes fibres, telles que les neuropathies de
piégeage focales (par exemple, le syndrome du canal carpien)
ou les lésions nerveuses traumatiques. Les examens d’EMG
sont également utiles pour distinguer les myopathies inflammatoires
aiguës des myopathies chroniques. Cependant, les
maladies impliquant les nerfs périphériques à petites fibres,
causes fréquentes des polyneuropathies distales douloureuses,
sont plus difficiles à évaluer et les examens standards
de la conduction nerveuse ou d’électromyographie peuvent
donner des résultats normaux dans ces cas14.
- La polyneuropathie des petites fibres, qui fait intervenir les
fibres Aδ myélinisées et les fibres C non myélinisées, est
présente chez environ
40 à 50 % des patients atteints de
fibromyalgie. Les symptômes de dysautonomie et de paresthésie
peuvent permettre de prédire une polyneuropathie
des petites fibres sous-jacente, et des anomalies à l’examen
de la conduction nerveuse sensorielle plantaire surale et
médiale peuvent faciliter le diagnostic. Il est important de
cerner ce chevauchement afin d’exclure les causes réversibles
de polyneuropathie des petites fibres et de cibler les patients
qui pourraient mieux répondre aux antiépileptiques ou aux
antidépresseurs pour le soulagement de la douleur. Les
opioïdes sont déconseillés, mais les traitements adjuvants,
notamment les anesthésiques locaux topiques, la capsaïcine
et l’acupuncture, peuvent s’avérer utiles15-18.
- Le syndrome de douleur régionale complexe est une urgence
en matière de réadaptation qui nécessite un traitement urgent
au moyen d’analgésiques appropriés, et possiblement de corticostéroïdes
oraux, et la mise en oeuvre de stratégies énergiques
de réadaptation active. Lorsqu’un traitement précoce n’est pas
possible ou qu’il y a absence de réponse, le syndrome évolue
malheureusement vers une affection neurologique et douloureuse
chronique. La principale caractéristique du syndrome
de douleur régionale chronique est une douleur régionale
disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur
qui s’accompagne aussi de caractéristiques de douleur neuropathique,
de changements cutanés et de température et
d’une perte importante de mouvement fonctionnel. Il existe
des données probantes de niveau 1 qui appuient l’utilisation
de corticostéroïdes oraux dans les cas récents ou aigus, et
l’administration d’un traitement analgésique approprié est
importante pour favoriser la participation à des exercices et
à des modalités de réadaptation active19,20.
- Les douleurs articulaires post-AVC sont souvent complexes et
peuvent avoir de multiples étiologies. Les douleurs de l’épaule
peuvent résulter d’une subluxation attribuable à une faiblesse
neuromusculaire, d’une tendinopathie de la coiffe des rotateurs
ou d’une poussée d’arthrose gléno-humérale due à une altération
mécanique, à une spasticité des muscles de la ceinture
scapulaire ou à une capsulite adhésive. Si des douleurs à la main
et à l’épaule sont constatées, il faut considérer la possibilité de
syndrome épaule-main, une forme de syndrome post-AVC. Les
douleurs du genou après un AVC sont fréquentes en raison
de l’altération des propriétés mécaniques aggravant l’arthrose
sous-jacente du genou ou des poussées de goutte consécutives
à l’événement médical aigu et aux médicaments associés. Il faut
envisager l’utilisation de la stimulation électrique fonctionnelle,
d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) topiques
et d’AINS oraux pendant de courtes périodes. Des injections
ciblées de corticostéroïdes intra-articulaires sont efficaces pour
soulager la douleur à moyen terme afin de favoriser une réadaptation
active visant le rétablissement neurologique21.
- L’arthrite inflammatoire peut se résorber du côté hémiparétique
après un AVC, mais la physiopathologie de ce phénomène n’est
pas claire. Des rapports de cas laissent entendre que l’arthrite
inflammatoire se résorbe du côté hémiparétique après un AVC
ou une autre lésion importante du système nerveux central. Les
mécanismes proposés comprennent des facteurs mécaniques
altérés du côté hémiparétique, des modifications du système
nerveux autonome touchant l’inflammation ou des modifications
de la perfusion des membres. Les membres hémiparétiques
présentant fréquemment des modifications du système nerveux
autonome, comme un oedème, une altération de la température
ainsi qu’une modification de la couleur de la peau et de la
répartition de la sueur. D’autres travaux visant à élucider le rôle
du système nerveux central dans l’inflammation seront utiles
pour comprendre ce phénomène anecdotique22,23.
- La fasciite plantaire est une cause fréquente de douleur au talon
et elle peut être liée à des affections inflammatoires générales ou
à des problèmes biomécaniques précis. Les facteurs prédisposants
sont notamment la déformation des pieds (pes cavus), une
dorsiflexion limitée de la cheville, une raideur des muscles gastrocnémien
et soléaire et une pronation ou supination excessive
du pied. La correction des anomalies biomécaniques par des
mesures telles que l’étirement ciblé, la modification des chaussures,
l’utilisation d’orthèses (p. ex. pour soulever le talon), le
renforcement des muscles intrinsèques du pied et le massage
par friction profonde, peuvent résoudre ce trouble. Dans les
cas réfractaires, les injections de corticostéroïdes échoguidées
apportent un soulagement à court terme, permettant aux techniques
de réadaptation d’être mieux tolérées et plus efficaces.
Parmi les autres options, citons les traitements par ondes de
choc extracorporelles, les injections intramusculaires de toxine
botulique A, la prolothérapie et le plasma autologue riche en
plaquettes; toutefois, les données probantes sur l'efficacité
de ces interventions sont contradictoires. La prise en charge
chirurgicale est réservée à de rares cas24-28.
Jaime C. Yu, M.D., M. Éd., FRCPC, FSNC(EMG)
Professeur adjoint
Division de physiatrie et de réadaptation
Université de l’Alberta
Edmonton (Alberta)
Brian Rambaransingh, M.D., FRCPC, FSNC(EMG), RMSK
Professeur agrégé de clinique
Division de physiatrie et de réadaptation
Université de l’Alberta
Edmonton (Alberta)
Arun T. Gupta, M.D., FRCPC, FSNC(EMG), Dipl. en médecine sportive
Professeur agrégé de clinique
Section de physiatrie et de réadaptation
Université de Calgary
Calgary (Alberta)
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