Été 2020 (volume 30, numéro 2)
Prix du chercheur émérite de la SCR : Dr Paul Fortin
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Quelle a été votre première pensée lorsque vous avez appris que vous remportiez ce prix? Ma première pensée a été : « Suis-je déjà si vieux? ». Il me semblait impossible que j’aie accompli suffisamment dans ma carrière pour mériter cet honneur. Puis, après avoir retrouvé mon calme et réalisé que les années avaient effectivement passé, je me suis senti privilégié de recevoir une si grande reconnaissance de mes pairs.
L’importance de sentir que votre travail a été et reste valide (pour utiliser un terme qu’affectionnent les cliniciens-chercheurs) et qu’il est valorisé en dehors de votre entourage immédiat procure un grand réconfort. Voici ce que je pense du Prix du chercheur émérite de la SCR : il s’agit d’une reconnaissance du fait que, jusqu’à présent, mon travail a suffisamment de sens pour être reconnu par mes proches et les personnes les plus susceptibles d’apprécier la valeur de ce que je fais, mes collègues rhumatologues.
Pourquoi êtes-vous devenu rhumatologue?
Quels sont les facteurs ou quelles sont les personnes qui
vous ont inspiré à entreprendre cette carrière? Il a fallu du temps à l’étudiant en médecine et au résident que j’étais pour qu’il soit d’abord intrigué, puis intéressé, et enfin passionné par la rhumatologie. J’ai commencé à être intrigué lors d’une rotation dans un service de médecine interne, alors que j’étais étudiant en médecine à Québec. Jusqu’alors, je n’avais pas été exposé à des patients atteints de maladies rhumatismales auto-immunes systémiques. Pendant ma rotation de quatre semaines, j’ai recueilli les antécédents et effectué des examens physiques de quatre personnes prodigieusement merveilleuses qui vivaient avec la polyarthrite rhumatoïde (PR), le lupus et la sclérodermie généralisée. Elles étaient toutes des femmes jeunes ou d’âge moyen qui ne laissaient pas leur maladie prendre le contrôle de leur vie et témoignaient de la force et de la beauté de l’âme. Les rôles se sont inversés pendant leur séjour à l’hôpital, car ces femmes sont devenues mes professeurs. L’une d’entre elles m’a montré comment elle s’était adaptée pour boutonner sa blouse elle-même malgré ses pouces et ses mains déformés par la PR. Une autre plaisantait sur son apparence plus jeune en raison de sa sclérodermie et m’a fait part de son intention de retourner au travail après sa sortie de l’hôpital. La plus jeune des quatre venait de recevoir un diagnostic de lupus et était, à juste titre, désemparée et effrayée. Elle croyait néanmoins de tout coeur que son état pouvait s’améliorer et avait l’intention d’y parvenir. Le courage et la résilience de ces femmes m’ont profondément impressionné, et je me suis vu accompagner de telles personnes tout au long de leur vie avec l’arthrite.
L’intérêt s’est ensuite manifesté en en apprenant davantage sur le système immunitaire et sur le phénomène fascinant de l’auto-immunité. La résidente en chef durant ce même stage de médecine interne est aujourd’hui une collègue, la Dre Charlotte Grondin. Elle était une excellente professeure et ne comptait pas les heures passées à transmettre ses connaissances à ses étudiants en médecine. Elle a patiemment disséqué le système immunitaire pour nous et expliqué les différentes manifestations cliniques des maladies rhumatismales auto-immunes systémiques. À la fin de cette rotation, je voulais devenir... immunologiste clinique. Cet intérêt pour l’immunologie et l’immunité m’a conduit à l’Université McGill où j’ai suivi une formation en médecine interne. McGill offrait l’un des rares programmes cliniques en immunologie, domaine dans lequel je voulais acquérir une sous-spécialité. J’ai toutefois réexaminé mon choix après un stage facultatif en rhumatologie sous la direction du Dr John Esdaile. Ce dernier revenait tout juste de Yale, où il avait suivi une formation en épidémiologie avec le Dr Alvin Feinstein. Pendant ce stage, j’ai réalisé que la rhumatologie m’offrait tout ce que je désirais réellement : l’étude du système immunitaire et de l’auto-immunité, une pratique impliquant des soins de longue durée dispensés à des patients incroyablement courageux qui méritent nos soins, et la possibilité de faire des travaux de recherche susceptibles un jour de changer la vie d’un patient.
Selon vous, quelles sont les qualités
d’un rhumatologue émérite? Émérite ou non, la qualité la plus importante d’un rhumatologue
est son humanité. Dans cette discipline, nous sommes amenés à
traiter des souffrances quotidiennes qui minent le corps et l’âme.
L’excellence scientifique, l’expérience clinique et un jugement sûr
sont naturellement des qualités essentielles que partagent tous
les professionnels de la santé. Cependant, je suis convaincu que la
qualité qui servira le plus au rhumatologue sera l’humanité. Sinon,
comment pouvez-vous accompagner les patients qui vivent avec
une maladie débilitante qui menace non seulement leur fonction
physique, mais aussi leur vie émotionnelle et sociale? Il n’est
pas facile de lâcher prise, jusqu’à récemment, l’arthrite poussait les patients à renoncer à une capacité fonctionnelle au-delà de
l’attrition qui accompagne le vieillissement naturel. Dans ma
pratique, l’écoute empathique, les silences prolongés et la reconnaissance
du fait que cette maladie est « moche » m’ont autant
servi que les nouveaux médicaments épatants que je prescris. Bien
que cela soit parfois difficile, je me présente comme un conseiller
et un guide dans les décisions que mes patients doivent prendre.
Parfois, il m’est arrivé de jouer également le rôle de thérapeute. Je
m’efforce de faire en sorte que mes patients soient d’accord avec
leurs traitements et les adoptent avec la conviction que c’est la
bonne chose à faire pour eux.
Dans mon esprit, l’humanité est la qualité qui me permet d’entrer
en contact avec mes patients et de renforcer le lien privilégié
de la relation rhumatologue-patient.
Vous travaillez à mieux comprendre les répercussions
biopsychosociales des maladies rhumatismales chroniques
telles que le LED, la PR et d’autres maladies rhumatismales
auto-immunes systémiques. Quelle est l’incidence de votre
recherche sur les soins cliniques aux patients? Quel a été
l’aspect le plus gratifiant de cette transmission de savoir? Fait intéressant, l’une des expériences les plus gratifiantes de ma
carrière de chercheur a été ce qu’une patiente nous a rapporté
après un épisode très difficile de sa vie. Cette personne est atteinte
de lupus et participe au programme HIPP (Health Improvement and Prevention Program). L’essai HIPP portait sur une intervention axée
sur le patient et gérée par une infirmière praticienne formée qui
combinait des cours éducatifs, des modifications des habitudes
de santé, y compris un programme d’exercices supervisés, et un
programme facultatif de réduction du stress par la méditation.
Après son expérience avec le HIPP, la personne qui nous a écrit
avait continué à pratiquer le yoga et la réduction du stress par
la méditation et à poursuivre un programme d’exercices. L’année
suivante, elle a malheureusement été victime d’une pneumonie et
d’une insuffisance respiratoire qui ont nécessité une intubation
et une ventilation mécanique. Elle nous a ensuite écrit que tout
au long de cette terrible expérience en soins intensifs, elle avait
mis à profit les outils acquis dans le cadre de l’étude HIPP. La
méditation l’a aidée à traverser le pire de cette expérience et elle
est convaincue que c’est sa bonne forme physique, notamment sa
musculature respiratoire, qui lui a permis de s’en sortir et de se
rétablir complètement. Cet exemple ne sera pas publié dans une
revue évaluée par des pairs, mais il me motive à poursuivre mon
travail, car il confirme ce que j’accomplis en recherche.
Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier? Mes collaborations sont les réalisations dont je suis le plus fier,
et j’ai un parti pris pour le Réseau canadien pour l’amélioration
du pronostic du lupus érythémateux disséminé, ou RCAPLE. Je
suis revenu de ma formation en épidémiologie clinique et de
ma fréquentation du Robert B. Brigham Multipurpose Arthritis
Center à Boston avec la conviction que les chiffres sont la clé
pour obtenir des réponses à nos questions. Au fil des ans, j’ai eu
le privilège de recevoir des fonds de la Société de l'arthrite, des
Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et de l’ICORA
pour répondre à certaines de ces questions. Dans une de mes
premières études (un essai contrôlé à répartition aléatoire sur
l’efficacité et l’innocuité du méthotrexate dans le traitement du
lupus), nous avons dû recruter des patients dans plusieurs centres
au Canada. John Esdaile m’a guidé dans le labyrinthe politique
qui a permis la création du RCAPLE. Son but était de réaliser
une étude, mais il est rapidement devenu évident que cette collaboration
débouchait sur des possibilités de recherche plus
intéressantes. Plusieurs autres projets de recherche de collègues
comme Ann Clarke, Patricia Dobkin, Debbie DaCosta, Christine
Peschken, Joan Wither et d’autres ont suivi. Le RCAPLE reste actif
aujourd’hui, 25 ans après sa création, en 1995, et continue d’offrir
une plateforme unique pour la recherche sur le lupus.
Y a-t-il d’autres domaines d’intérêt que vous voudriez
approfondir un jour dans un avenir proche? Il y en a tellement! En fait, mon épouse craint que je ne me
lasse jamais de poser des hypothèses de recherche et de lancer
de nouveaux projets. Blague à part, un projet intéressant que je
ne réaliserai probablement jamais est ce qui m’a ramené dans
ma ville natale de Québec. Il s’agit d’une étude des interactions
génétique-environnement qui pourraient être associées
aux maladies rhumatismales auto-immunes systémiques chez les
Canadiens français. L’idée serait de mettre en commun leurs données
génétiques et familiales bien documentées et disponibles
pour la recherche (l’effet fondateur ici est unique, des millions
de Canadiens français se partageant quelques milliers d’ancêtres
communs) avec des expositions environnementales. Ces expositions
environnementales seraient déterminées à partir d’analyses
géospatiales. Nous pourrions alors proposer des facteurs de risque
génétiques et environnementaux et des interactions entre les
gènes et l’environnement associés à l’arthrite. Cela nécessiterait
une étude basée sur la population, en étroite collaboration avec
des scientifiques spécialisés en géographie et en populations, et
des anthropologues. N’est-ce pas un projet emballant?
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui souhaite
mener une carrière de rhumatologue universitaire? Suivez votre instinct et votre passion, mais surtout, assurez-vous
de choisir ce qui vous plaît vraiment. Ce qui vous fera vous lever
tôt le matin et vous donnera envie d’être déjà au travail! Pas de
planification avancée ni de stratégies approfondies ici, seulement la décision de se donner complètement à ce que l’on aime!
Je n’aurais jamais rêvé devenir un chercheur universitaire en rhumatologie
(encore moins lauréat du Prix du chercheur émérite de
la SCR). Il n’y a aucune garantie que vous réussirez, mais si votre
instinct vous dicte qu’une carrière universitaire est le bon choix
pour vous, mon deuxième conseil, et peut-être le plus important,
est de demander conseil. Idéalement, trouvez un mentor dans
votre milieu ou lors des réunions de la SCR. Personnellement,
j’ai eu le privilège d’avoir deux mentors au cours de ma carrière.
Tous deux ont été très généreux de leur temps, de leur soutien
et de leurs conseils. Au début, John Esdaile m’a guidé dans la
décision de suivre une formation complémentaire en recherche
clinique à Boston, où j’ai rencontré mon deuxième mentor,
Matthew Liang. Ils sont tous deux restés de proches conseillers.
Si vos journées comptaient une heure de plus, comment
l’utiliseriez-vous? J’aimerais améliorer mes compétences en photographie, surtout
en photographie de la nature, avec un intérêt particulier pour les
oiseaux! J’observe les oiseaux depuis mon adolescence et il n’y a
rien de plus thérapeutique et de plus satisfaisant pour moi que
de marcher sur les sentiers dans la nature. J’ai l’intention de me
procurer le bon équipement et de commencer à travailler sur ces
compétences dans les prochains mois afin de préparer ma retraite.
Après tout, comme je l’ai dit au début, recevoir le Prix du chercheur
émérite est un grand honneur... mais aussi un signe que le temps
passe!
Le Dr Fortin reçoit son prix des mains de la présidente de la SCR,
la Dre Vandana Ahluwalia, et du Dr Raheem Kherani.
Paul R. Fortin, M.D., MPH, FRCPC
Chaire de recherche du Canada sur les maladies rhumatismales
auto-immunes systémiques
Rhumatologue, Division de rhumatologie
Chercheur, axe maladies infectieuses et immunitaires
CHU de Québec-Université Laval
Professeur, Département de médecine
Faculté de médecine, Université Laval
Québec (Québec)
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