Automne 2020 (Volume 30, numéro 3)
Il était une fois la rhumatologie canadienne : 1974-1984, une décennie dans l’histoire de la SCR (bien avant l’avènement des produits biologiques et des inhibiteurs de JAK)
Par le Dr Manfred Harth, président de la SCR de 1982 à 1984
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« Le souvenir des choses passées n’est pas nécessairement le souvenir des choses telles qu’elles furent »
– Marcel Proust
On m’a demandé de me remémorer la période où j’ai participé
à la direction de la SCR, c’est-à-dire la décennie
1974-1984. J’ai été membre extraordinaire du comité
exécutif de 1974 à 1976, je me suis retiré de l’organisation
pendant deux ans avant d’y revenir jouer un rôle en tant que
secrétaire de 1978 à 1980, vice-président de 1980 à 1982 et
président de 1982 à 1984.
Certains se souviennent peut-être qu’à l’époque, l’acronyme
« SCR » correspondait à Société canadienne de rhumatisme, ce qui
était nouveau par rapport au nom de la désignation originale de
1936, qui était Société canadienne des maladies rhumatismales.
De 1974 à 1984, la SCR était une organisation beaucoup plus
petite et plus pauvre qu’aujourd’hui. Bien modestes au départ,
nos réunions étaient brèves, ne se déroulant que sur une seule
journée. Finalement, le Collège royal nous a demandé, ainsi qu’à
d’autres sociétés spécialisées, de nous joindre à lui. Nous avons
accueilli favorablement cette invitation, car le Collège assumait
une grande partie des frais de réunion.
Ce n’est qu’en 1972 que le Collège royal a introduit les examens
en rhumatologie. Jusqu’alors, la plupart des rhumatologues
étaient des internistes qui obtenaient généralement d’une à deux
années de formation dans la spécialité et consacraient au moins
50 % de leur temps clinique à la rhumatologie.
Metro Ogryzlo, qui avait fondé la revue Journal of Rheumatology
en 1974, espérait que la SCR puisse prendre le relais, mais nous
ne disposions pas des ressources financières nécessaires. La SCR a
fini par l’adopter en tant qu’organe officiel, laissant aux membres
le soin de décider s’ils voulaient s’y abonner ou non.
La ville de Toronto avait dominé la rhumatologie pendant des
années au pays, mais au cours des années 1970 et 1980, d’autres
centres universitaires canadiens de rhumatologie se sont de
plus en plus engagés dans le domaine de la recherche et de la
formation postuniversitaire. Une rivalité (pas toujours) amicale
s’ensuivit et les réunions de la SCR ne s’en portèrent que mieux.
La relation entre la Société de l’arthrite et la SCR était très
étroite. La Société de l’arthrite était dirigée par Edward Dunlop,
un héros de guerre ayant perdu la vue et un homme extraordinaire
dont la contribution à la rhumatologie canadienne reste inégalée à
ce jour. La SCR a institué une conférence annuelle en son honneur
et en celui de Rita Dottridge, sa proche collaboratrice. C’est grâce
à la Société de l’arthrite que des unités de traitement des maladies
rhumatismales dotées de lits ont été créées et que des professionnels
de la santé essentiels y ont été attitrés. La Société de l’arthrite
a financé de nombreuses bourses de rhumatologie, à une époque
où les départements de médecine étaient quelque peu réticents à
soutenir pleinement le développement de notre spécialité. Elle a
remis des bourses aux jeunes professeurs nouvellement nommés et
a offert des subventions de recherche évaluées par les pairs.
La SCR a été l’hôte de la réunion de la PANLAR (jadis la Pan-American League against Rheumatism et maintenant la Pan-American
League of Associations of Rheumatology) de 1974 à Toronto, bien que
le principal travail d’organisation ait été effectué par la Société
de l’arthrite.
C’est au cours de cette décennie que nous avons créé les prix
Ian Watson et Phil Rosen (ce dernier honorant un président de la
SCR pour ses services exceptionnels).
En 1976, un comité de membres de la SCR ayant participé à
une étude sur la main-d’oeuvre médicale, parrainée par le Collège
royal et le ministère fédéral de la Santé, révélait que le ratio de
rhumatologues dans la population était de 1 pour 180 000. En
1983, le comité de la main-d’oeuvre de la SCR a publié une étude
sur les programmes de formation en rhumatologie au Canada qui
révélait que 61 stagiaires avaient terminé les deux années requises
au cours de la période de 1973 à 1978, ce qui a alimenté l’espoir
que ce ratio s’améliorerait progressivement.
La rhumatologie a commencé à attirer un nombre croissant de
femmes stagiaires, et il y a eu un plus grand nombre de femmes
qui occupaient des postes universitaires à temps plein ou partiel
et qui exerçaient en cabinets privés.
L’intérêt des grandes entreprises pharmaceutiques pour la rhumatologie
était modéré. Nous utilisions alors des antipaludéens,
de l’or, de la pénicillamine, des stéroïdes, de l’azathioprine, du
cyclophosphamide et une multitude d’anti-inflammatoires non
stéroïdiens (AINS); nous venions de commencer à prescrire la
sulfasalazine. Quelques audacieux avaient essayé le méthotrexate.
Rien de tout cela ne favorisait beaucoup le soutien.
Les analyses de laboratoire immunologiques disponibles permettaient
de mieux évaluer les différentes maladies rhumatologiques.
L’imagerie en rhumatologie avait quelque peu progressé avec
l’arrivée de la tomodensitométrie et de la scintigraphie. Les appareils
d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont commencé à
faire leur apparition dans les hôpitaux universitaires. L’échographie
diagnostique en rhumatologie en était à ses premiers pas.
Dans l’ensemble, ce fut une période de progrès modestes
pour notre organisation, de même que pour les avancées thérapeutiques.
Nous étions bien meilleurs pour diagnostiquer les
maladies que pour traiter les patients. Nous n’étions pas tout à
fait à l’âge des ténèbres, mais nous étions encore à de nombreuses
années de la « Renaissance ».
Manfred Harth, M.D., FRCPC
Professeur émérite de médecine,
Université Western Ontario
London (Ontario)
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