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Hiver 2019 (Volume 29, numéro 4)

Repenser les myopathies inflammatoires idiopathiques

Par Lucy Lu Chu, M.D., et Ophir Vinik, M.D., FRCPC, M. Sc. (santé communautaire)

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Cas de la patiente :
Une femme de 27 ans physiquement active a été dirigée vers un rhumatologue par son médecin de famille pour des douleurs articulaires. Elle décrit des raideurs dans la partie supérieure des bras et des cuisses depuis six mois, accompagnées d’une diminution progressive de l’endurance musculaire proximale et de la tolérance à l’effort. Auparavant, elle était en bonne santé et ne consommait ni médicaments, ni alcool, ni drogues à des fins récréatives. Elle n’a pas d’antécédents familiaux de troubles auto-immuns ou musculaires. À l’examen, elle présente une légère faiblesse des deltoïdes, des biceps et des fléchisseurs de la hanche évaluée à 4+/5 sur l’échelle du Conseil de recherches médicales (CRM). Il n’y a pas d’articulations enflées. L’examen dermatologique ne révèle aucune éruption cutanée, mais on observe de légères dilatations capillaires du repli cutané des ongles. Les résultats des analyses sanguines initiales sont normaux, y compris un taux de protéine C-réactive de 0,7 (N < 5) et de créatine kinase (CK) de 81 (N 20-210). Les résultats de la recherche d’anticorps antinucléaires (AAN), du facteur rhumatoïde (FR) et d’anticorps anti-peptide cyclique citrulliné (anti-CCP) sont négatifs. Les seules anomalies sont une vitesse de sédimentation des érythrocytes de 37 (N < 30) et un taux de lactate-déshydrogénase de 292 (N 140-225).

En raison de la faiblesse musculaire proximale et de l’anomalie des capillaires du repli cutané des ongles, des tests supplémentaires sont effectués. Le panel d’anticorps spécifiques à la myosite (ASM) est positif pour l’anticorps anti-protéine 2 de la matrice nucléaire (NXP2). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) met en évidence d’importantes zones d’œdème musculaire touchant les muscles fessiers, psoas-iliaques et quadriceps des deux côtés. La biopsie subséquente du quadriceps révèle une atrophie périfasciculaire d’aspect caractéristique, accompagnée d’une infiltration périvasculaire et septale de cellules inflammatoires lymphohistiocytaires ainsi que de nombreuses inclusions tubuloréticulaires. Ces observations confirment un diagnostic sérologique/pathologique/ clinique de dermatomyosite.

Introduction
Les myopathies inflammatoires idiopathiques (MII) forment un groupe hétérogène d’affections auto-immunes rares, caractérisées par divers degrés d’atteinte musculaire proximale, cutanée et parfois multiorganique. Il est de plus en plus reconnu que les MII ne sont pas une entité unique, mais plutôt un ensemble d’entités cliniques, sérologiques et pathologiques1. La gravité des différentes manifestations, même au sein d’une entité donnée, peut varier considérablement. L’incidence des MII est estimée à 1 pour 100 000 et la maladie peut survenir tout au long de la vie, l’incidence étant généralement plus élevée chez les femmes2.

Caractéristiques cliniques
La dermatomyosite classique se caractérise par une faiblesse musculaire proximale et des éruptions cutanées prototypiques, y compris les papules de Gottron et des modifications poïkilodermiques, comme l’éruption héliotrope, le signe du châle, le signe du V et le signe de l’étui de pistolet. Le diagnostic peut devenir difficile chez les patients qui ne présentent pas de faiblesse musculaire manifeste ou d’éruptions cutanées caractéristiques3. Un taux de CK normal n’exclut pas une myosite active, puisque près de 15 % des patients atteints de dermatomyosite active peuvent avoir un taux de CK normal4. Les résultats histologiques typiques de la dermatomyosite classique comprennent une atrophie périfasciculaire avec infiltrat inflammatoire et inclusions tubuloréticulaires au microscope électronique3. Les manifestations de la dermatomyosite peuvent également chevaucher celles d’autres maladies du tissu conjonctif, comme la sclérodermie généralisée.

Une autre entité clinique faisant partie du spectre des MII est le syndrome des antisynthétases. Il s’agit d’une entité hétérogène qui peut comprendre l’arthrite inflammatoire, les mains de mécanicien, le phénomène de Raynaud et la maladie pulmonaire interstitielle. Elle est associée à la présence d’anticorps dirigés contre les enzymes ARNt synthétases3.

La myosite nécrosante à médiation immunitaire (aussi connue sous le nom de myopathie auto-immune nécrosante, ou MAIN) est généralement caractérisée par une faiblesse importance accompagnée d’une élévation marquée du taux de CK, mais généralement sans éruption cutanée. Bien que la MAIN puisse être idiopathique, certains cas sont induits par l’exposition aux médicaments, en particulier aux statines. La détection d’anticorps anti-HMG-CoA réductase pourrait aider à appuyer le diagnostic. Les résultats de la biopsie musculaire incluent une nécrose des fibres musculaires médiée par les macrophages et un infiltrat inflammatoire minimal ou absent5.

La myosite à corps d’inclusions (MCI), auparavant incluse dans les MII, est une entité pathologique différente. Il s’agit d’une affection dégénérative touchant les muscles proximaux et distaux et caractérisée par une absence de réponse à l’immunosuppression. L’histopathologie montre des vacuoles entourées d’une bordure avec des corps d’inclusion6. La polymyosite en tant qu’entité diagnostique est en voie de disparaître. Traditionnellement, elle se caractérisait par l’absence d’éruptions cutanées typiques et de signes histologiques d’atteinte du périmysium7. Une meilleure évaluation sérologique/pathologique/clinique permettrait de reclasser la maladie comme une MCI, une myopathie nécrosante ou un syndrome des antisynthétases8.

Diagnostic
Une anamnèse clinique détaillée et un examen physique sont essentiels lors de l’évaluation des patients qui pourraient présenter une MII. Des ASM sont détectés chez jusqu’à 80 % des patients atteints de MII9. Un résultat négatif au test de détection des AAN, observé chez 40 à 60 % des patients atteints de dermatomyosite, n’exclut pas la présence de la maladie ni la possibilité que des ASM soient présents10.

L’électromyographie (EMG) peut être utile pour déceler un processus myopathique ou neuropathique sous-jacent. Cependant, utilisée seule, elle ne permet pas de poser un diagnostic de MII11. L’IRM musculaire est un outil de diagnostic de plus en plus utilisé. Une séquence pondérée en T2 avec suppression de la graisse ou une séquence STIR (short tau inversion recovery) peuvent permettre de déceler un œdème musculaire11. Bien que l’œdème musculaire ne soit pas spécifique à la MII, la présence d’une atteinte proximale et symétrique dans un contexte clinique approprié peut être utile. L’IRM permet également de détecter les zones d’atrophie et de remplacement par des graisses, différenciant ainsi les modifications actives des modifications chroniques de la myosite. Cela peut guider le choix du site de la biopsie pour réduire le taux de résultats faux négatifs, qui peut atteindre 45 % pour les biopsies musculaires réalisées à l’aveugle dans les cas de dermatomyosite11. Un traitement approprié des échantillons est essentiel, et l’évaluation pathologique devrait inclure la microscopie électronique pour déceler certaines caractéristiques pathologiques, telles que les inclusions tubuloréticulaires12.

Les critères diagnostiques de Bohan et Peter, couramment utilisés et datant de 197513, sont très limités. Ils ne tiennent pas compte de la plupart des avancées réalisées dans ce domaine, comme le diagnostic de MCI ou l’avènement des tests de détection des ASM14. Bien que les plus récents critères EULAR/ACR (2017) fournissent un meilleur cadre en raison de leur sensibilité et spécificité pouvant atteindre 93 % et 88 %, respectivement, de pair avec une biopsie musculaire15, ils ne couvrent pas toujours adéquatement la grande hétérogénéité de ces affections. Ces critères n’intègrent pas non plus les ASM et considèrent toujours la polymyosite comme une entité distincte. Il faut poursuivre les efforts pour améliorer davantage les outils de classification et de diagnostic destinés aux cliniciens16.

Prise en charge
Les MII sont des affections traitables qui exigent une combinaison d’interventions pharmacologiques et non pharmacologiques. Le choix du traitement doit être adapté en fonction des manifestations cliniques et de leur gravité. Une approche multidisciplinaire est recommandée pour prendre en charge les différents aspects systémiques. La physiothérapie, l’ergothérapie et la réadaptation offrent des avantages bien établis18,19. Les orthophonistes peuvent aussi évaluer la nécessité de modifier le régime alimentaire en présence d’une dysphagie attribuable à une atteinte des muscles striés dans le tiers supérieur de l’œsophage.

La prednisone à forte dose est la pierre angulaire de la pharmacothérapie initiale. La dose initiale type est de 1 à 1,5 mg/kg/jour20. Les options d’épargne des stéroïdes comprennent le méthotrexate, le mofétilmycophénolate et l’azathioprine. Les immunoglobulines par voie intraveineuse constituent un traitement d’appoint chez les patients présentant une maladie musculaire et cutanée plus grave21. Il est à noter que l’ampleur de l’élévation de la CK peut ne pas correspondre au degré clinique de faiblesse musculaire, et la normalisation de la CK en cours de traitement ne signifie pas nécessairement une rémission de la maladie. Chez certains patients, le taux de CK fluctue ou ne se normalise jamais complètement malgré une rémission clinique.

Dans les cas de MII survenant chez l’adulte, le risque de cancer au cours des cinq premières années suivant le diagnostic est jusqu’à six fois plus élevé que dans la population moyenne, particulièrement avec la dermatomyosite classique22. Il n’existe pas de lignes directrices fondées sur des données probantes pour le dépistage du cancer chez les patients atteints de MII. Les caractéristiques fortement associées à l’apparition d’un cancer en présence de dermatomyosite comprennent le sexe masculin, l’apparition de la maladie après l’âge de 50 ans, les éruptions cutanées classiques, une progression rapide de la maladie, des caractéristiques cliniques préoccupantes relativement à la malignité et la présence d’anticorps anti-NXP2 ou anti-TIF1-γ (transcription intermediary factor 1-gamma)23. La tomodensitométrie (TDM) du thorax/de l’abdomen/du bassin, l’œsophago-gastro-duodénoscopie et la coloscopie devraient être envisagées chez ces patients23. La tomographie à émission de positrons (TEP) s’est révélée équivalente à ces modalités de dépistage24. Le traitement du cancer, bien qu’essentiel, est généralement insuffisant pour traiter les manifestations de dermatomyosite associées. Une immunosuppression concomitante doit être administrée en étroite collaboration avec l’équipe soignante en oncologie. Chez les patients atteints de dermatomyosite associée à un cancer qui sont en rémission, la récurrence de manifestations cutanées ou musculaires peut signifier une récurrence du cancer25.

Retour sur le cas de la patiente :
La patiente a commencé à prendre des doses élevées de prednisone et d’azathioprine tout en suivant un programme d’exercices pour renforcer les muscles proximaux. Elle a bien réagi au traitement avec une résolution complète de la faiblesse et des anomalies capillaires du repli cutané des ongles. La patiente a graduellement cessé le traitement par la prednisone sans connaître de récidive de ses symptômes et suit toujours un traitement d’entretien par l’azathioprine.


Références :

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Lucy Lu Chu, M.D.
Résidente en rhumatologie,
Université de Toronto
Toronto (Ontario)

Ophir Vinik, M.D., FRCPC, M. Sc.
(santé communautaire)
Rhumatologue, Hôpital St. Michael’s
Toronto (Ontario)



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