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Été 2019 (Volume 29, numéro 2)

W. Sutton ou W. Gretzky : réussir au présent ou préparer le futur?

Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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On a déjà demandé au célèbre voleur de banque Willie Sutton pourquoi il ciblait les banques. Sa réponse, connue comme la loi de Sutton, fut la suivante : « Parce que c'est là que se trouve l'argent. » Cette maxime est fréquemment invoquée dans les diagnostics médicaux, avec celle du rasoir d'Occam et une citation bien connue qui parle de bruits de sabots, de chevaux et de zèbres.

À l'opposé, Wayne Gretzky est célèbre pour avoir suivi les conseils de son père, Walter : « Patine vers l'endroit où la rondelle se dirige, et non vers l’endroit où elle se trouvait. » Prédire la trajectoire de la rondelle lui donnait chaque fois de bonnes chances de compter un but, ce qui en a fait sans contredit le meilleur joueur de hockey de tous les temps.

Prédire l'avenir dans un monde incroyablement complexe est plus difficile que prédire où se dirige une rondelle de hockey dans un espace limité et contraint par les règles du sport. En tant que personnes, entreprises et organisations, nous ne pouvons prédire l'avenir avec exactitude, mais nous devons nous préparer aux changements futurs probables pour assurer notre survie et notre croissance.

Cette notion m'est revenue à l'esprit lors d'un récent voyage en Antarctique. Le dernier arrêt était prévu à Whaler’s Bay, sur l'île Deception, au sud des Shetlands, à la pointe de la péninsule antarctique. Nous sommes débarqués sur une plage offrant un paysage d'allure postapocalyptique jonché de citernes rouillées, d'édifices délabrés et de vieux bateaux en bois. Maintenant inhabitée, Whaler’s Bay était bourdonnante d'activité dans les années 1920, alors que les baleines franches australes étaient chassées et transformées pour fournir l'huile de baleine utilisée pour l'éclairage et comme ingrédient dans la composition du savon, de la margarine et du liquide pour transmissions automatiques. Nous avons demandé à notre guide pourquoi ce site avait été abandonné. C'est un exemple classique d'un changement brusque de paradigme. Dès le début des années 1930, les dérivés du pétrole, comme le kérosène, étaient devenus suffisamment abondants et abordables pour détrôner l'huile de baleine comme produit de base essentiel, ce qui a mené à la fermeture de Whaler’s Bay. Il semble que John D. Rockefeller, souvent considéré comme un brigand monopoliste à la tête de la Standard Oil, avait indirectement sauvé la baleine franche australe de l'extinction.

L'industrie de l'huile de baleine et la Standard Oil ont disparu il y a longtemps déjà. Dans les faits, en moyenne, les grandes sociétés peinent à excéder une durée de vie de plus de 60 ans. Au cours des dernières années, Kodak, Polaroid, GE, GM, Nortel et RIM/BlackBerry sont quelques-unes des entreprises qui se sont élevées comme Icare, avant de s'écraser. Peut-être ont-elles trop extrapolé le présent, au lieu de se concentrer sur le futur et sur le fait qu'elles devaient évoluer pour survivre? En fait, la citation de Walter Gretzky a été désignée comme le cliché le plus surutilisé dans le monde des affaires dans un article paru en 2014 dans le magazine Maclean1. Dans cet article, on mentionnait que John Roth (ancien président-directeur général de Nortel) avait lui-même utilisé cette citation, ce qui a suscité la remarque suivante de la part de l'auteur : « Non seulement Nortel n'a-t-elle pas vu où se trouvait la rondelle ni même où elle se dirigeait, mais elle n’a pas vu que la rondelle était coincée à la maison, attendant que quelqu'un offre de la conduire à l'aréna. »

Je ne connais pas la durée de vie moyenne des organisations sans but lucratif, mais leurs dilemmes sont probablement comparables. Est-ce que l'accent doit être mis sur les améliorations graduelles des activités courantes, ou sur des modifications plus radicales en préparation des futurs changements de paradigmes inévitables et plutôt imprévisibles?

Dans le cas particulier de la SCR, nous avons la chance de pouvoir compter sur des présidents, des équipes de la haute direction, des conseils et des directeurs généraux visionnaires. Des « paris » avisés, comme séparer notre rencontre annuelle de celle du Collège royal dans les années 1990 ou, plus récemment, l'achat du Journal of Rheumatology, ont cimenté l’avenir de notre organisation à une époque où le financement est parfois plus limité et où les canaux numériques sont de plus en plus importants.

La majeure partie de l'argent se trouve maintenant dans le nuage numérique, et non dans les coffres des banques. Willie Sutton ne pourrait s'adapter à ce nouveau paradigme, mais une nouvelle génération de voleurs numériques a assurément su en tirer profit. C'est peut-être pourquoi l'autobiographie de Sutton était intitulée Where the Money Was (Où se trouvait l'argent). Dans cet ouvrage, il nie être à l'origine de la citation ayant donné naissance à la loi de Sutton. D'ici 2020, le président de la SCR sera probablement un autre Sutton (n'ayant, à ma connaissance, aucun lien de parenté avec l'autre). Mon conseil serait de se tourner vers Walter et Wayne Gretzky pour obtenir des conseils, et non vers Willie Sutton.

Références :

1. Jason Kirby. Disponible au www.macleans.ca/economy/business/why-business-people-wont-stop-using-that-gretzky-quote/. Consulté le 10 février 2019.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR,
Scarborough (Ontario)

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