Été 2019 (Volume 29, numéro 2)
Biomarqueurs : une arme
à deux tranchants
Par Gilles Boire, conférencier Dunlop-Dottridge
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Ce fut un honneur de faire une présentation dans le cadre de
la Conférence Dunlop-Dottridge de 2019, à Montréal. Je suis
rhumatologue pour adultes dans un hôpital universitaire (je
traite également des enfants atteints de maladies rhumatismales)
et chercheur à Sherbrooke (Québec). Mes mentors, André
Lussier et Henri H. Ménard, à Sherbrooke, ainsi que Joe Craft et
John Hardin, à l’Université Yale, m’ont fait connaître la rhumatologie
scientifique. Mes recherches ont évolué, passant de travaux
fondamentaux sur le système autoantigène/anticorps à la recherche
translationnelle sur les biomarqueurs pronostiques en
présence d’une polyarthrite inflammatoire d’apparition récente.
L’ABC des biomarqueurs Les biomarqueurs sont des variables qui peuvent être mesurées
objectivement à partir de liquides (comme le sang ou l’urine),
de cellules, de tissus, d’images ou même d’une montre intelligente.
Ils sont utilisés à des fins diagnostiques, pronostiques
ou pathogéniques ou pour assurer la surveillance de l’activité
d’une maladie, de la réponse à un traitement ou de la toxicité.
Les variables qui décrivent les sentiments, le bien-être ou
l’état fonctionnel d’un patient ne sont PAS des biomarqueurs.
Un biomarqueur peut être constitué d’une variable unique ou
résumer plusieurs variables (on parlera alors de biomarqueurs
composites). Le biomarqueur idéal oriente la prise en charge
clinique et est sûr, facile à mesurer, sensible, précis, reproductible,
uniforme entre les sexes et les groupes ethniques et rentable.
Les biomarqueurs sont souvent mis en corrélation (p. ex.
protéine C-réactive [PCR] et vitesse de sédimentation [VS]) et
les renseignements qu’ils génèrent peuvent être redondants.
Biomarqueurs actuels Des problèmes surviennent lorsqu’on donne préséance à la présence
ou l’absence d’un biomarqueur plutôt qu’aux caractéristiques
cliniques. Des personnes saines peuvent être déclarées à
risque de présenter une maladie, générant ainsi une anxiété et un
préjudice potentiels. À l’inverse, l’absence de biomarqueurs peut
retarder le diagnostic exact. Certains biomarqueurs pointent
dans la mauvaise direction. Il est donc essentiel d’examiner attentivement
toutes les observations cliniques au moment de demander
des analyses de biomarqueurs et d’en interpréter les résultats,
comme le suggère la campagne Choisir avec soin.
Des changements non reliés dans la pratique peuvent
modifier l’évolution de la maladie et la pertinence de certains
biomarqueurs; de même, un biomarqueur largement utilisé peut
entraîner des changements dans les soins susceptibles d’atténuer
ses répercussions initiales. Finalement, les biomarqueurs ne
représentent pas l’ensemble des patients réels : rappelez-vous
l’importance des variables dérivées des patients.
Biomarqueurs
computationnels de
prochaine génération Les biomarqueurs computationnels
sont issus des données extrêmement riches générées
par des technologies moléculaires de plus en plus efficaces,
comme le séquençage de l’ADN à très haut rendement, l’expression
génétique de cellules uniques et les études sur le microbiome
et l’épigénétique. Pour donner un sens à un volume de
données aussi important (mégadonnées), il faut recourir à des
méthodes et techniques statistiques qui vont bien au-delà de la
compréhension du clinicien type. Le recours à de multiples paramètres
soulève la possibilité de corrélations cachées (p. ex. microbiote
et génétique de l’hôte), ce qui complique leur utilisation en
association avec les biomarqueurs actuels ou les biomarqueurs
de prochaine génération (multiomique), les paramètres cliniques
et les résultats liés aux patients.
Ma présentation visait à décrire dans quelle mesure les biomarqueurs
axés sur la technologie diffèrent des biomarqueurs
simples utilisés actuellement et comment leur évaluation devrait
être similaire.
La principale différence est que les biomarqueurs computationnels
peuvent fournir plus de renseignements que les outils
d’évaluation clinique peu sophistiqués, ce qui mène à une meilleure
compréhension de l’interaction complexe des gènes et de
l’environnement à l’origine du dérèglement associé à la maladie
sous-jacente. Ils aident à répartir les patients dans des groupes
plus restreints et plus homogènes, ouvrant la voie à une médecine
personnalisée adaptée aux personnes plutôt qu’aux groupes,
rendant ainsi la prévention et la guérison plus accessibles.
La similitude est qu’une évaluation incomplète des biomarqueurs
computationnels peut faire plus de mal que de bien.
Les leçons tirées du passé nous révèlent que les biomarqueurs
sont sujets à la manipulation, ce qui peut mener à des résultats
défavorables malgré une augmentation des coûts. Nous devrons
évaluer les utilisations proposées des biomarqueurs candidats
de prochaine génération dans des cohortes bien caractérisées et
suivies pendant une longue période pour nous assurer qu’ils sont
appropriés et permettent d’obtenir des résultats supérieurs.
On peut dire avec certitude que la prochaine génération de biomarqueurs fondés sur les mégadonnées laisse présager une ère
nouvelle et excitante, mais aussi controversée, en rhumatologie.
Gilles Boire, M.D., M.Sc., FRCPC
Rhumatologue, Départment de médecine, Faculté de médecine et
des sciences de la santé, Université de Sherbrooke
CIUSSS de l'Estrie-CHUS
Sherbrooke (Québec)
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