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Automne 2019 (Volume 29, numéro 3)

À propos de la pertinence

Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

« Un bon chirurgien ne se concentre pas seulement sur ses compétences techniques, mais aussi sur la pertinence de ce qu’il fait. »
[Traduction] – Benjamin Carson

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Un soir, en accédant à mon DME depuis la maison, j’aperçois un nouvel aiguillage dans la boîte de réception électronique du télécopieur. « Veuillez voir ce patient qui présente un test AAN positif, des douleurs articulaires et une éruption cutanée. » Eh bien, il pourrait s’agir d’un lupus érythémateux disséminé (LED) chez une jeune femme, mais cette fois-ci le patient est un homme de 68 ans avec une longue histoire d'eczéma, des radiographies des mains et des genoux montrant une arthrose typique et un test AAN de 1/160 homogène avec valeurs négatives aux tests FR, C4, CH50 et Ac anti-ADNdb, qui ont également été effectués. Ce n'est pas une situation rare, qui pourrait se prêter à une consultation en ligne, le cas échéant, accompagnée du renvoi de l'outil sur l'arthrose du Centre for Effective Practice (www.cfpc.ca/uploadedFiles/CPD/OATOOL_FINAL_Sept14_FRE.pdf) et d'autres recommandations concernant la prise en charge.

En discutant avec d’autres rhumatologues autour d’un dîner ou lors de conférences, on constate que nous recevons tous ces types d’aiguillages. Bien que la campagne Choisir avec soin ait largement signalé le caractère inapproprié de nombreux tests sérologiques en rhumatologie, il semble que nous n’ayons pas beaucoup d’impact sur le terrain. Pourquoi? Il existe une littérature abondante sur la faible sensibilité et la faible spécificité des tests FR et AAN1,2. Le recours excessif à des tests et le surdiagnostic ont été soulignés lors d’une séance plénière de l’EULAR 2019, où l’on a mis notamment en évidence le test AAN (affiche OP0020). Je remarque que les laboratoires médicaux promeuvent auprès des patients certains tests pour lesquels ceux-ci doivent payer de leur poche, notamment le test JOINTSTAT pour la polyarthrite rhumatoïde (PR), mais aucun ne fait la promotion des tests FR et AAN auprès des patients ou des médecins. Aucun rhumatologue universitaire que j’ai pu rencontrer dit que ses cours destinés aux étudiants en médecine ou aux résidents en médecine familiale préconisent des tests FR ou AAN pour tous les patients souffrant de douleurs articulaires ou comme préalable nécessaire à un aiguillage en rhumatologie. Aucun guide de pratique clinique ne suggère ce comportement. Bien que certains hôpitaux puissent autoriser la demande d’une « série d’examens de laboratoire en rhumatologie », les tests doivent être demandés individuellement dans le cadre de la pratique ambulatoire. En Ontario, la demande standard de laboratoire ne mentionne aucun de ces tests sur le formulaire pré-imprimé. Ils doivent être demandés individuellement et ajoutés manuellement au formulaire. En dépit de cette méthode éprouvée d’économie comportementale conçue pour réduire le nombre d'ordonnances de tests, le déferlement de demandes de FR, AAN, HLA-B27, anti-CCP, anti-ENA et de composants du complément persiste, comme le montrent des études canadiennes3,4.

Que peut-on faire pour réduire la persistance de ce comportement appris indésirable? La cohorte de médecins de première ligne qui ont commencé à pratiquer avant la campagne Choisir avec soin est-elle une cause perdue? On espère que non. Au plan individuel, j’ai présenté un exposé sur les tests de laboratoire en rhumatologie à de nombreuses reprises devant de vastes auditoires lors de diverses conférences portant sur les soins primaires. C’est un exposé apprécié, mais est-ce que je parviens à changer les comportements? Difficile à savoir. Lors d’une conférence portant sur une région sanitaire précise près de Toronto, j’ai pu trouver une liste de tous les rhumatologues de la région et de leurs exigences en matière de demandes d’aiguillage. Il est rassurant de constater qu’aucun d’entre eux n’a exigé l’un ou l’autre des tests trop demandés comme condition préalable à l’examen d’un patient. (www.mississaugahaltonhealthline.ca/listServices.aspx?id=10981). Le formulaire d’aiguillage CART sur le site rheuminfo.com est aussi centré principalement sur des éléments de l’historique et de l’examen physique (https://rheuminfo.com/docs/physician-tools/Canadian-Arthritis-Referral-Tool-CART.pdf). Les test FR, AAN, ESR et CRP y sont mentionnés, mais ne sont pas obligatoires.

Si la carotte n’est pas efficace, peut-être que le bâton le sera. Après six ans sans contrat et avec des réductions progressives des honoraires, les médecins de l’Ontario, y compris les rhumatologues, ont conclu une entente arbitrée avec le ministère de la Santé de l’Ontario au début de 2019. Dans le cadre de l’entente, un groupe de travail sur la pertinence a été mis sur pied pour réaliser des économies de 460 millions de dollars au cours des prochaines années en resserrant la définition des codes de frais ou en radiant certains services. La Dre Julie Kovacs et moi-même avons soumis des propositions dans le domaine de la rhumatologie, et la question des tests de laboratoire inappropriés est un élément important de ces propositions. Les coûts encourus ne sont pas seulement les quelques dollars pour chaque test, mais aussi les conséquences en aval liées à l'anxiété du patient face à des tests positifs et à la génération d'aiguillages inappropriés et coûteux, qui nuisent également à l'accessibilité des consultations en rhumatologie des patients qui ont le plus besoin de nous. Aucune décision n’a été prise à ce jour, mais nous gardons espoir.

Comme on dit, à chacun son heure de gloire. En dépit de ce que je pense au sujet de tests AAN inappropriés, j’étais intéressé à trouver une affiche au congrès 2019 de l'EULAR montrant qu’un test AAN négatif, que je n’aurais peut-être jamais demandé moi-même pour un patient atteint de PR, pourrait être utile. L’étude a révélé que les patients atteints de PR qui présentaient un taux d’AAN de base négatif au départ n’ont jamais développé d’anticorps neutralisants anti-médicaments lorsqu’ils étaient traités avec l’infliximab ou l’adalimumab (affiche SAT0155). Comme je n’ai pas accès aux tests de dépistage des anticorps neutralisants anti-médicaments, le test AAN négatif ordonné par quelqu'un d'autre avant de me diriger un patient atteint de PR peut en réalité être utile si ce patient connaît un échec secondaire à un traitement par l'un de ces deux anti-TNF.

Pendant ce temps, en revenant au bureau, il y a un nouvel aiguillage : « Un homme de 53 ans avec un historique de nombreuses lésions professionnelles et des douleurs chroniques présente une VS légèrement élevée à 28, un FR légèrement positif à 15 UI et un test AAN positif à une dilution de 1/40 de type homogène. Veuillez évaluer les causes rhumatologiques de la douleur. » J’y suis habitué, mais j’espère que les rhumatologues de l’avenir seront épargnés par ce type de demande de consultation si nos efforts d’éducation portent fruit.

Références:

1. Abeles AM, Abeles M. The clinical utility of a positive antinuclear antibody test result. Am J Med 2013; 126(4):342-8.

2. Miller A, Mahtani KR, Waterfield MA, et coll. Is rheumatoid factor useful in primary care? A retrospective cross-sectional study. Clin Rheumatol 2013; 32(7):1089-93.

3. Ferrari R. Evaluation of the Canadian Rheumatology Association Choosing Wisely recommendation concerning anti-nuclear antibody (ANA) testing. Clin Rheumatol 2015; 34(9):1551-6.

4. Man A, Shojania K, Phoon C, et coll. An evaluation of autoimmune antibody testing patterns in Canadian health region and an evaluation of a laboratory algorithm aimed at reducing unnecessary testing. Clin Rheumatol 2013; 32:60.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef du JSCR,
Scarborough (Ontario)

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