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Hiver (Volume 28, numéro 4)

Six points que les rhumatologues devraient connaître (et ignorent peut-être) au sujet de la grossesse et des maladies rhumatismales

Par Neda Amiri, M.D., FRCPC *, MHSc, Maeve Gamble, M.D., FRCPC, Elizabeth Hazel, MDCM, FRCP(C), Shahin Jamal, M.D., FRCPC, M. Sc., Stephanie Keeling, M.D., M. Sc., FRCPC, Dianne Mosher, M.D., FRCPC, Viktoria Pavlova, M.D., FRCPC *, Sarah Troster, M.D., FRCPC * et Ola Wierzbicki, M.D., FRCPC

* Membre du Canadian Pregnancy in Rheumatic Diseases Consortium

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La 10e International Conference on Reproduction, Pregnancy and Rheumatic Diseases a été tenue à Berne, en Suisse, du 27 au 29 septembre 2018, un événement auquel ont assisté plusieurs rhumatologues canadiens. Évidemment, Carl Laskin, qui a inspiré un si grand nombre d’entre nous, nous a tous manqué. Voici les principaux points dont il a été question :

1. Contraception
Il est bien connu qu’une faible activité de la maladie avant la conception se traduit par de meilleures issues de grossesse, à la fois pour la mère et le bébé. Malheureusement, de 40 à 50 % des grossesses ne sont pas planifiées. Compte tenu de la pénurie de soins de santé primaires au Canada, il revient souvent aux rhumatologues de discuter de la contraception. Le Consensus canadien sur la contraception1 est une ressource complète et à jour ayant pour but d’aider à orienter la discussion avec les patientes, particulièrement celles n’ayant pas accès aux soins primaires.

2. Fertilité
L’hypofertilité est signalée chez jusqu’à 48 % des femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde (PR); dans 28 % des cas, l’hypofertilité est attribuable à l’anovulation, alors que, dans 48 % des cas, la cause est inexplicable. L’âge maternel avancé, l’usage de médicaments (comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]) qui inhibent l’ovulation et une mauvaise qualité de vie liée à la santé comptent parmi les facteurs responsables de l’hypofertilité. Le traitement de l’infertilité est une option sûre pour les femmes atteintes d’une maladie du tissu conjonctif.

3. Counseling préalable à la grossesse
Une question importante que nous devrions poser régulièrement à toutes les femmes en âge de procréer est la suivante : « Souhaitez-vous devenir enceinte au cours de la prochaine année? » Pour nos patientes, la préparation à la grossesse est une étape importante qui commence souvent plusieurs mois avant la conception. En premier lieu, procédez à une évaluation réaliste des risques, recommandez de cesser l’usage de médicaments dangereux, prescrivez des médicaments appropriés pendant la grossesse avant la conception et rassurez la patiente. Une évaluation des risques devrait porter sur les complications survenues lors des grossesses précédentes (prééclampsie), les lésions aux organes, une activité de la maladie actuelle ou récente, l’état sérologique (anticorps anticoagulant lupique, anti-cardiolipine, anti-bêta 2 glycoprotéine 1, anti-Ro et anti-La), l’exposition aux médicaments foetotoxiques, le tabagisme et tout trouble médical chronique.

4. Médicaments appropriés pendant la grossesse
Par « traitement sans danger pendant la grossesse », on entend tout traitement pour lequel il y a « absence de preuve de risque » et qui est considéré comme étant l’option la plus sûre parmi les médicaments possibles et par rapport au risque associé au fait de ne pas traiter la maladie. Reportez-vous au document sur l’usage de médicaments contre le rhumatisme avant et pendant la grossesse et pendant l’allaitement du groupe de travail EULAR2, les lignes directrices de la British Society for Rheumatology33 ainsi que la brochure sur la grossesse et l’allaitement de RheumInfo4. La prise de prednisone à tout moment de la grossesse est un facteur de risque indépendant de naissance prématurée. Des doses plus fortes sont associées à une grossesse plus courte. L’usage de médicaments pendant l’allaitement a fait l’objet de peu d’études. LactMed5, une base de données des National Institutes of Health (NIH), mise à jour mensuellement, contient des données sur les concentrations de médicaments dans le lait et chez le nourrisson et sur les éventuels effets indésirables pour le nourrisson.

5. Surveillance périnatale
Une maladie du tissu conjonctif active peut être associée à des anomalies de la placentation, lesquelles peuvent causer une insuffisance placentaire, une prééclampsie, un retard de croissance intra-utérine et le syndrome HELLP. La surveillance pendant la grossesse peut porter sur les aspects suivants :

  1. Dosage des anticorps anti-Ro et anti-La. Le risque de bloc cardiaque congénital (BCC) est de 1 à 2 % pour l’ensemble des femmes et de 10 à 20 % chez les patientes ayant des antécédents de BCC. Ce risque survient entre la 18e et la 24e semaine de grossesse et peut être surveillé par échocardiographie fœtale. L’hydroxychloroquine (HCQ) réduit ce risque de 50 %. En cas de BCC, le seul traitement reconnu est la pose d’un stimulateur cardiaque
  2. Examen ultrasonographique à effet doppler pour détecter un retard de croissance fœtale
  3. Nouveaux marqueurs de prééclampsie → (facteur de croissance placentaire) et rapport sFlt1 (tyrosine kinase 1 soluble analogue au fms)/PlGF.

6. Issue de grossesse en présence de diverses maladies rhumatismales

  1. Arthrite inflammatoire (AI) : L’issue de la grossesse est généralement positive chez les patientes atteintes d’AI stable. Chez les patientes atteintes de polyarthrite rhumatoïde, le risque de poussée de la maladie est de 29 % et augmente au cours du troisième trimestre et de la période postpartum. Chez les patientes atteintes de spondylarthrite, le risque de poussée de la maladie est accru au cours du deuxième trimestre, alors que, chez les patientes atteintes d’arthrite juvénile idiopathique (AJI), le risque de poussée survient habituellement au cours des premiers mois de la période postpartum. Le risque de poussée de la maladie est plus élevé lorsque la maladie est active au moment de la conception et en cas d’arrêt de l’usage d’inhibiteurs du TNF.
  2. Lupus érythémateux disséminé (LED). Le LED survenant en cours de grossesse ressemble au LED survenant avant une grossesse : Chez les femmes qui souhaitent devenir enceintes, vous souhaiterez observer une néphropathie lupique quiescente, un état stable depuis 6 mois, une protéinurie < 1 gramme/jour et l’absence de sédiments urinaires actifs. Le risque de poussée lupique est faible (< 3 %) si la maladie est inactive ou active et stable au moment de la conception, et ce risque est réduit de moitié avec l’emploi de l’HCQ qui doit se poursuivre tout au long de la grossesse. Parmi les ressources utiles, mentionnons RheumInfo4 et le Healthy Outcomes in Pregnancy Hop-Step Program5.
  3. Syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) obstétrical : Le SAPL obstétrical est caractérisé par des anomalies de placentation (et non par un infarctus placentaire, comme on le croyait dans le passé). La bêta 2-glycoprotéine (β2GPI) joue un rôle crucial dans la physiopathologie du SAPL obstérical et peut être utilisée comme moyen de dépistage. On a aussi rapporté des cas de résultat négatif pour la recherche des anticorps antiphospholipides chez des patientes atteintes du SAPL obstétrical. Le livre Management of Maternal Antiphospholipid Syndrome7, qui paraîtra sous peu, présente des options thérapeutiques en fonction des particularités cliniques. Il est recommandé d’assurer le suivi de la mère, puisque 20 à 60 % des femmes atteintes du SAPL obstétrical présenteront un jour une thrombose (SAPL vasculaire).
  4. Sclérodermie généralisée (SG) : La grossesse a peu d’effets sur l’activité de la maladie chez les patientes atteintes de SG. La SG est toutefois associée à un risque accru de complications maternelles (hypertension gravidique, prééclampsie) et foetales (avortement spontané, mortinaissance, retard de croissance intra-utérine et naissance prématurée). Une hypertension artérielle pulmonaire grave (> 25 mm Hg) est une contre-indication absolue.
  5. Artérite de Takayasu (AT) : L’AT est associée à un risque plus élevé d’hypertension gravidique et de prééclampsie. Les patientes présentant une valvulopathie aortique grave, un anévrisme aortique ou une dissection aortique sont exposées à un risque accru de morbidité et de mortalité et devraient être avisées d’éviter la grossesse.
  6. Maladie de Behçet : Chez les patientes atteintes de la maladie de Behçet, le risque de complications maternelles, obstétricales ou foetales ne semble pas accru durant la grossesse. (Consultez les recommandations de l’EULAR relativement à la maladie de Behcet mises à jour en 20188.)

Le Canadian Pregnancy and Rheumatic Diseases Consortium* est une base de données nationale regroupant les données de l’étude d’observation prospective menée dans de nombreux centres universitaires du Canada auprès de patientes enceintes atteintes d’une maladie rhumatismale.

Sarah Troster, Edmonton (Alberta), *Neda Amiri, Vancouver (C.-B.), Dianne Mosher, Calgary (Alberta), *Viktoria Pavlova, Hamilton (Ont.), Ola Wierzbicki, Hamilton (Ont.), Elizabeth Hazel, Montréal (Qc), Shahin Jamal, Vancouver (C.-B.), Stéphanie Keeling, Edmonton (Alb.), Maeve Gamble, London (Ont.).

Remerciements : Les auteures tiennent à remercier Treena Jeffray et UCB Canada Inc. pour leur soutien financier ayant permis de participer à la réunion et d’établir une collaboration scientifique.

Neda Amiri, M.D., FRCPC, MHSc, Maeve Gamble, M.D., FRCPC,
Elizabeth Hazel, MDCM, FRCP(C), Shahin Jamal, M.D., FRCPC,
M. Sc., Stephanie Keeling, M.D., M. Sc., FRCPC,
Dianne Mosher, M.D., FRCPC, Viktoria Pavlova, M.D., FRCPC,
Sarah Troster, M.D., FRCPC et Ola Wierzbicki, M.D., FRCPC

Références :

1. Consensus canadien sur la contraception. Accessible à l’adresse https://sogc.org/clinical_practice_guidelines_eng/index.html (en anglais seulement). Consulté en novembre 2018.

2. Skorpen CG et coll. The EULAR Points to consider for use of antirheumatic drugs before pregnancy, and during pregnancy and lactation. Annals of the Rheumatic Diseases 2016; 75:795.

3. Flint J. et coll. BSR and BHPR guideline on prescribing drugs in pregnancy and breastfeeding – Part I: standard and biologic disease modifying anti-rheumatic drugs and corticosteroids. Rheumatology 2016; 55:1693.

4. RheumInfo, Brochures à l’intention des patients. Accessible à l’adresse https://rheuminfo.com/fr/vivre-avec-larthrite/. Consulté en novembre 2018.

5. LactMed. Accessible à l’adresse https://www.toxnet.nlm.nih.gov/newtoxnet/lactmed.htm. Consulté en novembre 2018.

6. Hop-Step Program. Accessible à l’adresse hopstep.flywheelsites.com (http://lupuspregnancy.org/). Consulté en novembre 2018.

7. Fernandes et coll. Management of Maternal Antiphospholipid Syndrome 2018. Sous presse.

8. Hatemi G. et coll. 2018 update of the EULAR recommendations for the management of Behçet’s syndrome. Ann Rheum Dis 2018; 77:808.



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