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Été (Volume 28, numéro 2)

La légende du rhumatologue charmeur de serpent

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Par Raman Joshi, M.D., FRCPC

Il y a très longtemps, au tournant de notre millénaire, vivait un serpent nommé Sammy. Ce n’était pas un de ces terribles reptiles dont la morsure ou l’étreinte réservent aux humains une mort douloureuse. C’était une couleuvre et, dans le genre couleuvre, il était plutôt sympathique. Depuis peu, toutefois, Sammy ne se sentait pas bien du tout. Des taches rouges étaient apparues sur tout son corps, puis ses yeux étaient devenus rouges et si douloureux qu’il avait du mal à les garder ouverts. La douleur gagna ensuite son dos.

Cela est particulièrement problématique chez les serpents, puisque le dos constitue pratiquement tout leur corps. Notre pauvre Sammy avait bien du mal à se mouvoir pour attraper les souris, les musaraignes et les insectes qui constituaient sa pitance. Il dormait mal, réveillé maintes fois pendant la nuit par un mal de dos qui touchait toute la longueur de son corps. Et le matin, moment le plus propice à la chasse aux souris et aux musaraignes, il était si raide et si endolori qu’il était incapable de les attraper!

Affamé et terriblement seul, Sammy commença à désespérer. La dernière fois qu’il s’était senti aussi triste, il s’était enroulé sur lui-même pour dormir et s’était réveillé tout revigoré le lendemain. Mais là, impossible de s’enrouler, car il était raide comme un bâton!

Même l’idée d’aller rendre visite à Doussce Sssinthia ne parvenait pas à lui remonter le moral. Une dizaine de jours avant que ses problèmes se manifestent, il s’était rendu chez elle à l’occasion d’une soirée pyjama. Elle pourrait peut-être le réconforter, mais il ne se voyait pas du tout ramper péniblement jusqu’à l’autre bout de la ville pour la rejoindre.

Sammy, le serpent.

Alors, Sammy se glissa dans une grosse boîte qu’il avait trouvée, pensant qu’il y serait au chaud et au sec pour la nuit. Cette boîte, toutefois, n’était pas une boîte ordinaire. Elle abritait un téléviseur à écran plat. Le lendemain matin, Sammy se trouva ballotté et secoué dans sa nouvelle demeure. Meurtri et plein de bleus, il regarda par un trou de la boîte et découvrit qu’il se trouvait dans le cabinet d’un groupe de rhumatologues, les médecins les plus gentils et les plus sages de tout le corps médical! Ils avaient acheté le téléviseur géant pour visionner des vidéos (pendant leur temps libre) afin d’apprendre à mieux administrer des injections dans toutes sortes d’articulations aussi bizarres qu’obscures. Sammy s’écarta juste à temps du bord de la boîte, au moment même où la lame d’un couteau pénétrait le carton pour le découper, et se retrouva projeté au milieu de la salle.

« Qu’est-ce que ce bâton? », dit l’une des secrétaires du cabinet en s’avançant vers lui.

« Oh, non! Un serpent! », s’écria sa collègue en bondissant sur une chaise.

Sammy, raide comme un bâton, gisait au sol, impuissant, sortant sa langue de temps en temps.

En l’espace de quelques secondes, les six secrétaires se retrouvèrent perchées sur les chaises de la salle d’attente, poussant des cris d'effroi.

« Hé! On pourrait le couper en morceaux et le faire frire pour le dîner », finit par suggérer l’une d’entre elles. Après tout, c’était l’heure du dîner pour les humains.

« Je ne veux pas manger de serpent! », objecta une de ses collègues, un sentiment approuvé d’un hochement de tête par ses consoeurs.

« Que se passe-t-il ici? », demanda une rhumatologue qui entrait dans la pièce, étonnée par tant d’agitation. Surprise à la vue des secrétaires debout sur leur chaise, elle suivit leur regard jusqu’au milieu de la pièce où gisait Sammy.

« Un serpent! Comment est-il arrivé ici? »

« Il était dans la boîte d’emballage du nouveau téléviseur! »

« Il est blessé! », dit la rhumatologue en faisant un pas vers lui avec précaution. Elle se pencha en avant et le saisit derrière la tête comme l’avait fait le charmeur de serpent qu’elle avait vu lorsqu’elle était enfant.

« Il est raide comme un bâton! », dit-elle.

Déjà, tous les rhumatologues du cabinet étaient rassemblés autour de Sammy.

« C’est une couleuvre. »

« Je n’ai jamais vu de serpent aussi maigre. »

« Il doit être affamé. »

« Que va-t-on en faire? »

Ils se regardèrent tous, bien conscients qu’étant rhumatologues, ils n’avaient pas les moyens de l’emmener chez un vétérinaire généraliste et encore moins chez un vétérinaire spécialisé dans les reptiles. Mais, en tant que sages parmi les sages, et forts d’une grande expérience dans la prise en charge du mal de dos, ils savaient qu’ils trouveraient une solution.

« Il faudrait commencer par lui trouver quelque chose à manger. Au fait, qu’est-ce qu’ils mangent, les serpents? »

« Ce sont des carnivores, ils se nourrissent de rats, de sauterelles, de musaraignes », dit l’un d’eux.

« Il n’y a rien de tout ça ici. »

« Hé! On peut peut-être trouver quelque chose parmi les restes du dîner d’hier », dit l’un des rhumatologues en se précipitant vers le réfrigérateur de la cuisine.

Sammy sentit l’odeur du poulet avant même que l’homme revienne. Ce rhumatologue, pensa-t-il, n'est pas comme les autres. Non seulement c’était le seul rhumatologue homme du groupe, mais il était terriblement gentil, d’un charme bien humain, que seul Sammy, en tant que serpent, pouvait détecter.

« C’est un reste de poulet du dîner d’hier, dit l’homme. Je l’ai fait réchauffer et je l’ai coupé en petits morceaux pour lui. » C’est empreint de gratitude que Sammy engloutit le poulet. À compter de ce jour, bien que tous végétariens, les médecins se donnèrent la peine d’ajouter un morceau de viande à leur menu dans l'intention de l'offrir à leur nouveau compagnon. Ils décidèrent de garder Sammy dans une boîte qu’ils placèrent dans la réserve, à l’abri du regard des patients pour ne pas les effrayer. En faisant appel à des techniques et à des traitements utilisés depuis des millénaires en rhumatologie, ils permirent à Sammy de retrouver lentement ses forces et son énergie. Malgré tout, le reptile restait raide comme un bâton et commençait à penser que tel était désormais son destin.

Rappelons toutefois qu’un nouveau millénaire avait vu le jour. Et le rhumatologue qui lui avait donné du poulet le premier jour avait une idée. Durant ce nouveau millénaire doré, de nouvelles molécules avaient été découvertes. Des molécules extraordinaires qui pouvaient aider les humains affligés de problèmes semblables à ceux de Sammy. Et si ces molécules pouvaient aider les humains, elles pourraient peut-être aussi aider Sammy. Le rhumatologue se procura quelques-unes de ces molécules, plaça délicatement Sammy sur une balance et calcula combien de médicament il devait lui donner. Selon une technique aseptique, il divisa la dose mensuelle normalement prise par un humain en des doses qui permettraient de traiter Sammy pendant deux ans et lui administra la première injection (étude de phase I, premier essai sur reptile, N = 1).

Quelques semaines plus tard, Sammy se sentait beaucoup mieux et avait retrouvé sa souplesse d’antan. Tout le monde était ravi! Même la secrétaire qui voulait en faire de la friture!

Durant les mois d’hiver, Sammy continua de gagner en agilité et en rapidité. Lorsque la neige fit place aux journées plus chaudes et plus longues du printemps et que les signes radiologiques de Sammy se furent normalisés, les rhumatologues décidèrent que le temps était venu de le remettre en liberté. Avec un sentiment doux-amer, ils regardèrent Sammy traverser le parc de stationnement et se faufiler dans l’herbe jusqu’à l’école voisine. D’ordinaire, l’apparition d’un serpent dans une école aurait semé la terreur et déclenché des larmes parmi les petits enfants. Mais notre histoire a une fin heureuse, et la présence de Sammy dans l’école fit la joie et le bonheur des écoliers. La gentille couleuvre vécut de longues années dans son terrain de jeu.

Quant aux rhumatologues, ils tirèrent une grande joie de la présence de Sammy parmi eux, une joie qui dura longtemps après son départ. Peu après la remise en liberté de leur compagnon, les médecins décidèrent de changer l’emblème de leur cabinet. L’un d’eux proposa le dessin d’un genou détérioré par des années de durs labeurs. Un autre proposa l'image d’une colonne vertébrale fusionnée comme une tige de bambou. D’autres proposèrent l’image d’une seringue. La meilleure des idées avancées, celle qui plut à tous et que personne n’allait oublier, vint de l’homme rhumatologue. Las de raconter l’histoire de Sammy, il décida de l’illustrer.

En un clin d’oeil, les gens comprendraient que Sammy, avec sa colonne vertébrale fusionnée, avait grâce à leurs soins complètement recouvré la santé. Comme par hasard, l’emblème retenu était également le symbole de l’art de guérir chez les anciens.

Le nouveau symbole des rhumatologues devint si célèbre qu’il attira l’attention de nombreuses entreprises pharmaceutiques. L’une d’elles finit par acquérir les droits de reproduction du dessin ci-dessus auprès des rhumatologues. Ceux-ci conservèrent l’argent de la transaction au sein de leurs associations professionnelles médicales, où il continua de fructifier pour leur permettre de bénéficier d’une retraite avantageuse à un âge précoce, plus tôt même que les cardiologues, et de scolariser leurs enfants dans des établissements prestigieux. Rien de surprenant peut-être, si on en juge par le symbole qu’ils avaient créé : Et qui ressemble étrangement à un autre symbole... $.

En fin de compte, même si un grand nombre des patients des rhumatologues ne souffraient pas autant que Sammy et bien que beaucoup n’ont pas récupéré aussi bien que le sympathique reptile, les traitements se sont avérés bénéfiques pour de nombreux patients. Au-delà de toute autre connaissance et de tout gain financier, les gentils rhumatologues tirèrent de cette expérience une joie et une satisfaction immenses que peu ont eu le privilège d’éprouver.

Raman Joshi, M.D., FRCPC
Rhumatologue, Brampton (Ontario)

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