Été (Volume 28, numéro 2)
L'aide médicale à mourir
en rhumatologie
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
« Sans la santé, la vie n’est pas la vie. Elle ne se résume qu’à un
état de langueur et de souffrance, une image de la mort, en
somme. » - Bouddha
« Les gens ont peur de la mort plus encore que de la
souffrance. C’est étrange qu’ils craignent la mort. La vie
fait beaucoup plus mal que la mort. Lorsque l’on meurt, la
douleur est terminée. Oui, je suppose que la mort est comme
une amie. » - Jim Morrison
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Comme je l’ai évoqué dans notre dernier numéro,
l’applicabilité de l'aide médicale à mourir au domaine
de la rhumatologie peut surprendre nombre
de nos collègues. Si j’ai suivi le débat sur l’euthanasie et
l’aide médicale à mourir, de l’affaire Sue Rodriguez dans les
années 1990 au plaidoyer du Dr Donald Low et de sa femme
Maureen Taylor plus récemment, en 2013, je n'ai toutefois
jamais vraiment associé notre spécialité à cette question.
Mon épouse, qui a travaillé en soins palliatifs pendant plusieurs
dizaines d'années, était certainement beaucoup plus
concernée, selon moi. Une chose est sûre : personne n'aurait
l’idée de s’adresser à un rhumatologue pour solliciter
l'aide médicale à mourir.
Avec l’adoption de la loi C-14, en juin 2016, à la suite
de l’arrêt unanime de la Cour suprême du Canada dans
l’affaire Carter, l’aide médicale à mourir est désormais une
réalité au Canada, comptant pour près de 0,9 % de tous les
décès et ayant été administrée à plus de 2 000 personnes
au total au cours de la première année suivant sa légalisation1.
Ce sont le cancer, les troubles neurodégénératifs
et l’insuffisance circulatoire ou respiratoire qui motivent le
plus de demandes. La question de l’aide médicale à mourir
pour les mineurs matures, pour les personnes atteintes de
maladies psychiatriques et pour celles qui souhaitent en
bénéficier dans le cadre d’une directive médicale anticipée,
par crainte de la démence ou d’une autre incapacité, fait
toujours l'objet d'une controverse.
La loi actuellement en vigueur exige que les patients
adultes répondent aux quatre critères suivants :
- Être atteint d’un handicap ou d'une maladie grave
et incurable;
- Se trouver dans un état avancé de déclin irréversible;
- Endurer une douleur insupportable;
- Être condamné à une mort naturelle « raisonnablement
prévisible ».
En 2017, une patiente de l’Ontario, que nous appellerons
A. B., atteinte d’arthrose grave s'accompagnant de douleurs
chroniques, a déposé une demande d’aide médicale
à mourir. Elle a tout d'abord essuyé un refus, son médecin
estimant que son décès n'était pas raisonnablement prévisible,
comme l’exige la loi. Elle a ensuite demandé une
révision judiciaire. Le juge de la Cour supérieure Paul Perell
a décidé qu’une personne ne doit pas nécessairement être
atteinte d’une maladie en phase terminale ou être condamnée
à mourir dans un délai précis pour pouvoir bénéficier
de l’aide médicale à mourir. Le souhait d’A. B. a ainsi pu
être exaucé. Son décès, survenu en août 2017, a été très médiatisé,
du moins en Ontario.
Le plus récent article sur le sujet est paru le 1er avril 2018
dans le Globe and Mail2. Dans le cadre d’une autre affaire
quelque peu controversée, un couple de personnes âgées
a opté pour une aide médicale à mourir conjointe. Cela
s’est passé à Toronto, en présence de leur famille et de deux
médecins traitants. Ce n’était que la deuxième procédure
d'aide médicale à mourir réalisée au Canada. Quatre jours
auparavant, un autre couple avait eu recours à cette procédure,
sur les conseils de l'Association canadienne de protection
médicale (ACPM), qui s'inquiétait de l’apparence de
coercition d’un époux sur l’autre dans le cas d'une procédure
simultanée d’aide médicale à mourir.
George et Shirley Brickenden, tous deux nonagénaires,
vivaient ensemble dans une maison de retraite de Toronto.
Selon le Globe and Mail, Mme Brickenden était atteinte de
« polyarthrite rhumatoïde (PR), une maladie inflammatoire
qui a fait de ses mains des serres violacées et enflées ». La
combinaison de cette maladie à une insuffisance cardiaque
a amené les deux médecins indépendants chargés d’examiner
son cas à conclure qu’elle était admissible à l'aide
médicale à mourir. Toutefois, elle devait attendre que l’état
de son époux se détériore suffisamment, un seul des deux
médecins chargés d’examiner son conjoint ayant jugé que
l’âge avancé et la fragilité de ce dernier en faisaient un
candidat à l'aide médicale à mourir. Après une fracture de
la hanche pour elle, et des syncopes à répétition pour lui, suivis d'autres problèmes cardiaques et infections récurrentes,
ils ont tous deux été jugés admissibles. Kelly Grant,
la journaliste du Globe and Mail, qui a rencontré les deux
époux et leur famille quelques jours avant leur décès programmé,
les a trouvés « alertes, vifs et élégants… et si heureux
». Leur détermination à mourir maintenant l'a laissée
perplexe. Toutefois, Mme Brickenden a appelé la journaliste
plus tard. Elle a évoqué son incapacité à trouver le sommeil
« du fait d’atroces douleurs infligées par la PR, [les comparant]
à un animal rongeant ses articulations ».
En un an, deux cas très médiatisés d'aide médicale à mourir
ont été associés à des maladies arthritiques. Si la douleur
est le principal symptôme de l’arthrite, l'évocation de
l’arthrose et de la PR en tant que maladies justifiant le recours
à la mort assistée peut toutefois s’avérer surprenante
pour la plupart des rhumatologues en exercice. Actuellement,
les efforts déployés pour infléchir l’évolution naturelle
de la PR ont été supérieurs à ceux mis en oeuvre dans
le cas de l’arthrose. Néanmoins, je suis certain que la plupart
des cliniciens pensent pouvoir proposer un plan de
prise en charge susceptible d’influer sur la douleur, sur
d'autres symptômes, sur la fonction et sur la qualité de vie
de la plupart des patients, et ce, pour les deux maladies.
Toutefois, nous savons que l’opinion des patients et des
médecins concernant la PR diverge, comme l’a montré une
étude récente de la Société de l’arthrite3. Au vu de ces cas
d'aide médicale à mourir, nous devons tirer des enseignements,
non pas par rapport à une hypothétique augmentation
du nombre de cas d'aide médicale à mourir en
rhumatologie, mais plutôt par rapport à la nécessité pour
nous, rhumatologues, de mieux prendre en compte la
souffrance provoquée par les maladies rhumatismales du
point de vue de nos patients4,5.
Références :
1. Santé Canada. Deuxième rapport intérimaire sur l’aide médicale à mourir au Canada. Disponible
en ligne : www.canada.ca/fr/sante-canada/services/publications/systeme-et-services-sante/
aide-medicale-mourir-rapport-interimaire-sep-2017.html. Consulté en juin 2018.
2. Grant, K. Medically assisted death allows couple married almost 73 years to die together. The
Globe and Mail. April 2018. Disponible en ligne : www.theglobeandmail.com/canada/article-medically-
assisted-death-allows-couple-married-almost-73-years-to-die/. Consulté en juin 2018.
3. Société de l'arthrite. La divergence entre les fournisseurs de soins de santé et les patients atteints
d’arthrite. Mai 2017. Disponible en ligne : www.arthrite.ca/getmedia/bd20e920-2700-424cb0dd-
e5771ba67686/Arthritis-Gap-Report-FINAL-FR-Screen.pdf. Consulté en juin 2018.
4. « La PR importe ». Disponible en ligne : http://ramatters.ca/fr_CA. Consulté en juin 2018.
5. Affiche 3 de l’ASA 2017 de la SCR : The Objective Gap: A Survey of Patient and Health Care
Professionals’ Priorities for Inflammatory Arthritis Treatment. Ed Ziesmann (la Société de l’arthrite
[Division de l’Ontario], Toronto); Ahmad Zbib (la Société de l’arthrite, Toronto); Douglas Emerson (la
Société de l’arthrite, Toronto). The Journal of Rheumatology, juin 2017, 44 (6) 861; DOI: https://doi.
org/10.3899/jrheum.170256
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef du JSCR,
Scarborough (Ontario)
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