Automne 2018 (Volume 28, numéro 3)
Jeter des ponts : de la rhumatologie au Canada jusqu’en Jamaïque
par Taneisha K. McGhie, B. Sc. (spécialisé), MBBS, D.M.
Télécharger la version PDF
La Jamaïque est une île située dans la mer des Caraïbes; elle est connue partout dans le monde pour la beauté de ses paysages, sa culture dynamique, ses exploits sportifs et son peuple chaleureux. D’une superficie de 10 990 km2, la Jamaïque est le troisième pays anglophone le plus peuplé des Amériques, comptant une population de 2,9 millions d’habitants.
Le système de soins de santé primaires de la Jamaïque compte plus de 330 centres de santé et 24 hôpitaux publics; l’University Hospital of the West Indies (UHWI; une institution d’enseignement partiellement financée par les gouvernements régionaux, y compris celui de la Jamaïque); et 10 hôpitaux privés. Actuellement, il n’y a que cinq rhumatologues pour adultes en poste dans notre pays et tous travaillent à temps plein. Cela équivaut à un rhumatologue pour 580 000 habitants et cet effectif est principalement concentré dans la région sud-est de l’île. En l’absence d’un rhumatologue pédiatrique praticien sur l’île, les rhumatologues pour adultes sont appelés à fournir des soins à des enfants de tous âges.
Mon parcours pour devenir la seule rhumatologue de l’ouest de la Jamaïque a commencé en 2012. Motivée par le besoin d’internistes, j’ai quitté la capitale, Kingston, pour m’installer à Montego Bay afin de travailler au Cornwall Regional Hospital (CRH). À ce moment-là, l’absence de rhumatologue dans la région était comblée par les visites mensuelles d’un seul rhumatologue qui devait faire quatre heures de route à partir de Kingston pour se rendre à Montego Bay. À mon retour en Jamaïque après une formation de recherche en rhumatologie à l’Université de Toronto, la première clinique publique de rhumatologie de la région de l’ouest a été ouverte au CRH, ainsi qu’un service de consultation pour les patients hospitalisés.
La pénurie et la mauvaise répartition des rhumatologues ont entraîné de longs temps d’attente pour les rendez-vous dans les secteurs privé et public. Les limites de l’effectif du système public entraînent des temps d’attente de plusieurs heures, car les patients sont vus selon leur ordre d’arrivée, plutôt que selon un créneau de rendez-vous répartis sur la journée. Ce problème de temps d’attente à l’échelle de l’île est actuellement abordé par un programme pilote d’intervention mis en place par le ministère de la Santé. Parmi les autres problèmes logistiques abordés par le ministère de la Santé, mentionnons l’absence de systèmes électroniques de dossiers de santé des patients, avec l’introduction récente d’un dossier médical électronique à l’UHWI. Après avoir utilisé plusieurs dossiers médicaux électroniques dans divers hôpitaux de Toronto, je m’attends à une amélioration de l’efficacité, avec la formation appropriée des utilisateurs, et à ce qu’il y ait un plus grand potentiel de collecte de données médicales à des fins de recherche.
Le personnel de la clinique de rhumatologie du Cornwall Regional Hospital, en Jamaïque.
De gauche à droite : Dre Taneisha K. McGhie (rhumatologue), Dr Delansie Lawrence (interniste), Allison Johnson (secrétaire), Mary Trought (gestionnaire des services infirmiers de l’unité). Les résidents en rotation du département de médecine ne sont pas présents.
En attendant que nous puissions accroître le nombre de rhumatologues en Jamaïque, The Arthritis Program (TAP) conçu par le Dr Carter Thorne à Newmarket, en Ontario, fournit un modèle de soins améliorés pour les patients grâce à la mobilisation du personnel de santé apparenté. Une structure semblable en Jamaïque pourrait éventuellement offrir des services de counseling, de diététique, de soutien social et autres, qui répondraient aux besoins non comblés auxquels cinq rhumatologues ont de la difficulté à répondre. Des investissements en télémédecine faits en partenariat pourraient être requis comme mesure intérimaire jusqu’à ce qu’une main-d’œuvre suffisante soit en place.
Une autre difficulté pour de nombreux patients ici en Jamaïque est l’accès aux médicaments. Il existe des programmes de subventions, comme le National Health Fund (NHF), par l’entremise desquels les résidents obtiennent de l’aide pour payer les médicaments sous ordonnance, quels que soient leur âge, leur état santé et leur revenu. Toutefois, les pénuries de médicaments dans le système du gouvernement entraînent parfois une interruption de traitement et font que certains médicaments essentiels pour le lupus, comme le mycophénolate, ne sont pas couverts. Actuellement, il y a cinq agents biologiques parentéraux disponibles. Toutefois, l’utilisation de ceux-ci est faible en raison du coût mensuel prohibitif variant entre 300 $ et 1 400 $ (CAD), même avec la subvention du NHF. En Jamaïque, on estime que seulement 20 % de la population a une assurance privée. Le ministère de la Santé travaille actuellement à la mise en place du régime national d’assurance maladie de la Jamaïque. Cela augmenterait grandement le caractère abordable des consultations de spécialistes, l’accès à l’imagerie et à la médication, un peu comme le fait l’Assurance-santé de l’Ontario.
Mon mandat au Canada a fait ressortir cela, malgré les nombreuses réalisations de mon pays, la Jamaïque fait face à d’importants besoins insatisfaits dans son secteur de soins de santé, la spécialité de la rhumatologie ne faisant pas exception. Malgré ces difficultés, et malgré les problèmes de qualité de l’air et d’infrastructure dont on a beaucoup parlé au CRH, la clinique de rhumatologie est sur pied et fonctionne dans un environnement sécuritaire et fonctionnel. Au moment où nous envisageons un meilleur avenir en soins de santé avec de nombreuses nouvelles initiatives gouvernementales à l’horizon, la Jamaïque est en position de profiter de collaborations avec le Canada pour la formation de rhumatologues, l’orientation des modèles de soins de santé, y compris la télémédecine, les collaborations en recherche et les chargés de cours invités. Cela permet d’espérer que les ponts construits prendront de l’expansion et résisteront à l’épreuve du temps.
Taneisha K. McGhie, B. Sc. (spécialisé), MBBS, D.M.
Médecin-conseil, médecine interne et rhumatologie, Cornwall Regional Hospital,
Montego Bay, Jamaïque
Chargée de cours adjointe, Département de médecine, University of the West Indies, Mona
Chercheuse invitée, St Michael’s Hospital, Toronto
(Facilitatrice : Dre Dharini Mahendira)
|