Été 2017 (volume 27, numéro 2)
Cas de lupus complexe : une histoire déchirante
Par Stephanie Keeling, M.D., M. Sc., FRCPC
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Cas : Une Vietnamienne de 31 ans, qui était auparavant en bonne santé et qui a émigré au Canada il y a 10 ans (G2TA1), a donné naissance à un garçon en santé en octobre 2016 après 41 semaines + 3 jours de grossesse. Une césarienne a été nécessaire en raison de l'absence de progrès du travail malgré l’intensification du traitement par l’oxytocine. La patiente a reçu de la pénicilline avant l'accouchement à la suite d'un résultat positif au dépistage du streptocoque du groupe B; autrement, la grossesse s'est déroulée sans incident. La sœur aînée de la patiente est atteinte de lupus érythémateux disséminé (LED) et prend de la L-thyroxine pour traiter une hypothyroïdie.
Deux mois après l'accouchement, la patiente consulte son médecin de famille pour un mal de gorge et une légère éruption cutanée au visage; de l'amoxicilline est alors prescrite. Comme ses symptômes s’aggravent, elle se présente dans un hôpital communautaire local deux jours plus tard. Elle reçoit des soins de soutien (acétaminophène et dimenhydrinate) et obtient son congé avec un diagnostic de syndrome pseudogrippal. Elle retourne à l'hôpital plusieurs jours plus tard, avec une toux plus grave, une fièvre élevée, une éruption cutanée plus marquée au visage, une myalgie et une arthralgie. On l'hospitalise en raison d'une pneumonie présumée et d'un œdème des jambes qui s'aggrave; un traitement par la ceftriaxone en perfusion intraveineuse est instauré, même si les cultures de différents échantillons biologiques sont négatives. Elle reçoit son congé, mais se présente à l'hôpital universitaire plusieurs jours plus tard avec une insuffisance biventriculaire (peptide natriurétique cérébral [BNP] > 3 000 [très élevé]). Admise à l’unité de soins coronariens, elle est placée sous ventilation en pression positive à double niveau (BiPAP), reçoit de la milrinone et une transfusion sanguine et fait l'objet d'une surveillance étroite par l’équipe de transplantation cardiaque. Les services de rhumatologie et de néphrologie sont consultés en raison d’un soupçon de LED fondé sur l’aggravation aiguë de son érythème en papillon et l'altération soudaine des résultats de laboratoire, y compris une détérioration de la fonction rénale associée à un sédiment urinaire actif. La recherche d'anticorps antinucléaires est positive, celle des antigènes nucléaires extractibles (ENA), négative, et le taux d'ADN double brin, très élevé. La patiente présente également un important déficit en protéines du complément (C3/C4) et une pancytopénie (hémoglobine : 83 g/L, plaquettes : 92 000/µL, globules blancs : 1,0 x 109/L, neutrophiles : 0,5 x 109/L). La recherche des anticorps antiphospholipides (c.-à-d. anticorps anticardiolipine et anticoagulants lupiques) est négative. Une biopsie rénale révèle une néphrite proliférative diffuse (classe IV). À l'échocardiographie, on observe une fraction d'éjection (FE) du ventricule gauche de 10 à 15 %.
En plus des traitements de soutien pour son insuffisance cardiaque grave, la patiente reçoit de la méthylprednisolone en perfusion intraveineuse rapide à raison de 1 g par jour pendant 3 jours, puis de la prednisone à une dose de 1 mg/kg/jour. Après de longues discussions entre différents spécialistes pour décider s'il faut lui administrer de la cyclophosphamide ou du mofétilmycophénolate (MMF), c'est finalement le MMF qui est prescrit à raison de 1 000 mg deux fois par jour (dose ciblée de 1 500 mg deux fois par jour; poids de la patiente, 50 kg), en plus de l’hydroxychloroquine à 300 mg par jour. Compte tenu de la faible réponse au traitement de la maladie cardiaque et de la possibilité que la cardiomyopathie soit liée à son SLE aigu, on ajoute du rituximab à 1 000 mg à deux semaines d'intervalle; la première dose a été administrée dans les deux semaines suivant l'admission.
Malgré un séjour à l’hôpital compliqué par de graves idées suicidaires (IRM du cerveau normale), l'état de la patiente se stabilise en l'espace de quatre semaines et un ECG de suivi révèle que la FE du ventricule gauche atteint de 30 à 35 %. Sur le plan clinique, les symptômes d’insuffisance cardiaque se sont nettement améliorés, passant à la classe II de la New York Heart Association (NYHA) après la sortie de l'hôpital et un traitement à base de carvédilol, de ramipril et de spironolactone. À l’exception des effets secondaires des stéroïdes, notamment un faciès lunaire, la patiente ne présente aucune manifestation persistante de lupus, comme un lupus cutané aigu ou chronique, une pancytopénie ou de l'arthrite. Sa fonction rénale s'est normalisée et le sédiment urinaire est redevenu inactif. Les taux de protéines du complément et d’ADN double brin sont aussi revenus à la normale.
La patiente retourne travailler à son nouveau salon de beauté dans les deux semaines suivant son congé et a continué à prendre soin de son fils de quatre mois. Elle se pose toujours des questions sur son diagnostic et sur la nécessité de prendre des médicaments à long terme; de plus, elle comprend mal la cause de sa maladie cardiaque, officiellement diagnostiquée comme une cardiomyopathie du post-partum par l’équipe de cardiologie. En revanche, les différents consultants en rhumatologie qui ont participé à ses soins ont attribué les symptômes cardiaques à son LED actif.
Ce cas complexe de LED d'apparition récente chez une jeune femme en post-partum a posé de nombreux défis aux différents consultants et stagiaires qui ont contribué aux soins; en fait, il n’est pas possible de tous les nommer dans cette édition de Consultation de couloir. Ces défis comprenaient les suivants : a) détermination de la cause des manifestations cardiaques; b) interventions thérapeutiques urgentes pour un LED actif comprenant des manifestations cardiaques; c) étiologie des idées suicidaires; d) limites à mener les meilleures évaluations cardiaques pendant le séjour à l’unité de soins coronariens en raison de l’instabilité de la patiente; e) manque de congruence entre les attentes de la patiente et des médecins par rapport au pronostic et aux traitements à long terme; et f) communication avec la patiente et les autres spécialistes lorsque des diagnostics particuliers étaient remis en question.
La cardiomyopathie du post-partum touche les femmes sans antécédents de maladies cardiaques dans le mois précédant l’accouchement et jusqu’à cinq mois après; près de 11 % des décès maternels peuvent y être attribués1. Une rémission complète est attendue dans les six mois suivant l’apparition de la maladie chez environ 50 % des femmes, mais les séquelles à long terme comprennent l’insuffisance cardiaque ou le décès; une récurrence de la maladie lors d'une grossesse ultérieure est observée chez jusqu’à 50 % des femmes1. L’étiologie de la cardiomyopathie du post-partum n'est pas claire, mais pourrait faire intervenir l’inflammation, des processus auto-immuns, l’apoptose, des infections virales, la malnutrition, des anomalies hormonales, des cytokines activées par le stress et une dysfonction endothéliale2. De plus, on croit que la prolactine pourrait jouer un rôle important dans l'apparition de la maladie; la prolactine serait clivée par la cathepsine-D, produisant un stress oxydatif touchant l’endothélium, les vaisseaux cardiaques et la fonction des cardiomyocytes3,4.
Dans les cas de LED, la maladie cardiaque englobe le spectre des maladies artérielles coronariennes et non coronariennes. Les maladies artérielles non coronariennes comprennent les végétations valvulaires (p. ex. syndrome de Libman-Sacks), les anticorps antiphospholipides, les maladies valvulaires, les maladies péricardiques, la myocardite et les troubles de la conduction5,6,7. La myocardite lupique, la cardiomyopathie et l’insuffisance cardiaque sont rarement associées au lupus8. En ce qui concerne la prévalence de la myocardite lupique, il y a une divergence entre les résultats d'analyses de biopsies effectuées lors des autopsies comparativement aux diagnostics cliniques de myocardite et aux observations issues de séries de cas cliniques9. Si on extrapole à notre patiente, d’autres facteurs que l’inflammation du myocarde pourraient avoir joué un rôle physiopathologique déterminant en induisant une maladie qui s'apparente à une cardiomyopathie de stress8,10,11.
Dans le cas présent, la patiente a fait l'objet d'interventions urgentes en raison d'une insuffisance cardiaque et d'un lupus aigu grave concomitant. Il a été impossible de procéder à une biopsie du myocarde en raison de l'instabilité clinique; au moment où la patiente aurait pu tolérer l'intervention, le traitement était déjà bien avancé et l'état de la patiente s'était amélioré. Le choix de prescrire du MMF plutôt que de la cyclophosphamide était fondé sur l'ensemble des symptômes de lupus, le jeune âge de la patiente (même si tous ont convenu qu’elle devait éviter toute grossesse ultérieure) et les préoccupations soulevées par différents collègues quant au risque d'insuffisance cardiaque attribuable à la cyclophosphamide (bien que le risque est faible et sans doute sujet à controverse dans cette situation clinique). Les données probantes sur le traitement de la cardiomyopathie/myocardite liées au LED demeurent observationnelles et principalement basées sur des rapports de cas et des séries de cas12,13.
Heureusement, la patiente s'est rétablie durant la période où l'on s'attendait à ce que ses médicaments contre le LED, y compris le rituximab, le MMF et l’hydroxychloroquine, agissent, alors qu'elle continuait aussi à prendre de la prednisone à dose modérée et des médicaments contre l’insuffisance cardiaque congestive. La résolution clinique est également survenue au cours de la période où la cardiomyopathie du post-partum s’améliore habituellement. Même si les spécialistes en rhumatologie et en cardiologie ne s'entendaient pas sur les causes de son insuffisance cardiaque, une théorie unificatrice pourrait reposer sur l'hypothèse que l’apparition aiguë du LED a été un stress suffisamment important pour déclencher la cardiomyopathie du post-partum. Toutefois, le caractère aigu des manifestations et le fait que le LED peut provoquer une insuffisance cardiaque significative sont difficiles à ignorer.
Compte tenu du fait que la morbidité et la mortalité associées à la cardiomyopathie du post-partum et à la cardiomyopathie liée au LED peuvent être importantes, la patiente a beaucoup de chance d'être actuellement sur la voie de rétablissement, puisque le pronostic était très réservé. On prévoit de continuer à suivre sa fonction cardiaque de concert avec l’équipe de cardiologie, et les évaluations à la clinique spécialisée en lupus se poursuivent. Pour améliorer le pronostic à long terme, il est essentiel de renseigner la patiente sur ses médicaments, particulièrement à la lumière des questions qu’elle a posées à la fin de son dernier rendez-vous de suivi, alors qu'elle a demandé quand elle pourrait arrêter de prendre l'hydroxychloroquine et si la possibilité d'une autre grossesse était vraiment exclue.
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Stephanie Keeling, M.D., M. Sc., FRCPC
Professeure agrégée de médecine, Université de l’Aberta
Edmonton (Alberta)
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