Hiver 2016 (volume 26, numéro 4)
Le chemin ardu qui mène à l’équilibre entre le travail et la vie personnelle
Par Erin Norris, M.D., FRCPC
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Me voici, au cinquième mois de ma troisième grossesse, devant mon ordinateur de bureau à faire défiler les résultats de laboratoire de patients. Le soleil estival laisse briller ses rayons à travers la fenêtre à ma droite, ce qui explique probablement pourquoi je ne vois pas très bien l’écran. Sauf qu’au cours des trois journées qui suivent, je vois de moins en moins de mon œil droit, jusqu’à pouvoir à peine compter des doigts. Le résident en ophtalmologie de garde me rencontre à l’hôpital un dimanche. Et puis vient un tourbillon de spécialistes, un examen par IRM d’urgence, et me voilà avec un diagnostic de sclérose en plaques (SP). Tout va bien, jusqu’à ce que non, rien ne va plus : ma fille a 11 mois et je présente de graves symptômes de vertige et d’ataxie. Je ne peux pas aller travailler. Je ne peux même plus porter ma fille.
La Dre Norris et sa famille (de gauche à droite) : Rebecca, Dre Erin Norris, Judah, son mari Larry et Leah.
La SP n’est pas vraiment différente de toutes ces maladies chroniques imprévisibles que nous traitons en tant que rhumatologues. Il y a de l’incertitude, du déni et de la peur... une trahison du corps. Il y a de l’indignité, une perte de contrôle, associée au fait d’être un patient. Tout cela fait-il vraiment de moi un meilleur médecin? À mon retour au travail, je suis plus lente, je vois moins de patients et je fais moins de cliniques. J’arrête de prendre les appels de l’hôpital et mes collègues doivent prendre le relais. Je transfère les soins de mes patients les plus atteints (et oserais-je dire les plus intéressants?) à d’autres, et certains patients demandent un transfert parce qu’ils doivent attendre trop longtemps pour me voir.
Et pourtant, j’écoute plus. Je prends plus de temps avec mes patients. Je comprends les petites injustices qui viennent avec la condition de patient, surtout l’attente, et les plus grandes injustices aussi. Je sais au plus profond de moi que ce que les patients disent dans le bureau du médecin est une partie tellement infime de leur expérience de maladie et de leur personne. Alors je tente d’honorer cette vérité. Je tente d’être le type de défenseur des droits du patient que j’aimerais avoir pour moi-même. Et de cette façon, je retrouve mon sentiment d'être utile en tant que médecin.
Voici la vérité : je ne serai jamais la bonne rhumatologue pour tous les patients. Mais je peux être une excellente rhumatologue pour certains patients. Et, en adaptant ma pratique, il me reste suffisamment d’énergie pour être une excellente épouse et mère, parce que la réalité est que je suis la seule mère que mes enfants ont et la seule épouse de mon mari. Je n’aurais jamais choisi cet équilibre entre mon travail et ma vie personnelle, mais je peux maintenant affirmer que j’en suis reconnaissante.
Erin Norris, M.D., FRCPC
Professeure adjointe,
Université de Toronto
Rhumatologue titulaire,
Division de rhumatologie
Hôpital St. Michael’s
Toronto (Ontario)
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