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Printemps 2017 (volume 27, numéro 1)

Redéfinir le bonheur :
mon expérience des systèmes de santé américain et canadien

Par Ashley Sterrett, M.D., CCD

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L’herbe est-elle toujours plus verte chez le voisin? On enseigne aux médecins formés aux États-Unis que leur système de soins de santé est le meilleur au monde. Sinon, pourquoi tant de personnes émigreraient-elles pour être formées et pratiquer aux États-Unis? Cependant, alors que je travaillais dans un environnement universitaire et gouvernemental au sein du système de soins de santé pour les anciens combattants aux États-Unis, j’ai commencé à remettre en doute cette présomption. J’ai fréquenté une faculté de médecine dans l’État de la Géorgie, puis j’ai effectué ma formation en médecine interne puis en rhumatologie à l’University of South Florida (USF). Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai occupé un poste de rhumatologue auprès de la Veteran’s Health Administration (VHA) à Tampa, en Floride, qui est affiliée à l’USF. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai eu le privilège de m’occuper des anciens combattants de mon pays et de former des étudiants en médecine, des résidents et des chercheurs en rhumatologie. La facturation de mes services était simple : seuls les anciens combattants pouvaient recevoir des soins de la VHA. Ainsi, s’ils étaient envoyés chez nous, ils obtenaient une couverture médicale. Le codage se fondait sur les lignes directrices de Medicare, et la liste des médicaments assurés pour la couverture des médicaments et des tests se basait sur celle établie à l’échelle nationale plutôt que sur celles de la myriade de régimes d’assurance dans laquelle la plupart des médecins en pratique privée s’empêtrent. Le système de dossier médical électronique (DME) utilisé par la VHA est en place depuis les années 1990; il s’agit du DME initial. De plus, il est accessible à partir de tout centre de la Veteran’s Affairs (VA) au pays. Un ancien combattant qui vit et reçoit des soins à Tampa peut se présenter dans un centre médical de la VA au Texas pour obtenir des soins, et son dossier sera accessible au moyen d’un lien sécurisé. La seule exception s’appliquait aux dossiers médicaux des anciens combattants du Department of Defense en service actif; ceux-ci étaient protégés et n'étaient pas accessibles à tous les fournisseurs de soins de santé disposant d’un accès au DME de la VA.

Trop beau pour être vrai, non? Chaque système a ses lacunes, et le système de la Veteran’s Health des États-Unis connaît lui aussi des ratées dont bon nombre ont été rendues publiques. Par exemple, il y a les problèmes courants dont on s'attend d’un système de soins de santé d’envergure : une pénurie de fournisseurs ou de services, qui entraîne de longues attentes pour des rendez-vous, des tests et même des soins standards comme les colonoscopies et les opérations chirurgicales. Une autre lacune est le recours à une liste de médicaments assurés nationale, qui ne tient pas compte des besoins régionaux associés à certaines maladies — prenons pour exemple le cas d’une pharmacie régionale qui a épuisé la totalité de son budget annuel en quatre mois après qu'un nouveau médicament contre l’hépatite C ait été approuvé, ce qui a eu une incidence sur l’accès aux médicaments de tous les autres services. Je ne veux toutefois pas me concentrer sur les points négatifs, ce n'est pas l'objectif de cet article. En fait, pour être franche, mon expérience à titre d’employée de la VA pendant sept ans a été très positive.

Je suis venue m'établir au Canada attirée par la promesse d’une vie meilleure et plus sécuritaire pour ma famille, des prêts étudiants moins élevés pour mes enfants lorsqu’ils iront à l’université, et par un système en apparence semblable au système de la VA, soit un débiteur unique et une liste de médicaments assurés provinciale. Cependant, j’ai vite constaté que les similarités s’arrêtaient là. Mes cinq mois de pratique en Ontario ont nécessité tout un ajustement. Comme je m’y attendais, les deux systèmes présentent des similarités tout comme des différences : la liste de médicaments assurés est plus souple que celle de la VA en Floride à laquelle j’étais habituée; le temps d’attente en Ontario pour des tests comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est semblable à celui de la VA, mais plus long que dans les pratiques privées des États-Unis; l’accès à des services complémentaires comme la physiothérapie est limité en Ontario par rapport à la VA, mais pas si on le compare aux pratiques privées des États-Unis. Cependant, les avantages offerts par la VA étaient réservés aux anciens combattants, et, au bout du compte, j’ai pu constater la grande qualité du système de soins de santé au Canada tant à titre de médecin que de patiente. Même si je ne travaillais pas en pratique privée en Floride, je sais ce qu’un rhumatologue touche en moyenne aux États-Unis. D’après ce que j’ai constaté à partir des récentes statistiques de l’Ontario Rheumatology Association (ORA), le salaire d'un rhumatologue en Ontario est semblable à celui de son confrère américain. Comme je ne fais plus partie d’un immense système de soins de santé interrelié, de nombreuses demandes et une longue attente sont nécessaires pour que je puisse accéder au dossier de mes patients provenant par exemple de leur médecin de famille ou d’un hôpital. Cette réalité n'est pas fondamentalement différente de celle d'un médecin en pratique privée dans la plupart des pays. Par contre, le Canada et les États-Unis mettent tous deux à l’essai des solutions visant à créer un dossier médical exhaustif accessible, par Internet, à partir de n’importe quel établissement.

Par ailleurs, aux États-Unis, des médecins formés à l’étranger doivent reprendre leur formation ou réussir les tests des conseils des médecins américains pour leur spécialité, mais lorsque c’est fait, ils peuvent pratiquer sans restriction. Or, les médecins formés au Canada ne sont pas tenus d’effectuer des tests supplémentaires ou de suivre une formation d’appoint puisque leur formation est considérée comme équivalente à celle des États-Unis. Si toutefois le Canada considère comme équivalente la formation médicale américaine, l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario exige des médecins américains une année de pratique supervisée dans leur spécialité pour les aider dans leur transition vers le système canadien. Certes, le fait d’avoir un superviseur a été difficile au début, mais j’ai grandement apprécié les conseils et l’expertise de la Dre Mary Lee qui m'a guidée dans mon apprentissage du système médical canadien, et je ne pourrais m’imaginer tenter de soigner des patients sans son aide.

En résumé, j’ai constaté que le système canadien était semblable à celui de Veteran’s Health aux États-Unis, mais qu’il comportait quelques différences, que j’ai mentionnées, et bien d’autres que vous connaissez mieux que moi. Je ne peux conclure pour vous, mais pour ma famille et moi, l’herbe est plus verte au Canada.

Ashley Sterrett, M.D., CCD,
Professeure agrégée de médecine,
University of Florida, Tampa (Floride)
Licence de l'État de Floride
Certifiée en ostéodensitométrie osseuse clinique
Elle pratique actuellement à Toronto sous licence restreinte supervisée
Toronto (Ontario)

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