Hiver 2016 (volume 26, numéro 4)
Microdonnées
Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR Télécharger le PDF
«Quand vous êtes capable de mesurer les choses dont vous parlez et de les exprimer en nombres, vous en avez une assez bonne idée; mais lorsque vous ne pouvez en prendre la mesure, que vous ne pouvez l’exprimer en nombres, votre connaissance en est très mince et insatisfaisante. Cela peut être le début de la connaissance, toutefois, dans votre esprit, vous avez à peine progressé vers le stade de la science, peu importe de quoi il s’agit.»
– Lord Kelvin
Tout le monde parle des mégadonnées et de leurs répercussions potentielles sur la médecine et les affaires en général. Explorer des téraoctets de données avec des superordinateurs pourrait mener à des percées scientifiques magistrales, un traitement pour le cancer, une espérance de vie prolongée et une médecine personnalisée. Plus près de nous, les investissements consentis par les médecins et les paliers gouvernementaux pour les dossiers médicaux électroniques (DME) sont en partie motivés par leur éventuelle capacité à fournir une riche source d’information. Cela pourrait être combiné à d’autres bases de données et permettre à l’information clinique de chaque patient de contribuer à répondre aux questions fondamentales de la médecine.
Le potentiel est ahurissant, tout comme le battage médiatique. Cela a d’ailleurs été mentionné très récemment dans un éditorial publié dans le CMAJ1. Mais peut-être, entre-temps, pourrions-nous commencer par tenter de répondre à des questions à propos de nos propres pratiques, à l’aide des données dont nous disposons, ce qui serait tout à fait dans l’esprit des auto-vérifications de la pratique, un élément clé des initiatives de la SCR et une des meilleures façons d’obtenir les crédits de la Section 3 nouvellement exigés par le Collège royal pour le maintien du certificat.
Permettez-moi d’illustrer mes propos avec deux exemples de ma propre pratique. En ce moment, j’examine personnellement toutes les nouvelles demandes de renvoi. La plupart sont acceptées, quelques-unes sont rejetées et quelques-unes entraînent des demandes d’information additionnelle pour déterminer leur pertinence et leur degré de priorité. Quel est le ratio idéal de ces résultats? Aucun manuel ne pourra vous le dire. Toutefois, on peut évaluer les possibilités par le biais d’analyses toutes simples. J’ai décidé de compter le nombre de places disponibles chaque semaine pour des nouveaux patients et de comparer celui-ci au nombre de nouvelles demandes de renvoi reçues par semaine. Pour obtenir un échantillon raisonnable, j’ai recueilli ces deux points de données sur une période de quatre semaines, excluant toute vacance, puis je les ai combinés en un seul rapport de demandes de renvoi reçues/places disponibles. À titre d’exercice mental, considérez une situation où 200 nouvelles demandes de renvoi sont reçues, mais seulement 10 places de rendez-vous sont disponibles pour une période donnée. Le ratio serait de 20 et le niveau de stress serait probablement élevé dans cette pratique. Dans un tel cas, je suggérerais une stratégie où seuls les patients ayant le plus pressant besoin d’un rhumatologue (p. ex. ceux présentant de l’arthrite inflammatoire, une maladie des tissus conjonctifs ou une vascularite) seraient acceptés. De simples suggestions de prise en charge et d’autres possibilités de renvoi pourraient être fournies aux médecins de soins primaires de ces patients non acceptés pour une consultation, un peu comme le programme de triage en place à Calgary. D’un autre côté, si seulement 20 nouvelles demandes sont reçues pour 40 places disponibles, le ratio est de 0,5, une situation qui pourrait se produire pour quelqu’un qui débute une nouvelle pratique. Dans un tel cas, on pourrait envisager de publiciser notre disponibilité auprès des médecins traitant, par le biais d’un portail de pratique, en présentant des conférences de d'EMC ou en s’impliquant dans le chapitre local d’une association médicale. Atteindre un ratio de 1, si possible, assurerait moins de tourments à long terme. Il vous permettrait d’étendre votre pratique à tout autre secteur d’intérêt que vous pourriez avoir en dehors des maladies rhumatismales inflammatoires essentielles, y compris la goutte, l’ostéoporose, l’arthrose et les affections rhumatismales localisées. Connaissez-vous votre ratio? Sinon, prenez-vous les décisions les mieux informées à propos de la gestion de votre pratique? Cette information est aisément accessible et pourrait être calculée régulièrement par votre personnel de bureau.
De même, comment déterminez-vous la durée optimale des rendez-vous, tant pour les nouveaux patients que pour les visites de suivi? Vous fiez-vous à la tradition, au hasard des choses ou aux données? Il n’y a pas de patient moyen, mais avoir 10 durées de rendez-vous différentes est aussi peu pratique. Disons que vous allouez 30 minutes pour les nouveaux patients et 15 minutes pour les suivis. Vous savez également que les renvois plus complexes finissent en réalité par prendre 45 minutes. Avec un ratio de demandes de renvoi/disponibilités de 20, presque tous vos renvois seront des cas complexes et il y aura une incohérence entre vos plages de rendez-vous et le temps requis réellement. Avec un ratio de 1, et sachant la prévalence des maladies inflammatoires au Canada, vous pouvez pratiquement être assuré que seulement 40 à 50 % de vos renvois seront aussi complexes. En présumant que les problèmes de rhumatologie plus simples peuvent être traités en 20 minutes, surtout avec une revue du dossier du patient avant le rendez-vous, une plage de 30 minutes pour les consultations est maintenant raisonnable.
Les suivis ont tendance à être effectués principalement pour des cas plus compliqués, puisque les cas plus simples sont idéalement réacheminés au niveau des soins primaires pour le traitement continu. J’aime bien être pile à l’heure dans mon bureau; ainsi, chaque journée où je termine tard me fournit une occasion de réflexion. Je réalise généralement qu’un cas particulièrement complexe a nécessité plus de temps que prévu. Si j’ai l’impression que cela sera un problème continu, je réserve 30 minutes pour le prochain rendez-vous de ce patient. Il est de beaucoup préférable de savoir que je serai à l’heure dans mes rendez-vous la prochaine fois que de manquer de chaises dans la salle d’attente. Si les choses vont mieux avec ce patient la fois suivante, je peux toujours profiter de quelques minutes de plus dans ma journée et il pourra revenir à une plage de 15 minutes par la suite. Compte tenu de la complexité des maladies rhumatismales, en plus du vieillissement continu de la population à traiter avec de multiples comorbidités, le nombre de patients ayant besoin en permanence de rendez-vous prolongés ne pourra qu’augmenter. Sur le plan empirique, je me hasarderais aussi à croire en une corrélation entre le besoin de rendez-vous de suivi prolongés et un plus haut taux de mortalité sur 5 ans, mais je ne révélerai certainement pas cette possibilité à mes patients dans cette situation. Plus de recherches s’imposent, tant à l’égard des « microdonnées » que des « mégadonnées ».
Si vous souhaitez présenter vos propres exemples de « microdonnées » que vous jugez utiles à votre pratique, n’hésitez pas à les faire parvenir au JSCR pour une éventuelle future publication.
Référence :
Kirsten Patrick. Harnessing big data for health. CMAJ, 17 mai 2016, 188: 555; doi:10.1503/cmaj.160410.
Philip A. Baer, M.D.,C.M., FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario) |