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Été 2016 (volume 26, numéro 2)

La rhumatologie par voie électronique

Par Philip A. Baer, M.D.,C.M., FRCPC, FACR

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L’équilibre entre le travail et la vie personnelle est difficile à atteindre et exige l’établissement et la défense de nos limites. Apprendre à dire non est une de ces compétences essentielles qui ne m’a pas été enseignée en faculté de médecine ou en résidence, mais qui m’a semblée importante à maîtriser lorsque je suis devenu mon propre patron en pratique. J’ai touché un peu à tout au début, de la recherche de phase 2/3 au travail médico-légal, en passant par les quarts de garde en médecin interne. Au fil du temps, j’ai regroupé mes efforts autour de la rhumatologie clinique, de l’éducation médicale et des politiques médicales, un mélange beaucoup plus gérable. Même les limites de la rhumatologie clinique sont flexibles : j’ai une préférence pour l’arthrite inflammatoire (AI) et la maladie des tissus conjonctifs, mais j’accepte aussi des patients atteints d’ostéoporose, d’arthrose et d’affections rhumatologiques localisées. Beaucoup de mes collègues, même en milieux communautaires, ne le font pas.

L’introduction des dossiers médicaux électroniques (DME) a ouvert la porte à une nouvelle menace. Je peux maintenant accéder à mon bureau de la maison, durant un congrès ou même en vacances. D’un côté, les résultats de laboratoire anormaux et les renouvellements d’ordonnances sont traités beaucoup plus rapidement. Le retour au bureau après quelques semaines d’absence ne signifie plus qu’une montagne de formulaires de renvoi et de rapports de test m’y attend. Mais d’un autre côté, êtes-vous vraiment en vacances si vous vérifiez ce qui se passe au bureau quotidiennement?

Le prochain défi est imminent : la consultation électronique. L’Ontario mène un essai pilote en vertu duquel des médecins en soins primaires peuvent demander des conseils par ce moyen, en envoyant une question et les données pertinentes du patient à un consultant. Les deux parties sont rémunérées pour leurs services. Apparemment, le projet pilote obtient beaucoup de succès, avec 30 % des interactions traitées exclusivement par voie électronique, éliminant ainsi la nécessité d’une consultation en personne.

Je ne me suis pas encore inscrit. Des services à but lucratif m’ont approché pour que je m’inscrive, promettant de tout traiter par le serveur de messagerie sécurisé exigé et d’acheminer les requêtes de consultation électronique vers moi si j’acceptais de leur céder une part des honoraires. L’idée de laisser le travail empiéter encore plus sur mon temps libre en soirée et durant la fin de semaine n’est pas très alléchante.

Par contre, les consultations électroniques pro bono sont autre chose. Étant entouré de médecins dans ma famille et dans ma vie professionnelle, il m’arrive parfois d’oublier que beaucoup de gens ne comptent pas de médecins dans leurs connaissances personnelles, ou peut-être juste un. Le fait de travailler aux sièges sociaux de compagnies d’assurance où je suis le seul médecin mène à de fréquentes requêtes pour examiner les résultats de test de collègues ou pour donner des conseils. Évidemment, je veille à ne fournir que des conseils généraux puisque ce ne sont pas des interactions cliniques complètes et que cela touche souvent à des aspects médicaux en dehors de la rhumatologie. L’Association canadienne de protection médicale (l’ACPM) incite à la prudence dans ce domaine, et je suis du même avis. De même, le Collège réglementaire en Ontario désapprouve le fait de traiter ou de conseiller des membres de notre famille et des amis proches, donc ces requêtes doivent aussi être redirigées avec tact.

Les médias sociaux ont également agrandi le cercle de ces personnes en quête de conseils. Au beau milieu d’un bureau achalandé récemment, LinkedIn m’a signalé que j’avais reçu un message de quelqu’un dont le nom m’était familier, qui était en fait quelqu’un avec qui j’avais travaillé bien des années plus tôt. Le message était à propos d’un parent âgé souffrant de sténose spinale et de douleur chronique, inadéquatement soulagée après avoir consulté un chirurgien et une clinique de traitement de la douleur. Qu’est-ce que je lui recommanderais? Bon, j’avais quelques idées à lui suggérer. Je n’ai pas proposé de voir le patient, mais ma réponse a suscité des remerciements qui semblaient venir tout droit du cœur, ce qui est pour moi plus valorisant que de recevoir une somme dérisoire pour une consultation électronique. Je sais aussi sur quoi cette personne travaille actuellement et peut-être que cela nous amènera à renouveler nos liens sociaux.

La récente requête que m’a récemment fait suivre un de mes fils à propos d’une ancienne camarade de classe maintenant dans la mi-vingtaine a été beaucoup moins simple par contre : « Comme tu le sais, j’ai commencé à avoir mal au dos au secondaire, à 17 ans. J’ai des douleurs chroniques depuis ce temps, parfois un peu mieux, parfois pire. Ce qui aide le plus est de bouger; rester un certain temps dans la même position, peu importe laquelle, est difficile. Ce qui me préoccupe le plus est la progression de la douleur dans le haut de mon corps depuis environ un an. J’ai essayé la chiropractie, l’acupuncture, la physiothérapie (ce médecin là ne m’a vue qu’une fois, m’a donné deux exercices à faire et m’a dit qu’il ne pouvait rien faire de plus). »

Je pensais bien savoir de quoi il s’agissait : douleur dorsale inflammatoire.

J’ai poursuivi ma lecture : « Mon père et quelques-uns de ses frères et sœurs souffrent d’arthrite psoriasique; ma sœur s’est récemment fait dire qu’elle avait une colonne vertébrale arthritique (qui l’a confinée au lit pendant quelques semaines); puis il y a moi. Aussi, ma nièce, âgée de quatre ans, a récemment eu une chirurgie de la hanche. Cela a été très soudain; ils ont trouvé de l’inflammation et ils l’ont opéré par crainte que ce soit de l’arthrite septique causée par une infection bactérienne. »

Ah ha! Spondyloarthropathie séronégative, assurément!

« Je ne sais pas si je devrais investiguer plus loin avec d’autres médecins. Tout ce qu’on me dit, c’est que je suis trop jeune pour avoir des problèmes de mal de dos ou d’autres commentaires de ce genre. Je suis rendue au stade ou simplement essayer de plier du linge ou de laver la vaisselle pendant plus de 10 minutes peut me causer tellement de douleur que je dois m’arrêter. J’ai aussi beaucoup de douleurs aléatoires qui semblent se déplacer dans mon genou, ma hanche et ma cheville gauches et qui peuvent soudainement rendre très difficile le fait de monter ou descendre des marches. Pendant environ deux semaines, je partais travailler à 6 h 30 le matin pour éviter les bouchons de circulation parce que j’étais incapable de rester assise dans l’auto à l’heure de pointe sans être en douleur. » Je n’ai pas pu résister à la tentation de m’en mêler. J’ai composé une réponse pour lui dire : « Compte tenu de tes symptômes, de tes antécédents familiaux, etc., tu souffres presque assurément de spondylarthrite (SpA). Le délai typique pour un diagnostic est de cinq à sept ans... plus chez les femmes. Tu as besoin de voir un rhumatologue. »

Dénouement? Elle a eu un résultat positif pour l’HLA-B27, a vu un rhumatologue, a eu un examen des articulations sacro-iliaques par IRM qui s’est avéré négatif et s’est fait dire qu’elle ne souffrait pas de SpA.

Et maintenant, quoi? Je ne l’ai pas examinée. Je ne sais pas si son IRM a été lue correctement. Peut-être le résulat est-il vraiment négatif, mais un examen par IRM de la colonne entière montrerait peut-être autre chose (ce qui arrive dans 15 % des cas, dit-on). Des médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) n’ont apparemment pas aidé.

Le débat se poursuit dans ma tête à propos de ce qu’il convient de faire, mais la pente glissante qu’est la rhumatologie par voie électronique m’apparaît maintenant beaucoup plus clairement.

Philip A. Baer, M.D.,C.M., FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)

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