Printemps 2015 (volume 25, numéro 1)
La cyberintimidation :
source d’anxiété en ligne
par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
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« Si tu n’as rien de gentil à dire, tu ne dis rien du tout! »
− Pan-Pan le lapin, Bambi, 1942.
Récemment, on m’a demandé de présenter un article à notre club local du journal de rhumatologie. Le choix est toujours difficile, l’article idéal étant de préférence intéressant, mais un peu hors des sentiers battus. Au cours de mes recherches, un article sur les tendances thérapeutiques en matière de psoriasis et d’arthrite psoriasique (APs) m’est passé sous les yeux. L’auteure principale était une chercheuse américaine en dermatologie, la Dre April Armstrong1.
Il s’agissait d’un article scientifique typique, avec les tableaux et graphiques nécessaires, la méthodologie, la discussion et les conclusions. Cependant, dans les directives se rapportant à l’auteure, j’ai trouvé un commentaire que je n’avais encore jamais vu auparavant dans un article scientifique. L’auteure avait indiqué son adresse de courriel avec une mention stipulant que cette adresse était fournie « pour les questions intellectuelles à propos de l’article seulement ».
Je me suis demandé pourquoi elle avait jugé nécessaire d’inclure ce commentaire, mais la réponse n’est pas trop difficile à imaginer. L’exposition dans les médias sociaux, incluant la divulgation d’une adresse de courriel personnelle, nous rend accessibles et vulnérables à toute personne sur Internet. En septembre 2014, un article du Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC)2 se penchait sur les préoccupations liées à la revue par les pairs dans les médias sociaux après la publication d’un article. Traditionnellement, on pouvait écrire une lettre à l’éditeur pour contester les arguments soulevés dans un article scientifique. L’éditeur devenait alors un médiateur neutre. Maintenant, la disponibilité de multiples plateformes dans les médias sociaux permet aux chercheurs de se critiquer directement l’un l’autre, parfois de façon très négative, sans le moindre filtre. L’article du JAMC faisait mention d’interactions pouvant être qualifiées de cyberintimidations et de moqueries entre les chercheurs.
Une autre April a été ciblée dans les médias sociaux autour de la même période par le biais d’une attaque sur Twitter. Ce cas n’avait rien à voir avec la science, mais relevait plutôt des débordements d’adeptes des Maple Leafs de Toronto devant la perspective d’une saison gagnante, après 47 années sans Coupe Stanley. En mars 2014, un des gardiens des Maple Leafs, James Reimer, avait particulièrement mal joué son rôle. Dans les médias sociaux, notamment sur Twitter, son épouse, April Reimer, avait reçu de nombreux commentaires désobligeants3,4. Quelqu’un était même allé jusqu’à lui suggérer de poignarder son mari durant son sommeil.
Les femmes se sentent certainement plus vulnérables que les hommes dans un tel contexte. En examinant un autre article scientifique sur les résultats de l’étude PSUMMIT-1 publié par un homme réputé dans le domaine de la recherche sur l’arthrite psoriasique, le Dr Iain McInnes, j’ai remarqué qu’il indiquait son adresse de courriel sans autre commentaire ou préoccupation apparente.
Le contexte social plus large joue aussi un rôle. Alors même que j’écris cet article, les interminables enquêtes entourant la sordide affaire Jian Ghomeshi se poursuivent, tandis que les députés canadiens continuent à s’entre-accuser de harcèlement sexuel sur la colline Parlementaire. Lorsque j’ai présenté l’article de la Dre Armstrong, un autre membre de notre club a également fait mention de la controverse du « Gamergate » liée au harcèlement en ligne et aux menaces de violence dont sont victimes les femmes qui développent des jeux vidéo et leurs partisans; certaines victimes ont même été poussées à fuir leurs foyers5.
J’espère que la Dre Armstrong ne subira aucun désagrément à la suite de la publication de son article. J’ai en fait moi-même utilisé son adresse de courriel pour la complimenter sur son article et lui demander une version PDF pour mes dossiers. Sa réponse a été rapide et courtoise. J’aime à penser que j’ai peut-être atténué quelque peu son anxiété à propos de la publication de son adresse de courriel.
Références :
1. Armstrong AW, Robertson AD, Wu J, et coll. Undertreatment, treatment trends, and treatment dissatisfaction among patients with psoriasis and psoriatic arthritis in the United States: Findings from the National Psoriasis Foundation surveys, 2003-2011. JAMA Dermatol 2013; 149(10):1180-5.
2. Collier R. When postpublication peer review stings. CMAJ 2014; 186(12):904.
3. Mirtle J. “April Reimer launches campaign to stop bullying.” The Globe and Mail [Toronto] 9 January 2015. Disponible à l’adresse : www.theglobeandmail.com/sports/hockey/mirtle-april-reimer-launches-campaign-to-stop-bullying/article22372952/.
4. #TweetSweet Campaign. 2015. Disponible à l’adresse : www.tweetsweet.ca/about/.
5. Ross N. “#Gamergate Controversy Fuels Debate On Women And Video Games.” NPR [online] 24 September 2014. Disponible à l’adresse : www.npr.org/blogs/alltechconsidered/2014/09/24/349835297/-gamergate-controversy-fuels-debate-on-women-and-video-games.
Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR,
Scarborough, Ontario
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