Janssen Simponi I.V.
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Hiver 2015 (volume 25, numéro 4)

Choisir imprudemment

par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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« Vous ne pouvez tomber en amour que six fois au cours de votre vie. Choisissez avec soin. »
– Douglas Coupland.

Changer de comportement est difficile. Un de mes exemples favoris est celui de la vitamine C et du scorbut. Il a fallu 42 années entre le moment où il a été déterminé que le scorbut pouvait être évité par un apport suffisant en agrumes et celui où la marine britannique a ordonné que chaque marin reçoive une ration quotidienne d’oranges et de citrons frais1.

L’éducation adulte parle d’atteindre une zone de maîtrise, où des modèles sont reconnus et des actions se font semi-automatiquement sans effort mental particulier, un peu comme la règle des « dix mille heures » dans les sports2. J’en ai la preuve quotidiennement alors que le trajet de 20 km pour me rendre à mon travail se fait sans mémorisation consciente de chaque feu de circulation ou virage en cours de route. La route me semble toutefois beaucoup plus longue par mauvais temps, alors qu’une plus grande concentration est requise.

Dans notre bureau, nous en profitons aussi. Pour les affections simples, nous pouvons pratiquement prédire les réponses du patient à nos questions avant même qu’il ne les formule. Les résultats aux examens physiques ne sont généralement pas surprenants; nous pouvons les anticiper d’après les antécédents du patient. Nous développons une série de discours mentaux qui peuvent être déroulés et récités pour couvrir les éléments essentiels du diagnostic et du plan de traitement.

Les problèmes surviennent lorsque de nouveaux renseignements médicaux deviennent disponibles, nécessitant un changement de notre part; la traduction des connaissances demeure un défi. Parfois aussi, les médecins peuvent n’avoir jamais appris la bonne approche en premier lieu, un problème particulièrement courant en rhumatologie qui, à mon avis, ne reçoit pas sa juste part du temps d’instruction durant les études prédoctorales et postdoctorales en médecine. Cela s’applique particulièrement aux médecins qui se retrouvent aux premières lignes des soins primaires, où les affections musculosquelettiques sont si fréquentes.

Les conséquences se déploient quotidiennement dans mon bureau. La plupart des patients qui sont orientés vers moi arrivent du bureau de médecins de famille ou d’omnipraticiens qui semblent croire qu’un renvoi en rhumatologie nécessite une batterie de tests que je n’aurais jamais demandés, comme le facteur rhumatoïde (FR), les anticorps antinucléaires (AAN), l’anti-ADN double brin (ADNdb) et des études complémentaires pour des cas réguliers d’ostéoarthrite (OA) du genou ou une douleur au bas du dos. Cela a été documenté à maintes reprises dans la littérature3,4. De même, l’envie de demander des IRM du genou et de la colonne ne semble pas pouvoir être aisément surmontée, et ce, même quand de simples radiographies du genou démontrent des anomalies et qu’aucune chirurgie de la colonne n’est en vue.

Que faudra-t-il pour vraiment faire changer les choses? Les pressions sur les budgets de santé finiront par faire leur œuvre. Nous voyons déjà des gels et des coupures sur les honoraires des médecins en Ontario, avec des offres de rétablir le financement si les médecins peuvent proposer des initiatives visant à sauver le système en réduisant les dépenses pour des tests de laboratoire et des IRM inutiles. Je fonde de grands espoirs sur le programme « Choisir avec soin », mené globalement par la Dre Wendy Levinson, et sur l’initiative « Choisir avec soin » de la SCR, menée par la Dre Shirley Chow.

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Le matériel et les données probantes sont irréfutables. La traduction et la dissémination des connaissances seront primordiales. Peut-être les connaissances croissantes des patients les amèneront-elles à questionner et éduquer les prpaticiens qu’ils rencontreront. Pour ma part, je saute sur toutes les occasions de présenter ce matériel lorsqu’on me laisse le choix d’un sujet d’éducation médicale continue (EMC), y compris aux clubs de lecture, aux conférences d’EMC en croisière et à des événements comme Primary Care Today.

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Je garde l’espoir que la prochaine génération de dossiers médicaux électroniques (DME) intégrera des lignes directrices sur les tests à effectuer au point de service ainsi que des tableaux de bord pour optimiser les soins en temps réel. Peut-être qu’une fenêtre pourrait apparaître à l’écran d’un omnipraticien lorsqu’il demande une série de tests de rhumatologie en laboratoire pour un patient atteint de simple OA de la hanche ou du genou. Peut-être que cela pourra éviter les tests d’anti-ADNdb et d’antigènes nucléaires extractibles (ANE) demandés alors que le statut AAN n’a pas encore été déterminé. On ne peut qu’espérer!

Références :

1. Glouberman S. Knowledge transfer and the complex story of scurvy. J Eval Clin Pract 2009; 15(3):553-7.

2. Ericsson KA, Krampe RTh et Tesch-Romer C. The role of deliberate practice in the acquisition of expert performance. Psychol Rev 1993; 100(3):393-406.

3. Miller A, Mahtani KR, Waterfield MA, et coll. Is rheumatoid factor useful in primary care? A retrospective cross-sectional study. Clin Rheumatol 2013; 32(7):1089-93.

4. Abeles AM, Abeles M. The clinical utility of a positive antinuclear antibody test result. Am J Med 2013; 126(4):342-8.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)

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