Été 2015 (volume 25, numéro 2)
Chercheur émérite 2015 :
Dr Hani El-Gabalawy
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1. Vous avez mentionné que vos mentors à l’Université McGill
avaient influencé votre intérêt pour la rhumatologie. Avec le recul, quels ont été les aspects les plus enrichissants de votre carrière en rhumatologie, et quels ont été les plus grands défis?
Pour moi, les aspects les plus enrichissants de la rhumatologie ont été, en premier lieu, la possibilité d’établir des relations thérapeutiques à long terme avec mes patients et d’observer l’impact de mes décisions cliniques sur leur chemin de vie. Ceci a été une source de grande satisfaction, tout en m’apportant parfois d’importantes leçons d’humilité. Deuxièmement, faire partie de la révolution des thérapies ciblées en rhumatologie a été une expérience exaltante pour moi, comme pour tous les rhumatologues. Nous avons tracé la voie en matière d’agents thérapeutiques biologiques ciblés et d’établissement de liens entre le traitement et les mécanismes pathologiques. De nombreuses autres disciplines nous sont redevables pour leurs progrès thérapeutiques. Partout à travers le monde, la communauté de rhumatologie se compose de bonnes personnes qui collaborent bien ensemble et s’apprécient l'une l'autre. Enfin, cela a été un privilège de travailler dans un centre universitaire avec un flux constant de jeunes esprits désireux de faire une différence.
Pour ce qui est des défis, je dirais le fait d’être à l’ombre de disciplines bénéficiant de communautés médicales de plus grande envergure et souvent avec des salaires plus élevés. Ceci s’applique également à leurs communautés scientifiques, car « ce n’est que de l’arthrite, après tout... » Les rhumatologues ont dû, collectivement, faire face à ce phénomène du « on ne nous accorde aucun respect » depuis aussi longtemps que je peux me souvenir. La révolution biologique nous a grandement aidés à cet égard. Depuis plus d’une décennie, la rhumatologie en tant que discipline a fait de vaillants efforts pour attirer les jeunes esprits les plus brillants et talentueux dans notre domaine, mais je crois que les choses commencent enfin à changer.
2. Vous aviez mentionné, en 2011, la possibilité de développer un vaccin contre la PR un de ces jours. Vos recherches vous ont-elles amené plus près de cette possibilité?
Nous sommes tout près de pouvoir envisager un vaccin contre la PR, bien qu’il y ait encore plusieurs considérations importantes pour une telle initiative. J’ai déjà mentionné la nécessité de disposer d’un modèle de risques viable. Il faudra également que le monde de la recherche biomédicale nous amène de nouveaux renseignements pour cibler correctement le système immunitaire de façon hautement spécifique, sécuritaire et rentable. L’induction d’une tolérance immunitaire a été le Saint-Graal de cette recherche, mais cela n’a pas été chose facile.
Un autre important défi est d’avoir suffisamment de sujets d’étude (puissance) pour entreprendre des essais cliniques de prévention. Il est fort peu probable que nous soyons en mesure de tester plusieurs stratégies différentes, alors il nous faut choisir judicieusement les études que nous entreprendrons.
Enfin, nous avons commencé à explorer les dimensions éthiques applicables par le biais de groupes de discussion dans les communautés locales. Ceux-ci nous ont permis de mieux comprendre comment les gens évalueront possiblement les risques liés à la PR par rapport aux risques liés aux stratégies de prévention.
3. Vous avez passé les dernières années à étudier et soigner les membres des Premières nations atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR). Quelles sont les principales percées que vous avez eues avec vos recherches? Quelle incidence ces soins cliniques spécialisés a-t-elle eue dans ces communautés?
Notre programme de recherche, qui est axé sur la PR et d’autres maladies rhumatismales dans les peuples des Premières nations, a été enrichissant à de nombreux égards. Il convient d’abord et avant tout de reconnaître que ce programme n’aurait pas été possible sans les dix années de financement continu des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour notre projet intitulé « Détection précoce de la PR chez les membres des Premières nations ». Nous sommes véritablement privilégiés d’avoir eu cette chance d’entreprendre et de maintenir le projet. Comme pour toute étude de cohorte longitudinale, la stabilité du financement de la recherche est un ingrédient essentiel. Et qu’avons-nous fait avec tout ce financement? Bien que nous soyons très fiers de notre dossier de publications, ceci étant la « monnaie » de la recherche scientifique, la plus importante percée découlant de nos études est incontestablement d’avoir amené cette population beaucoup plus près de la possibilité de prévenir cette maladie. Nous sommes maintenant au stade où une quantité substantielle de recherche translationnelle nous a fourni un modèle de risques viable pour la PR chez les patients des Premières nations et nous pouvons commencer à envisager prudemment les risques et bienfaits de différentes interventions qui pourraient effectivement modifier la probabilité de l’apparition imminente de la maladie.
D’un point de vue de pratique clinique, un aspect essentiel de notre stratégie de recherche dans les communautés éloignées des Premières nations, comme celles de St. Theresa Point et Norway House au Manitoba, a été d’amener des services de rhumatologie cliniques dans les communautés où la recherche était entreprise. Nous sommes particulièrement redevables envers le Dr David Robinson pour avoir fourni beaucoup de ces services et pour avoir fait participer beaucoup de nos stagiaires en rhumatologie à ce programme. Le Dr Robinson travaille maintenant au développement de nouveaux modèles pour les services de soins primaires en rhumatologie dans ces communautés qui dépendent de la formation des fournisseurs de soins de santés basés dans les communautés locales pour leur fournir les compétences appropriées.
4. Si vous aviez une « chanson thème » qui jouait chaque fois que vous entrez dans une salle pleine de gens, de quelle chanson s’agirait-il?
I Got A Name, de Jim Croce.
Le Dr El-Gabalawy, toujours très animé, dans son itération du Grand débat.
Illustration gracieusement fournie par Sara Heppner, saragrafix.com, 2015.
5. Comment votre recherche influence-t-elle les soins cliniques des patients? Voyez-vous des différences au niveau de l’approche des chercheurs MD à l’égard des études épidémiologiques et de la recherche sur les services de la santé par rapport aux chercheurs PhD?
À mon avis, les meilleurs programmes de recherche clinique sont ceux qui regroupent les forces d’équipes comptant des chercheurs MD et PhD. Mes 25 années d’interactions avec mon ami et collègue, le Dr John Wilkins, sont un parfait exemple de cette synergie.
6. Si vous pouviez vivre à toute autre période de l’histoire, quelle époque choisiriez-vous?
La période classique à l’interface entre la culture de l’Égypte ancienne et de la Grèce parce que c’est une période qui a eu une profonde influence sur l’évolution de l’humanité.
7. Que croyez-vous être les qualités d’un chercheur émérite? Et comment croyez-vous qu’elles s’appliquent à vous?
La passion, la ténacité et la créativité sont, à mon avis, particulièrement importantes. Je crois que j’incarne bien ces qualités.
Le Dr Cory Baillie et le Dr John Esdaile présentent le Prix du chercheur émérite au
Dr El-Gabalawy.
Crédit photo : SCR, 2015.
8. Comment vos recherches dans le nord du Manitoba ont-elles contribué à notre compréhension globale de la PR? Comment se comparent-elles aux recherches réalisées par des équipes semblables aux États-Unis et en Europe?
Nous avons eu la chance de collaborer avec quelques-uns des meilleurs chercheurs au monde dans ce domaine. En particulier, nos collaborations avec les chercheurs de l’Université de Leiden aux Pays-Bas ont été très stimulantes et productives. En étudiant la PR dans les Premières nations et en comparant nos résultats à d’autres populations à travers le monde, nous avons l’occasion d’examiner des similitudes et différences clés, toutes deux très instructives. Par exemple, nous avons étudié le principal allèle HLA pour le risque de PR, soit le HLA-DRB1*1402. Cet allèle encode la séquence « d’épitope partagé », qui est commun à pratiquement tous les allèles de risque HLA qui ont été identifiés dans de multiples populations. D’un autre côté, *1402, qui est unique aux populations nord-américaines, encode d’autres acides aminés à un niveau différent de la molécule qui s’est avéré protecteur pour la PR dans d’autres populations. Débroussailler ce fascinant paradoxe nous apporte des connaissances importantes sur la PR spécifiquement chez les patients des Premières nations, mais aussi pour la PR en général.
Le Dr El-Gabalawy monte la garde devant le contenu de ses travaux de recherche.
Crédit photo : Dr Fred Doris, 2015.
9. Y a-t-il d’autres domaines d’intérêt que vous aimeriez explorer dans le futur?
Notre laboratoire à l’Université du Manitoba, le Manitoba Centre for Proteomics and System Biology, se concentre sur l’application de nouvelles technologies protéomiques de pointe à l’analyse d’un spectre de fluides biologiques. Nous nous rapprochons d’être capable de quantifier le « protéome » entier de façon semblable à ce qui a été réalisé avec le génome exprimé (microréseau). Ceci est excitant puisque nous pouvons l’appliquer aux échantillons sériques avant et après l’apparition de la PR. Nous étudions aussi activement les changements épigénétiques au niveau des cellules sanguines périphériques, comme les lymphocytes, qui pourraient précéder l’apparition de la PR.
10. Si vous pouviez effacer une journée de l’histoire, laquelle serait-ce?
Le 11 septembre 2001.
11. Je n’avais jamais prévu que je dirigerais une étude du National Institute of Health (NIH) des États-Unis sur l’arthrite précoce, jusqu’à ce que cela se produise.
12. Quelle a été votre première pensée en apprenant que vous alliez recevoir ce prix?
« Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à mes collègues pour donner l’impression que je méritais vraiment cet honneur?! »
13. Qu’aimez-vous le plus du fait de vivre au Manitoba?
Le Manitoba est un endroit ou de grandes réalisations se font de façon discrète. Les Manitobains ne se vantent pas excessivement de leurs réalisations.
Hani S. El-Gabalawy, M.D., FRCPC
Titulaire d'une chaire fondée en recherche rhumatologique
Professeur de médecine et d’immunologie,
Université du Manitoba
Winnipeg, Manitoba |