Été 2015 (volume 25, numéro 2)
Prix Innovation en FMC 2015 :
Dr Henry Averns
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1. Pourquoi avez-vous choisi de devenir rhumatologue? Quels événements ou personnes vous ont influencé en cours de route?
Ma mère souffrait de polyarthrite rhumatoïde (PR), alors je comprenais déjà un peu les effets de cette maladie sur une famille. Je me disais que j’aurais probablement une pratique dans ce domaine quand j’ai commencé mes études en médecine et, comme c’est souvent le cas, ma décision finale a été confirmée par la grande chance que j’ai eue de passer deux périodes significatives avec un rhumatologue qui avait d'ailleurs lui-même passé beaucoup de temps au Canada. Le Dr John Winfield a été la source d’inspiration qui a confirmé mon instinct d’aller vers la rhumatologie. Déjà, en tant qu’étudiant en médecine, j’avais compris que la seule façon que je pouvais espérer consacrer mes week-ends à la pêche à la mouche était de choisir la bonne spécialisation.
2. Pourriez-vous nous décrire en quelques mots le projet de recherche pour lequel vous avez gagné le prix Innovation en FMC?
Chaque année, depuis maintenant vingt ans, nous avons essayé d’entreprendre un projet de vérification de dossiers cliniques, et je ne doute aucunement qu’une fois qu’on s’habitue à apprivoiser nos faiblesses et nos échecs, la honte initiale et l’auto-flagellation peuvent mener à des améliorations aux soins des patients. Cette année, nous avons examiné l’efficacité de notre évaluation des facteurs de risque chez les patients traités par des agents biologiques et nous avons détecté quelques lacunes évidentes auxquelles nous pensons maintenant avoir remédié.
3. Où avez-vous offert des services de rhumatologie en région éloignée et comment cela a-t-il influencé votre pratique de rhumatologie régulière?
J’ai tenu des cliniques dans plusieurs communautés sur la côte ouest de la baie James. Malheureusement, j’ai dû grandement réduire mes activités à ce niveau dernièrement en raison de défis organisationnels continus. Les nombreuses difficultés liées à la prestation de soins dans ces communautés sont bien reconnues. Ceci est assurément un domaine où l’on est forcé d’accepter que le changement se fait à une vitesse beaucoup plus lente que ce que l’on souhaiterait. Néanmoins, les bénéfices de l’apprentissage tiré de ces communautés sont incommensurables.
4. Si vous pouviez être n’importe quelle articulation du corps, laquelle seriez-vous et pourquoi?
La suture sphénozygomatique dans le crâne, évidemment.
5. Quand vous êtes venu vous installer au Canada, vous étiez déjà bien établi comme rhumatologue au Royaume-Uni. Comment compareriez-vous votre expérience de la rhumatologie dans les deux pays?
Je crois que le phénotype de la rhumatologie est sensiblement le même dans les deux; chacun est parvenu à promouvoir une pratique fondée sur les résultats de pointe tout en conservant le véritable art de la médecine clinique.
Une des différences les plus frappantes serait le fait qu’au Royaume-Uni, pratiquement tous les consultants sont employés par le service national de santé du R.-U.; peu importe leur spécialité, tous reçoivent le même salaire (qui augmente avec l’ancienneté). Au Canada, j’ai été surpris de voir que certaines spécialités semblent ne pas avoir la même valeur que d’autres. Le système du R.-U. comporte de nombreux avantages tout en étant en mesure de récompenser les plus méritants. Une formule de rémunération à l’acte donne lieu à une relation très différente entre les médecins, les patients, leurs équipes et le gouvernement, et modifie de plus la façon dont les négociations peuvent se faire.
6. Si vous deviez participer aux olympiques, quelle serait votre discipline?
J’ai tendance à éviter de faire grimper ma fréquence cardiaque au-dessus de 75 bpm, alors je crois que les fléchettes me conviendraient bien.
Véritable tourbillon d’idées novatrices, le Dr Henry Averns court entre ses responsabilités de président du Grand débat, de lauréat d’un prix et de présentateur de conférence.
Crédit photo : Dr Fred Doris, 2015.
7. Un récent article publié dans le Globe and Mail soulignait le problème du manque de rhumatologues au Canada, en particulier dans les régions rurales. Selon vous, quelles mesures doivent être mises en place pour commencer à remédier à cette situation dans le futur?
Je ne crois pas qu’on devrait avoir une idée préconçue de l’endroit où on finira par pratiquer. Le modèle actuel a créé une situation où l’emplacement des pratiques est influencé par les forces du marché autant que par le besoin clinique. Nous avons une assez bonne idée du nombre de rhumatologues requis par tranche de 100 000 habitants. De toute évidence, de nombreux jeunes rhumatologues hésitent à trop s’éloigner du nid universitaire. Peut-être devrions-nous avoir certains incitatifs pour les encourager à le faire. On peut rapidement penser à différents modèles qui encourageraient les jeunes à prendre leur envol plus loin du nid.
8. Vous avez récemment ouvert une nouvelle clinique pour pouvoir consacrer plus de temps à vos patients. En quoi cela a-t-il changé votre routine quotidienne? Quels sont les avantages et défis associés à ce changement pour vous dans la pratique?
La pratique en milieu universitaire peut être très enrichissante, mais elle apporte également des contraintes à la pratique clinique. Un cabinet privé est une bonne façon d’échapper aux environnements concurrentiels, et parfois sociopathes, et de développer une pratique efficace. Ce que je n’avais pas pleinement réalisé est que non seulement cela nous laisse-t-il la liberté de former nos équipes et de voir plus de patients, mais cela nous laisse également du temps pour participer à des activités universitaires dans la communauté, paradoxalement plus qu’avant même, dans certains cas.
D’un autre côté, je crois qu’il y a un risque pour les jeunes rhumatologues qui vont en pratique solo trop rapidement de perdre le soutien de leurs pairs et les occasions d’apprentissage qu’on retrouve en milieu universitaire. Il y a fort peu de formation sur l’aspect commercial de la carrière du rhumatologue et des efforts de mentorat pour les jeunes spécialistes auraient assurément une grande valeur.
9. Si vous pouviez effacer une journée de l’histoire, laquelle serait-ce?
Le jour où la lettre de l’Institut des Beaux-arts de l’Allemagne s’est perdue : « Cher M. Hitler... Vos toiles sont extraordinaires... Ne pensez même pas à envisager une autre carrière... »
10. À l’heure actuelle, vous travaillez avec l’Association de rhumatologie de l'Ontario (ARO) pour améliorer l'adoption des dossiers médicaux électroniques (DME) et développer des outils d’évaluation des patients. Comment croyez-vous que ce projet changera le paysage de la rhumatologie? D’autres éléments devront-ils changer en même temps que le projet pour en faciliter le succès?
Le projet nous a déjà aidés à définir notre « dictionnaire de données » et à réfléchir plus clairement à propos de la pertinence des nombreuses données que nous recueillons. Il y a quelques barrières familières à l’adoption, notamment la variabilité importante du format des DME et l’absence d’un seul lexique commun de termes et définitions pour l’ensemble du pays. Par contre, avant longtemps, nous commencerons à partager nos données sur les résultats entre nous, et cela sera une étape majeure pour mieux informer nos pratiques cliniques.
11. Vous avez indiqué sur votre site Web que vous vous intéressez depuis longtemps aux bases de données médicales, aux dossiers médicaux électroniques (DME) et à l’évaluation des résultats. D’où croyez-vous que cet intérêt provient?
J’ai été formé à l’Hôpital Haywood qui avait ce qui était déjà une puissante base de données/DME dans les années 80; de là, j’ai rapidement réalisé le potentiel de l’information électronique. J’ai donc appris à coder assez tôt. Haywood m’a également inculqué l’importance d’une solide collecte de données sur les résultats. J’ai des données pratiquement complètes sur tous les patients que j’ai traités depuis 1996.
12. Ce qui, à votre avis, sera devenu désuet dans dix ans :
Quoi, autre que moi-même?
13. Si vous pouviez vivre à toute autre période de l’histoire, quelle époque choisiriez-vous?
Je paraîtrais bien dans une toge; j’ai le physique idéal pour ça. Mais il me faudrait être un Romain fortuné, car je suis trop paresseux pour être un esclave.
Un trio jovial : le Dr Christopher Penney, le Dr Averns et le Dr Cory Baillie partagent de bons moments à l’ASA 2015 de la SCR.
Crédit photo : SCR, 2015.
14. Vous êtes président du Comité d’accès aux soins de la SCR et vous avez participé à des initiatives visant à améliorer les soins aux patients atteints de maladies rhumatismales dans les populations autochtones. Quels ont été les plus gros défis dans la mise en œuvre de ces initiatives?
Défi n’est pas exactement le bon terme. Il y a un grand intérêt et beaucoup de soutien pour ces initiatives à travers le pays, et notre capacité à forger des liens efficaces entre nous et avec des intervenants clés a donné lieu à de petites, mais fort importantes, avancées vers notre objectif. Je ne peux pas imaginer faire de plus grands pas tant qu’il n’y aura pas un appui clair de tous les intervenants, y compris les patients eux-mêmes, et du gouvernement fédéral. Il faut bénéficier d’une imagination très fertile pour visualiser une telle situation se présentant bientôt...
15. Vous vous retrouvez abandonné seul sur une île déserte. Quel est l’unique livre que vous tenez à avoir avec vous?
Celui de W.C. Doerle qui indique comment fabriquer une radio à ondes courtes. Je m’ennuierais beaucoup sans Mme Averns...
16. Qu’aimez-vous le plus du fait de vivre en Ontario?
Les hivers courts et chauds.
17. Vous avez déjà dit que « le prestige et l’argent peuvent parfois éloigner les médecins de leurs plus profondes valeurs » et que les médecins devraient travailler avec un « désintérêt financier et émotionnel et avec humilité ». Quel événement ou individu vous a amené à respecter ce point de vue et comment croyez-vous que cela a influencé votre carrière?
Malgré son grand succès, mon père était un homme humble qui consacrait une grande part de son temps libre à aider activement ceux qui en avait le plus grand besoin; il tenait véritablement les réalisations personnelles en plus haute estime que le succès financier. Dès qu’il avait l’impression que j’étais poussé par mon ego, la vanité ou l’argent, il s’empressait de me rappeler poliment d’autres valeurs. Après son décès, nous avons réalisé que nous n’étions vraiment pas conscients de la véritable ampleur de sa générosité envers les autres et j’ai compris que je ne serais jamais même proche de l’égaler. Si l’on me juge par mes actions plutôt que par mes paroles, je suis en fait pas mal superficiel.
18. Si vous aviez une « chanson thème » qui jouait chaque fois que vous entrez dans une salle pleine de gens, de quelle chanson s’agirait-il?
Est-ce qu’il y a une chanson intitulée « Voici venir le gros Anglais chauve et embêtant »? Cela m’irait assez bien.
Il n’a peut-être pas réussi comme mannequin,
mais le Dr Averns fait sensation en caricature!
Illustration gracieusement fournie par Sara Heppner, 2015. saragrafix.com
19. Quel a été votre premier emploi rémunéré? Combien de temps l’avez-vous gardé?
J’ai posé ma candidature comme mannequin pour une revue de mode. Lorsqu’ils m’ont vu, ils m’ont donné 20 £ pour partir et ne jamais revenir.
20. Quelle est votre plus grosse bête noire?
La vanité.
21. Si vous pouviez inventer un gadget, qu’est-ce que ce serait et pourquoi en avons-nous besoin?
J’aimerais vraiment avoir quelque chose qui donnerait l’impression que je suis attentif quand la situation est ennuyeuse. Ma capacité d’attention est d’environ 90 secondes...
22. Qu’est-ce qui a changé en vous au cours des dernières années, pour votre plus grande surprise?
Je semble avoir plus de poils dans les oreilles! Mon père m’avait prévenu que cette terrible chose pourrait se produire...
23. Si vous pouviez allez jouer aux quilles avec trois personnes de votre choix, mortes ou vivantes, qui choisiriez-vous et pourquoi?
Stevie Wonder, Ray Charles et George Shearing. Nous pourrions parler de musique et je pense que je gagnerais peut-être.
Henry L. Averns, MBChB, FRCP(UK), FRCPC
Rhumatologue
Kingston, Ontario |