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Été 2014 (volume 24, numéro 2)

L’amendement au Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales : quel est le rôle des rhumatologues?

par Mary-Ann Fitzcharles, M.B., Ch.B., MRCP(UK), FRCPC, et Peter A. Ste-Marie, B.A., LL.B.

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Il y a 500 ans, le tabac était considéré comme la panacée à tous les maux, y compris le rhumatisme. Rapportée des Amériques vers l’Europe par les premiers explorateurs, les vertus de cette plante magique étaient louangées par les rois et leurs courtisans, ce qui a donné naissance à un commerce lucratif encore très florissant de nos jours. Il a malheureusement fallu plusieurs siècles pour comprendre les effets néfastes du tabac sur la santé. Vu les préoccupations actuelles à propos de la marihuana, pourrait-on penser que le monde arrive au même point de bascule que pour le tabac il y a un demi-siècle? Le cannabis, que beaucoup vantent comme une plante ayant de nombreux effets médicinaux, s’est retrouvé du jour au lendemain dans le domaine thérapeutique par suite des nombreuses interventions de groupes de défense des intérêts des patients. Malgré la faiblesse des preuves scientifiques, des organismes de réglementation dans de nombreux pays ont décidé de légaliser cette substance à des fins médicales.

Pourquoi les rhumatologues devraient-ils s’intéresser au cannabis?

Tout d’abord, parce que le système des récepteurs des cannabinoïdes chez l’humain joue un rôle important dans la douleur, dans l’inflammation et dans les mécanismes immunitaires. Ensuite, parce que les patients qui souffrent de douleurs rhumatismales cherchent à se renseigner sur les cannabinoïdes, et certains recourent à l’automédication ou obtiennent du cannabis grâce à la réglementation canadienne en vigueur. Pourtant, il n’existe aucun essai comparatif à répartition aléatoire ayant permis d’évaluer la posologie, l’efficacité ou les effets indésirables du cannabis chez des patients atteints de maladies rhumatismales1. Par conséquent, il n’est pas étonnant que les deux tiers des membres de la SCR qui ont répondu à un sondage récent aient déclaré mal connaître les cannabinoïdes; 70 % des rhumatologues interrogés recommandent de ne pas prescrire du cannabis pour soulager les symptômes des maladies rhumatismales2. Des préoccupations semblables avaient été exprimées par les omnipraticiens du Colorado : moins d’un cinquième d’entre eux étaient d’accord avec l’usage du cannabis à des fins médicales3.

Risques reliés à l’usage du cannabis

Contrairement à la croyance populaire, le cannabis inhalé n’est pas inoffensif. Les risques sont classés en risques à court terme, soit les effets immédiats sur la cognition, la fonction psychomotrice, le système cardiovasculaire et l’humeur, et les risques à long terme pour la santé mentale, la santé pulmonaire, le risque de cancer et de toxicomanie4.

Chez les personnes qui souffrent de troubles rhumatismaux, l’effet thérapeutique se définit essentiellement par le soulagement des symptômes et la préservation de la fonction articulaire. Les effets indésirables psychiatriques immédiats, soit l’anxiété, les idées suicidaires et la psychose aiguë, sont les plus connus, mais les effets sur la cognition méritent une attention particulière5,6. Même chez des jeunes qui consommaient régulièrement à des fins récréatives, les effets indésirables psychomoteurs avaient persisté pendant environ cinq heures après la consommation du cannabis7. En outre, la consommation de cannabis à été reliée à un risque au moins deux fois plus élevé de collisions automobiles graves et mortelles8. Santé Canada a émis une mise en garde à l’effet que l’aptitude à conduire un véhicule peut être amoindrie pendant environ 24 heures après avoir consommé du cannabis9.

Quant aux risques à long terme, on ne peut que les extrapoler à partir des résultats d’étude chez des usagers du cannabis à des fins récréatives; ces risques touchent les maladies chroniques des voies respiratoires et le cancer du poumon. Une étude longitudinale récente d’une durée de
40 ans menée auprès de jeunes usagers de cannabis, avec un groupe témoin fumant la cigarette, a montré que le risque de cancer du poumon était deux fois plus élevé dans le groupe qui consommait du cannabis10. Parmi les risques pour la santé mentale, on note la dépression, la mise en évidence de maladies psychiatriques graves et la toxicomanie vraie, dont le taux d’incidence cumulée était de 37,2 % chez les jeunes usagers11-13. Découvrir le véritable motif de l’usage du cannabis requiert un interrogatoire minutieux, et il se peut que des patients utilisent un diagnostic médical de manière fallacieuse pour avoir accès au cannabis.

Nouveau règlement canadien sur le cannabis à des fins médicales

Le 1er avril 2014, le nouveau Règlement sur la marihuana à des fins médicales (RMFM) est entré en vigueur, modifiant la réglementation canadienne en cette matière. En vertu de la version antérieure, ou Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (RAMFM), les médecins qui attestaient d’une raison médicale pour justifier la demande d’un patient auprès de Santé Canada en vue d’être autorisé à posséder ou à cultiver du cannabis, ou les deux, avaient l’obligation d’informer le patient des risques et des bienfaits, sans par ailleurs rédiger une ordonnance en bonne et due forme. Le nouveau règlement stipule toutefois que les médecins doivent prendre l’entière responsabilité de la prescription du cannabis en remplissant un « document médical », un euphémisme pour « ordonnance », précisant la dose quotidienne et la durée d’utilisation, qui ne doit pas dépasser un an. En outre, ce nouveau règlement n’exige pas de preuves de l’échec des traitements usuels ni un diagnostic précis.

Le primum non nocere réitéré dans le serment d’Hippocrate, ou « tout d’abord, ne pas nuire », est le principe sur lequel se fondent les codes d’éthique qui gouvernent l’exercice de la médecine. Ce principe fondamental est renforcé par l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) en matière d’ordonnances. Autrement dit, avant de prescrire quelque traitement que ce soit, le médecin doit avoir une connaissance suffisante du traitement; il doit posséder des connaissances scientifiques sur les risques et les bienfaits du traitement, y compris les aspects connus et inconnus du traitement. Une discussion rationnelle à propos du consentement doit avoir lieu entre le médecin et son patient, et elle doit être entièrement documentée dans le dossier médical. Enfin, le médecin a l’obligation légale de se conformer aux règlements de l’organisme d’attribution des permis de sa province.

Les militants en faveur d’un accès plus facile au cannabis à des fins médicales citent des décisions juridiques, et certains prétendent même avoir le droit constitutionnel d’utiliser ce produit pour des raisons de santé. C’est une idée erronée. En 2000, dans la cause de R. vs Parker, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’interdiction générale de la marihuana était inconstitutionnelle parce qu’elle ne permettait pas aux personnes ayant des raisons médicales valides d’utiliser ce produit. Le gouvernement fédéral a par la suite adopté le RAMFM en 2001 pour se conformer à la décision du tribunal. Dix ans plus tard, dans la cause de
R. vs Mernagh, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a erré dans son interprétation du jugement dans la cause de Parker en concluant que les personnes atteintes de maladies graves ont automatiquement le droit d’utiliser la marihuana à des fins médicales. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté cette interprétation en 2013 et elle a réitéré que les personnes faisant une demande d’exemption devaient présenter une preuve d’un besoin médical réel. Maintenant que les médecins seront les seuls à contrôler l’accès à la marihuana à des fins médicales, ces considérations juridiques demeurent pertinentes. Les médecins n’ont pas d’obligation légale de prescrire le cannabis à des fins médicales à la demande du patient, tout comme ils ne vont pas à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’ils refusent de le faire. Au contraire, les médecins sont pleinement en droit d’exercer une médecine fondée sur les preuves scientifiques et ils ont l’obligation légale de se conformer aux codes d’éthique et aux règlements de leur profession.

Quelles recommandations devraient être faites aux rhumatologues?

En tenant compte des besoins du patient, de la loi et des codes d’éthique qui gouvernent l’exercice de la médecine, et à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, l’usage du cannabis devrait être réservé aux situations exceptionnelles où un patient éprouve des douleurs insupportables non soulagées par les traitements disponibles. Vu l’absence de la moindre preuve scientifique reconnue, vu l’absence d’information sur la posologie recommandée et vu les préoccupations importantes exprimées à propos de l’altération des fonctions et des effets à long terme, une ordonnance pour le cannabis contrevient à l’éthique médicale, à moins qu’elle ne soit motivée par des raisons de compassion. Nous sommes des médecins compatissants, mais nous ne devons pas céder aux pressions des défenseurs de la cause de la marihuana thérapeutique. Obliger les médecins à adopter des pratiques qui vont à l’encontre des codes d’éthique médicaux est une position indéfendable.

Références :

1. Fitzcharles MA, McDougall J, Ste-Marie PA, et coll. Clinical implications for cannabinoid use in the rheumatic diseases: potential for help or harm? Arthritis Rheum 2012; 64(8):2417-25.

2. Fitzcharles MA, Ste-Marie PA, Clauw DJ, et coll. Rheumatologists lack confidence in knowledge of cannabinoids in the management of rheumatic conditions: a needs assessment of Canadian rheumatologists. Arthritis Rheum 2013; 65(10):S49.

3. Kondrad E, Reid A. Colorado family physicians' attitudes toward medical marijuana. J Am Board Fam Med 2013; 26(1):52-60.

4. Kalant H. Adverse effects of cannabis on health: an update of the literature since 1996. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2004; 28(5):849-63.

5. Thornicroft G. Cannabis and psychosis. Is there epidemiological evidence for an association? Br J Psychiatry 1990; 157:25-33.

6. Moreira FA, Grieb M, Lutz B. Central side-effects of therapies based on CB1 cannabinoid receptor agonists and antagonists: focus on anxiety and depression. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2009; 23(1):133-44.

7. Mensinga TT, de Vries I, Kruidenier M, et coll. A double-blind, randomized, placebocontrolled, cross-over study on the pharmacokinetics and effects of cannabis. 2006 Nationaal Vergiftigingen Informatie Centrum, RIVM Report, 267002002.

8. Asbridge M, Hayden JA, Cartwright JL. Acute cannabis consumption and motor vehicle collision risk: systematic review of observational studies and meta-analysis. BMJ 2012; 344:e536.

9. Gouvernement du Canada, ministère de la Justice. Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (DORS/2001-227). Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Affiché à : http://www.laws.justice.gc.ca/fra/reglements/DORS-2001-227/TexteComplet.html

10. Callaghan RC, Allebeck P, Sidorchuk A. Marijuana use and risk of lung cancer: a 40-year cohort study. Cancer Causes Control 2013; 24(10):1811-20.

11. Harder VS, Morral AR, Arkes J. Marijuana use and depression among adults: Testing for causal associations. Addiction 2006; 101(10):1463-72.

12. van der Pol P, Liebregts N, de Graaf R, et coll. Predicting the transition from frequent cannabis use to cannabis dependence: A three-year prospective study. Drug Alcohol Depend 2013; 133(2):352-9.

13. Johns A. Psychiatric effects of cannabis. Br J Psychiatry 2001; 178:116-22.

Mary-Ann Fitzcharles, M.B., Ch.B., MRCP(UK), FRCPC
Professeure agrégée, Département de rhumatologie,
Centre Alan Edwards de recherche sur la douleur,
Centre universitaire de santé McGill, Montréal, Québec

Peter A. Ste-Marie, B.A., LL.B.
Faculté de droit, Université de Montréal
Centre Alan Edwards de recherche sur la douleur,
Centre universitaire de santé McGill, Montréal, Québec

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