Été 2014 (volume 24, numéro 2)
Prix du chercheur émérite de la SCR 2014 : Dr Brian Feldman
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1. Quelles circonstances ou quelles personnes vous ont poussé vers la recherche? Avez-vous toujours su que votre cheminement de carrière vous mènerait dans cette direction?
Je m’intéressais déjà à la recherche clinique, et à ce qu’on appelle maintenant la « médecine fondée sur les données probantes » quand j’étais étudiant au secondaire. Mon père est un pédiatre universitaire et a été membre de la faculté à l’Université McMaster de la fin des années 60 au milieu des années 80. Parmi nos amis de famille, nous comptions quelques-uns des chefs de file dans le développement de l’épidémiologie clinique et j‘ai été fortement influencé, tout au long de mon adolescence, par mon père et ses collègues et par le mouvement excitant qu’ils étaient en train de développer. Dès le secondaire, j’ai commencé à rechercher des occasions de participer à des projets de recherche et, fortement encouragé par mes mentors en rhumatologie, les Drs Ron Laxer et Earl Silverman, j’ai profité d’une occasion de travail postuniversitaire qui s’est présentée dans la région durant mon cursus. L’Université de Toronto lançait tout juste son programme postdoctoral en épidémiologie clinique à ce moment-là; il était très excitant d’étudier à cet endroit. La Dre Elaine Wang, feu le Dr John-Paul Szalai et la Dre Claire Bombardier ont été quelques-uns de mes formidables mentors durant mes études postdoctorales. Je ne pensais jamais que j’en viendrais à consacrer autant de temps à la science, et je ne croyais pas que ma pratique clinique se serait un jour à ce point réduite, mais les choses ont évolué au fil des années (comme elles le font toujours) et je ne pourrais pas en être plus heureux.
2. Vous avez développé des méthodes d’investigation pour étudier des patients atteints de troubles rares, lesquelles ont été adoptées pour d’innombrables études de recherche. Quelle a été votre inspiration pour la conception d’essais cliniques? Quelle a été l’incidence de vos contributions sur l’environnement de la recherche au Canada?
Mes méthodes n’ont pas été adoptées à grande échelle. J’espère plutôt que mes travaux ont permis à d’autres scientifiques de rechercher sans hésitation d’autres modèles de recherche pour étudier des traitements dans des contextes difficiles. En tant que rhumatologues, nous traitons des patients atteints d’une vaste gamme de troubles rares. Les essais cliniques traditionnels ont souvent besoin de grands nombres de patients pour produire des résultats précis et définitifs. Comme bien d’autres investigateurs frustrés, je me disais (et je me dis toujours) que de trouver de nouvelles façons d’étudier l’efficacité réelle des traitements est un objectif important, même en l’absence de nombres adéquats de patients pour l’étude. Le but est, je suppose, d’obtenir les meilleures données probantes possible pour les traitements même lorsque des essais cliniques traditionnels ne sont pas réalisables. Si mes travaux ont eu la moindre influence, j’espère que c’est en encourageant les investigateurs à se montrer plus flexibles dans leur façon de penser à la production de données probantes en leur faisant comprendre que quelques données valent mieux qu’aucune.
3. Tous vos efforts de représentation ont fait avancer considérablement le programme de rhumatologie pédiatrique au Canada. Selon vous, quel est le principal obstacle dans le domaine de la pédiatrie? Quelles belles réussites nous réserve l’avenir?
Les Canadiens accordent une très grande valeur aux enfants et à la santé des enfants. Cependant, les enfants malades sont beaucoup moins nombreux que, disons, les personnes âgées malades. Par exemple, si l’arthrose peut toucher plus de 40 % des adultes au Canada, l’arthrite infantile (selon la définition que vous lui donnez), n’atteint qu’environ un enfant sur 250. Nous aimons les enfants, mais les subventions canadiennes pour la recherche et les soins cliniques sont, par pure nécessité, dirigées vers les plus grands défis en matière de santé. Je crois que nos réussites dans le domaine pédiatrique ont été réalisables grâce à la vision de nos chefs de file en rhumatologie pédiatrique qui ont su développer des partenariats très bien organisés à travers le pays. Cela nous a permis d’être beaucoup plus compétitifs dans nos efforts pour obtenir des subventions de recherche et de mieux représenter nos projets que si nous avions tenté de le faire individuellement. De plus, nous avons bénéficié du soutien de la communauté de rhumatologie en général. Ces organismes, notamment la SCR, la Société de l’arthrite, le Réseau canadien de l'arthrite (RCA), l'Alliance de l'arthrite du Canada (AAC) dans son ensemble, ont toujours soutenu nos efforts pour améliorer les soins et la recherche pour les enfants.
4. Votre approche d’investigation est très complète, englobant les manifestations cliniques, l’évolution de la maladie et la résultante, les approches thérapeutiques et la conception de l’étude. En quoi cette approche inclusive fait-elle de vous un chercheur plus efficace?
Je suppose qu’il y a différentes façons de développer une carrière en recherche. Les jeunes chercheurs se font souvent dire qu’ils devront concentrer leurs efforts sur un point très précis pour réussir. Et assurément, il existe d’excellents exemples de ce type de chercheurs ayant obtenu beaucoup de succès. En rétrospective, j’avoue avoir fait les choses un peu différemment. J’ai eu la chance de pouvoir m’attaquer à toutes les questions qui me semblaient super intéressantes et de pouvoir utiliser toutes les méthodes qui me semblaient amener un nouveau potentiel au fur et à mesure qu’elles se présentaient. Ceci m’a parfois fait prendre des détours qui m’éloignaient de la rhumatologie, par exemple pour me pencher sur les troubles sanguins, le cancer, les interventions chirurgicales pour le syndrome de l’intestin court, la maladie inflammatoire des intestins et les troubles hépatiques. Je crois que ce que j’entends le plus souvent lorsque je rencontre des étudiants et coordonnateurs au niveau postdoctoral, que cela vienne d’eux ou de moi-même, est « ce serait vraiment génial ÇA, non? » Je ne suis pas certain que notre manque de focus nous rend plus efficaces, mais cela rend certainement tout le processus beaucoup plus amusant!
Dr Feldman recevant son prix du président de la SCR, Dr Carter Thorne, et de la Dre Claire Bombardier.
5. Comment et pourquoi les rhumatologues devraient-ils être plus actifs au sein de la Société de l’arthrite?
J’ai initialement décidé de contribuer aux activités de la Société de l’arthrite pour pouvoir leur « redonner » quelque chose, puisqu’ils avaient financé ma bourse de recherche clinique. La Société de l’arthrite est une des plus importantes sources de financement pour la recherche en rhumatologie au Canada et dispose d’une puissante voix pour représenter nos patients. C’est également un des principaux forums par le biais duquel le public canadien peut avoir une interaction avec la communauté de rhumatologie. Au fil des années, j’ai entendu de nombreuses personnes chanter les louanges de la Société de l’arthrite, mais j’ai également entendu les voix de quelques rhumatologues mécontents de voir la direction qu’avait prise la Société de l’arthrite. Je crois que la meilleure raison d’être actif au sein d’un organisme est pour pouvoir influencer la direction qu’elle prendra. C’est certainement le cas pour la Société de l’arthrite.
6. Que conseillerez-vous à ceux qui s’intéressent à la rhumatologie et visent une carrière en recherche?
Le moment est très bien choisi pour une carrière en rhumatologie. Il y a une importante pénurie de personnel et des postes sont ouverts partout au pays pour tous les types de rhumatologues, incluant des cliniciens en milieu communautaire ou universitaire, des éducateurs et des chercheurs. Pour ceux qui s’intéressent à la recherche, je suggérerais deux choses pour vraiment « activer la partie ». D’abord, faites des études supérieures, de préférence un doctorat et avec un excellent superviseur. Ensuite, entreprenez cette formation à la fin de votre formation clinique. Il est assez facile de revenir en milieu clinique après quelques années d’absence consacrées à l’obtention d’un doctorat puisque l’évolution se fait très lentement en médecine clinique, à la grande frustration de nombreux patients. Il est beaucoup plus ardu de se relancer dans la recherche après quelques années d’absence en milieu clinique, car le domaine de la recherche évolue à une vitesse fulgurante et il est difficile de demeurer compétitif après avoir pris une pause.
7. Vous êtes titulaire d’un nombre impressionnant de chaires. Comment gérez-vous toutes vos réalisations simultanément? Avez-vous quelques conseils pour vos collègues sur comment concilier leurs engagements et leurs obligations et trouver un bon équilibre?
Je ne suis probablement pas la meilleure personne pour parler « d’équilibre », mais essayons toujours : pour accomplir ce qui doit être accompli, je trouve important de constamment remettre en question mes priorités. Je tiens une liste de mes projets et de mes tâches à accomplir dans une base de données informatique. Chaque fois qu’une nouvelle tâche se présente, je réfléchis sérieusement à son importance réelle, relativement parlant. Je planifie ma semaine, en général le dimanche, de façon à réserver du temps pour les tâches les plus prioritaires et afin de pouvoir dire, à la fin de la semaine, en regardant ce que j’ai fait durant celle-ci : « J’ai accompli certaines choses cette semaine. » Je crois qu’il est aussi important de planifier du temps pour le développement personnel et l’apprentissage, ce qui pour moi signifie généralement de la lecture sur des sujets un peu en dehors du domaine. Enfin, je crois que même la personne la plus occupée doit se garder du temps pour s’amuser. Je viens juste de commencer à pratiquer le dressage western (reining), un sport équestre très emballant et un excellent moyen, du moins pour moi, de me sortir la tête de la rhumatologie et de la recherche pour y revenir ensuite frais et dispos.
Brian Feldman, M.D., M. Sc., FRCPC
Chaire de la famille Ho en maladies auto-immunes
Professeur de pédiatrie, médecine,
Institution of Health Policy Management & Evaluation
Université de Toronto
Scientifique principal et chef,
Service de rhumatologie,
The Hospital for Sick Children
Toronto, Ontario |