Automne 2014 (volume 24, numéro 3)
Plus ça change...
par Philip A. Baer, M.D., C.M., FRCPC, FACR
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« The more things change the more they stay the same / The same sunrise, it's just another day / If you hang in long enough they say you're comin' back. »
— Bon Jovi, « The More Things Change », Greatest Hits, 2010.
Depuis quelque temps, je m’acharne à numériser systématiquement les vieux dossiers en papier de mes patients actifs dans mon relativement nouveau système de dossiers médicaux électroniques (DME). Il s’avère que cette tâche exige beaucoup de temps, mais que c’est aussi très intéressant. Certains de mes patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) sont avec moi depuis près de 30 ans, incluant quelques-uns rencontrés au cours de ma spécialisation en rhumatologie qui m’ont ensuite suivi en pratique privée. Leurs dossiers sont incroyablement épais, et les feuilleter révèle à quel point j’en ai oublié sur ce qui avait l’habitude de passer pour un traitement efficace à une certaine époque, autant de ma part que de celle de mes professeurs et pairs. Traitions-nous vraiment la PR, en 1985, par l’ajout d’une dose d’indométacine le soir à une forte dose d’acide acétylsalicylique (AAS) trois fois par jour? Triste, mais oui. Puis est venue la chloroquine (le dogme d’une certaine époque étant que l’hydroxychloroquine était plus sûre, mais aussi moins efficace), peut-être de l’or, et ensuite quelques tentatives hésitantes avec le méthotrexate (MTX). Les résultats n’ont rien eu de surprenant : une maladie active avec des dommages articulaires visibles à l’œil nu.
Bon, tout cela fait partie de l’histoire ancienne, puisque nous sommes maintenant à l’ère des agents biologiques et des traitements par association avec des antirhumatismaux modifiant l'évolution de la maladie (ARMM) administrés de façon agressive; en fait, la PR est maintenant une « invalidité invisible ». C’est ce que j’ai appris en lisant un article dans le Toronto Star en mars 2014. L’histoire faisait référence à une patiente atteinte de PR grave, Sandra Kendall, qui a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de l'Ontario en demandant 100 000 $ en dommages-intérêts. Elle affirme que la commission de transport locale a omis de maintenir l’accès à des places de stationnement pour les personnes handicapées. L’auteur précise que Mme Kendall n’utilise aucun accessoire d’aide à la mobilité; elle déclare que les gens qui, comme elle, ont des invalidités invisibles se font souvent dévisager froidement lorsqu’ils demandent des sièges prioritaires ou toute autre assistance dans les moyens de transport1. Elle n’a pas plus de chance avec la police des transports quand elle tente de les convaincre d’émettre des contraventions aux gens qui bloquent les espaces de stationnement accessibles réservés aux chauffeurs ayant un permis de stationnement pour personnes handicapées, comme elle-même.
Ainsi, dans certains secteurs, la PR a été transformée d’une invalidité évidente et visible en une invalidité invisible. Toutefois, à d’autres égards, rien n’a changé par rapport à cette mentalité qui prévalait en 1985. Tous les trois mois, je reçois un questionnaire de sondage sur papier d’IMS Brogan, désigné comme étant l'Index canadien des maladies et traitements (ICMT). L’incitatif est maigre et j’essaie constamment de démissionner, ce qui mène généralement à un appel téléphonique suppliant pour m’expliquer à quel point ces données sont précieuses pour aider à comprendre les tendances de prescription. Si je me fie à l’angoisse que j’entends à l’autre bout de la ligne, je dois être le seul rhumatologue à fournir des données à ce projet.
Que me demande-t-on de faire? Pendant deux jours, chaque trimestre, je dois tenir un registre de données anonymisées sur les patients que je vois et les médicaments que je leur prescris. Pour me guider, un exemple est fourni sur le devant de chaque livret. Qui est le patient prototypique? Un homme de 67 ans atteint de PR qui ne m’a pas été recommandé par un autre médecin et que j’ai vu quatre fois au cours de la dernière année, dont la dernière fois il y a 10 jours. Quelle est la prescription pour ce patient? Du naproxène 250 mg 2 f.p.j. comme anti-inflammatoire et
5 grains d’ECASA au besoin pour soulager la douleur! Aucun ARMM, aucun agent biologique et à quelle quantité correspond
5 grains d’aspirine au juste? Je ne pense pas que cela soit représentatif de ma norme de soins en 1985, et encore moins de ce que je fais aujourd’hui, mais la traduction des connaissances du monde de la rhumatologie à la conscience générale de la société progresse apparemment à la vitesse des glaciers.
Référence :
1. Kalinowski T. “GO rider files human rights complaint after other drivers block disabled parking.” Toronto Star [Toronto] 27 mars 2014. Disponible à l’adresse : www.thestar.com/news/gta/2014/03/27/go_rider_
files_human_rights_complaint_after_other_drivers_block_disabled_parking.html
Philip A. Baer, M.D.C.M., FRCPC, FACR
Rédacteur en chef,
JSCR
Scarborough, Ontario |